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Comparable à la voix d’une eau tumultueuse

Qui tombe, et rend un son monstrueux, surhumain!

II

«Ô ma postérité, déplorable et chérie!

Ô mes fils! écoutez la divine raison.

C’est Gitche Manito, le Maître de la Vie,

Qui vous parle! celui qui dans votre patrie

A mis l’ours, le castor, le renne et le bison.

Je vous ai fait la chasse et la pêche faciles;

Pourquoi donc le chasseur devient-il assassin?

Le marais fut par moi peuplé de volatiles;

Pourquoi n’êtes-vous pas contents, fils indociles?

Pourquoi l’homme fait-il la chasse à son voisin?

Je suis vraiment bien las de vos horribles guerres.

Vos prières, vos vœux mêmes sont des forfaits!

Le péril est pour vous dans vos humeurs contraires,

Et c’est dans l’union qu’est votre force. En frères

Vivez donc, et sachez vous maintenir en paix.

Bientôt vous recevrez de ma main un Prophète

Qui viendra vous instruire et souffrir avec vous.

Sa parole fera de la vie une fête;

Mais si vous méprisez sa sagesse parfaite,

Pauvres enfants maudits, vous disparaîtrez tous!

Effacez dans les flots vos couleurs meurtrières.

Les roseaux sont nombreux et le roc est épais;

Chacun en peut tirer sa pipe. Plus de guerres,

Plus de sang! Désormais vivez comme des frères,

Et tous, unis, fumez le Calumet de Paix!»

III

Et soudain tous, jetant leurs armes sur la terre,

Lavent dans le ruisseau les couleurs de la guerre

Qui luisaient sur leurs fronts cruels et triomphants.

Chacun creuse une pipe et cueille sur la rive

Un long roseau qu’avec adresse il enjolive.

Et l’Esprit souriait à ses pauvres enfants!

Chacun s’en retourna, l’âme calme et ravie,

Et Gitche Manito, le Maître de la Vie,

Remonta par la porte entr’ouverte des cieux.

– À travers la vapeur splendide du nuage

Le Tout-Puissant montait, content de son ouvrage,

Immense, parfumé, sublime, radieux!

IV. – À Théodore de Banville

Vous avez empoigné les crins de la Déesse

Avec un tel poignet, qu’on vous eût pris, à voir

Et cet air de maîtrise et ce beau nonchaloir,

Pour un jeune ruffian terrassant sa maîtresse.

L’œil clair et plein du feu de la précocité,

Vous avez prélassé votre orgueil d’architecte

Dans des constructions dont l’audace correcte

Fait voir quelle sera votre maturité.

Poète, notre sang nous fuit par chaque pore,

Est-ce que par hasard la robe de Centaure,

Qui changeait toute veine en funèbre ruisseau,

Était teinte trois fois dans les laves subtiles

De ces vindicatifs et monstrueux reptiles

Que le petit Hercule étranglait au berceau?

APPENDICE II. AUTRES PIÈCES

Bribes

Orgueil

Anges habillés d’or, de pourpre et d’hyacinthe.

Le génie et l’amour sont des devoirs faciles.

Le goinfre

En ruminant je ris des passants faméliques.

Je crèverais comme un obus,

Si je n’absorbais comme un chancre.

J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or.

Il portait dans les yeux la force de son cœur.

Dans Paris son désert vivant sans feu ni lieu,

Aussi fort qu’une bête, aussi libre qu’un Dieu.

Son regard n’était pas nonchalant, ni timide,

Mais exhalait plutôt quelque chose d’avide,

Et, comme sa narine, exprimait les émois

Des artistes devant les œuvres de leurs doigts.

Ta jeunesse sera plus féconde en orages

Que cette canicule aux yeux pleins de lueurs

Qui sur nos fronts pâlis tord ses bras en sueurs,

Et soufflant dans la nuit ses haleines fiévreuses,

Rend de leurs frêles corps les filles amoureuses,

Et les fait au miroir, stérile volupté,

Contempler les fruits mûrs de leur virginité.

Mais je vois à cet œil tout chargé de tempêtes

Que ton cœur n’est pas fait pour les paisibles fêtes,

Et que cette beauté, sombre comme le fer,

Est de celles que forge et que polit l’Enfer

Pour accomplir un jour d’effroyables luxures

Et contrister le cœur des humbles créatures.

Affaissant sous son poids un énorme oreiller,

Un beau corps était là, doux à voir sommeiller,

Et son sommeil orné d’un sourire superbe

L’ornière de son dos par le désir hanté.

L’air était imprégné d’une amoureuse rage;

Les insectes volaient à la lampe et nul vent

Ne faisait tressaillir le rideau ni l’auvent.

C’était une nuit chaude, un vrai bain de jouvence.

Grand ange qui portez sur votre fier visage

La noirceur de l’Enfer d’où vous êtes monté;

Dompteur féroce et doux qui m’avez mis en cage

Pour servir de spectacle à votre cruauté,

Cauchemar de mes nuits, Sirène sans corsage,

Qui me tirez, toujours debout à mon côté,

Par ma robe de saint ou ma barbe de sage

Pour m’offrir le poison d’un amour effronté

Damnation

Le banc inextricable et dur,

La passe au col étroit, le maëlstrom vorace,

Agitent moins de sable et de varech impur

Que nos cœurs où pourtant tant de ciel se reflète;

Ils sont une jetée à l’air noble et massif,

Où le phare reluit, bienfaisante vedette,

Mais que mine en dessous le taret corrosif;

On peut les comparer encore à cette auberge,

Espoir des affamés, où cognent sur le tard,

Blessés, brisés, jurant, priant qu’on les héberge,

L’écolier, le prélat, la gouge et le soudard.

Ils ne reviendront pas dans les chambres infectes;

Guerre, science, amour, rien ne veut plus de nous.

L’âtre était froid, les lits et le vin pleins d’insectes;

Ces visiteurs, il faut les servir à genoux!

Spleen.

Ébauche d’un épilogue pour la 2e édition

Tranquille comme un sage et doux comme un maudit,

… j’ai dit:

Je t’aime, ô ma très belle, ô ma charmante…

Que de fois…

Tes débauches sans soif et tes amours sans âme,

Ton goût de l’infini

Qui partout, dans le mal lui-même, se proclame,

Tes bombes, tes poignards, tes victoires, tes fêtes,

Tes faubourgs mélancoliques,

Tes hôtels garnis,

Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues,

Tes temples vomissant la prière en musique,

Tes désespoirs d’enfant, tes jeux de vieille folle,

Tes découragements;

Et tes jeux d’artifice, éruptions de joie,

Qui font rire le Ciel, muet et ténébreux.

Ton vice vénérable étalé dans la soie,

Et ta vertu risible, au regard malheureux,

Douce, s’extasiant au luxe qu’il déploie…

Tes principes sauvés et tes lois conspuées,

Tes monuments hautains où s’accrochent les brumes.

Tes dômes de métal qu’enflamme le soleil,

Tes reines de théâtre aux voix enchanteresses,

Tes tocsins, tes canons, orchestre assourdissant,

Tes magiques pavés dressés en forteresses,

Tes petits orateurs, aux enflures baroques,

Prêchant l’amour, et puis tes égouts pleins de sang,

S’engouffrant dans l’Enfer comme des Orénoques,