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Il me demanda : « Qu’est-ce qu’il y a, Brad ? »

— « Je ne sais pas. Quelque chose d’anormal sur la route. »

— « Un accident ? »

— « Non… Je vous dis que je ne sais pas. Un machin en travers de la chaussée. On ne voit pas l’obstacle mais ça n’empêche pas qu’il soit là. On rentre dedans et il vous arrête net. On dirait un mur sauf qu’on ne peut ni le sentir ni le toucher. »

— « Allez, rentrez. Une tasse de café ne vous fera pas de mal. Je vais en faire chauffer. D’ailleurs, c’est l’heure du petit déjeuner. La femme va pas tarder à descendre. »

Il alluma et s’approcha de l’évier. Il ouvrit le robinet.

Soudain, un cri retentit. Même si je dois vivre cent ans, je crois que je ne l’oublierai jamais, ce cri.

— « Liz ! » s’exclama Bill, « Qu’est-ce qu’il y a, Liz ? »

Il se rua hors de la cuisine au pas de course. Moi, j’étais cloué sur place, incapable de faire un geste.

La femme cria à nouveau mais, cette fois, sa voix était étouffée. Comme si elle avait collé sa bouche contre un oreiller.

Je gagnai la salle à manger en chancelant et, ce faisant, trébuchai sur quelque chose ― un jouet, un tabouret, je ne sais pas ― et m’efforçai de recouvrer mon équilibre. Et je me heurtai à la barrière, la même barrière qui m’avait stoppé sur la route. Un sentiment d’horreur m’envahit Elle était là, en face de moi, au beau milieu de cette maison. C’était quelque chose d’affolant

— « Les petits ! » hurla la femme. « Je ne peux pas arriver jusqu’aux petits ! »

Peu à peu, mon sang-froid me revenait Je distinguai une table, un buffet, la porte s’ouvrant sur le corridor où donnaient les chambres.

Donovan apparut, portant presque sa femme. Et elle criait : « Il y a quelque chose… Quelque chose qui m’a empêché de passer ! Je ne peux pas atteindre mes petits ! »

Bill la fit s’asseoir par terre et l’accota doucement contre le mur. Il leva les yeux vers moi. Il y avait de la stupéfaction, de la rage et de la terreur dans son regard.

— « C’est la barrière, Bill La même barrière qui bloque la route. »

— « J’vois pas de barrière. »

— « Bien sûr ! Vous ne la voyez pas mais elle est là ! »

— « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » me demanda-t-il.

— « Les enfants sont en sécurité, » affirmai-je en espérant que je ne me trompais pas. « Ils sont simplement de l’autre côté. Il nous est impossible d’aller jusqu’à eux et il leur est impossible de nous rejoindre, mais ils sont en sécurité. »

— « J’allais les voir, » bégaya la femme, « J’allais juste les voir et il y avait quelque chose en travers du couloir… »

Je l’interrompis.

— « Combien avez-vous d’enfants ? »

— « Deux, » répondit Donovan. « Six ans et huit ans. »

— « Pouvez-vous téléphoner à quelqu’un qui n’habite pas Millville ? Quelqu’un qui puisse venir les chercher et s’occuper d’eux jusqu’à ce qu’on ait trouvé une solution ? Ce mur doit bien avoir une fin. Je cherchais justement à quel endroit… »

— « Il y a bien ma belle-sœur. Elle habite à cinq, six kilomètres d’ici, un peu plus loin sur la route. »

— « Donnez-lui donc un coup de fil. »

Le téléphone était un poste fixe installé dans la cuisine. Je suivis Bill. Et si la ligne était coupée ? Si la barrière… Je retins mon souffle quand il décrocha. Ce fut avec soulagement que je perçus le bourdonnement de la tonalité. Dans la salle à manger, Mrs Donovan sanglotait doucement.

Bill composa le numéro. Ses gros doigts malhabiles, incrustés de crasse, n’étaient pas faits pour manier un cadran téléphonique.

Il attendit, le récepteur à l’oreille. J’entendais nettement le grelottement de la sonnerie dans le silence.

— « Allô… C’est toi, Myrt ?… Ouais, ici Bill. On a un petit ennui. Tu ne pourrais pas t’amener avec Jake ?… Non, Myrt, je ne peux pas t’expliquer. Si vous pouviez venir pour prendre les gosses… Mais ne passez pas par-derrière, vous ne pourriez pas rentrer. Ouais, je sais que ça paraît idiot… Il y a une sorte de muraille, tu comprends ? Liz et moi, on est sur le derrière et on ne peut pas passer sur le devant, là où sont les mômes… Non, je ne sais pas ce que c’est. Mais fais ce que je te dis. Y a pas moyen de parvenir jusqu’aux gosses. On ne peut pas les laisser comme ça… Oui, Myrt C’est ça – en plein en travers de la maison. Dis à Jake d’apporter une hache. La porte d’entrée est fermée à clé et il faudra l’enfoncer. À moins qu’il ne fasse sauter une fenêtre, ce sera plus facile… Mais oui, mais oui, je sais ce que je raconte ! Une seule chose compte : que vous emmeniez les petits… La porte, on s’en fout ! Vous n’aurez qu’à la démolir. Mais mettez les gosses à l’abri ! »

Il raccrocha et essuya d’un revers de manche son front moite de sueur.

— « Sacrée bonne femme, va ! Ça bavasse, mais en dehors de la jactance, c’est une vraie souche ! Bon… Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? »

— « Il faut suivre la barrière pour savoir jusqu’où elle va. Si elle s’interrompt, vous pourrez récupérer les gosses. »

— « Je vais avec vous. »

Je tendis la main vers la salle à manger. « Et elle ? Vous la laissez seule ? »

— « Non… Non, ce n’est pas possible. Allez devant. Myrt et Jake vont venir chercher les gamins. Je demanderai à un voisin de s’occuper de Liz et après, je tâcherai de vous rejoindre. Avec un truc pareil, on ne sera pas trop de deux. »

— « Merci. »

Dehors, la lueur pâle de l’aube commençait à baigner la campagne. Tout avait cet éclat spectral, ni vraiment blanc ni coloré, qui marque le début d’une journée d’août.

Sur la voie montante de la route, une bonne vingtaine de voitures étaient entassées, bloquées par la barrière, et des groupes de gens discutaient avec animation. D’un côté, ma bagnole et l’épave du camion. De l’autre, ce bouchon. Je me demandai si Millville était cernée par cette muraille.

Soudain, je me rappelai mon intention de prévenir Alf. Cela m’était sorti de la tête. J’hésitai. Au fond, c’était pour l’appeler que j’étais passé chez Donovan. Finalement, je décidai de ne pas téléphoner. Le plus urgent était de localiser la barrière. Je fis le tour de la maison et avançai, les bras tendus, jusqu’à ce que je la retrouve. Alors je me mis à la longer.

En gros, elle entourait Millville, coupant plusieurs maisons, quelques sentiers et quelques rues. J’arrivai ainsi jusqu’à la route secondaire menant à Coon Valley, localité située à une quinzaine de kilomètres. C’était une voie en pente douce et, juste en deçà de la barrière, était immobilisée une vieille voiture dont le moteur tournait encore. La portière était ouverte mais il n’y avait personne aux environs. Apparemment, le chauffeur s’était enfui, pris de panique, quand il avait heurté cet obstacle invisible.

Et comme j’étais là à la regarder, la bagnole se mit soudain en mouvement, glissant d’abord doucement, puis de plus en plus vite. Sans doute les freins avaient-ils lâché. Entraînée par son élan, elle traversa la barrière et s’écrasa contre un arbre. Un peu de fumée sortit du capot.