— « Pas moi, » lança Preston d’une voix venimeuse. « Gerald nous a dit que Nancy avait eu une conversation avec Brad. Or, celui-ci a gardé le silence sur ce point. Bien entendu, elle s’est servi d’un de ces téléphones. »
— « Du mien, » rétorqua Sherwood. « Il y a des années que j’en possède un. »
— « Vous ne m’en avez jamais parlé, Gerald, » fit le maire.
— « Cela ne m’est pas venu à l’esprit. »
— « J’ai le sentiment qu’il s’est passé des tas de choses à notre insu, » dit Preston.
— « C’est on ne peut plus vrai ! » soupira le père Flanagan. « Mais je crois que ce jeune homme a à peine commencé son histoire. »
Du coup, j’exposai aussi sincèrement que je le pouvais tous les détails dont je me rappelais.
Quand j’eus fini, personne ne bougea. Mon auditoire était comme abasourdi. Peut-être n’attachait-il pas entièrement foi à mes dires mais, quand même, il me croyait en partie.
Mal à l’aise, le père Flanagan s’agita. « Vous êtes absolument certain de ne pas avoir été victime d’une hallucination ? » me demanda-t-il.
— « J’ai rapporté cette machine à explorer le temps. Ce n’est pas une hallucination. »
Nichols murmura :
— « Il faut reconnaître que nous sommes témoins d’événements étranges. L’histoire de Brad n’est pas plus étrange que la barrière. »
— « Personne ne peut tripoter le temps ! » glapit Preston. « Voyons… Le temps est… Enfin c’est… »
— « Exactement ! » fit Sherwood. « On ne connaît rien du temps. De même que l’on ne connaît rien de la gravitation. Personne ne peut vous dire ce qu’est la pesanteur. »
— « Je ne crois pas un mot de tout ça, » dit Hiram d’un ton catégorique. « Il s’est caché quelque part… »
Ce fut Joe Evans qui lui répondit : « Nous avons passé la ville au peigne fin. Il n’a pu se cacher nulle part. »
— « En fait, » reprit le père Flanagan, « que nous croyions ou que nous ne croyions pas aux propos de ce garçon n’a aucune espèce d’importance. Ce qui compte, c’est de savoir si ces messieurs de Washington y croiront. »
Higgy se raidit et se tourna vers Sherwood. « D’après vous, Gibbs doit venir. »
— « Oui. Avec un émissaire du département d’État. »
— « Que vous a-t-il dit exactement ? »
— « Qu’il aurait un entretien préliminaire avec Brad et qu’il repartirait ensuite pour présenter son rapport. Il a ajouté que ce n’était peut-être pas un problème intérieur mais bel et bien un problème international. »
— « J’imagine qu’ils nous attendront derrière la barrière ? »
— « Probablement. En tout cas, dès que le sénateur sera arrivé, il nous téléphonera. »
— « Tout compte fait, » fit le maire sur le ton de la confidence, « si nous nous en sortons sans laisser de plumes, ce sera peut-être formidable pour Millville. Jamais, dans l’histoire, une ville n’a bénéficié d’autant de publicité. Pendant des années, les touristes afflueront rien que pour nous regarder, rien que pour dire qu’ils sont venus sur place. »
— « Si tout cela est vrai, » rétorqua le père Flanagan, « j’ai l’impression qu’il y a infiniment plus de choses en jeu qu’une simple opération touristique à lancer. »
— « Oui, cela voudrait dire que nous sommes confrontés à une forme de vie extra-terrestre, » murmura son homologue, le pasteur Silas Middleton. « Et notre attitude dans une telle situation peut être capitale : c’est une question de vie ou de mort. Je ne parle pas seulement de nous, mais de la race humaine tout entière. »
— « Allons, » piailla Preston, « que d’élucubrations pour quelques fleurs ! »
— « Imbécile ! » jeta Sherwood. « Comme si c’était à de banales fleurs que nous avons affaire ! »
— « Gerald Sherwood a raison, » dit Joe Evans. « Il s’agit d’une forme de vie différente. D’une vie végétale qui a accédé à l’intelligence. »
— « Et qui a emmagasiné toutes les connaissances de Dieu sait combien d’autres races ! » ajoutai-je. « Les Fleurs connaissent des choses dont l’idée ne nous a même jamais effleurés. »
— « Je ne vois vraiment pas pourquoi nous devons avoir peur, » maugréa Higgy avec entêtement. « Est-il donc tellement difficile de tuer des plantes ! Il suffit de les arroser avec un bon désherbant… »
— « Je ne crois pas que ce serait aussi simple que cela, » repris-je. « Mais, pour le moment, la question n’est pas là. Pourquoi les détruirions-nous ? »
— « Vous voulez les laisser prendre tranquillement possession de la Terre ? »
— « Il ne s’agit pas de cela. Je pense qu’il faut les accueillir et coopérer avec elles. »
— « Vous oubliez la barrière ! » s’écria Hiram.
— « Absolument pas, » dit Nichols. « Mais elle ne constitue qu’un élément du problème et c’est le problème dans son ensemble qu’il faut régler. »
— « Bon Dieu ! » grommela Preston. « Vous parlez tous comme si ce que raconte ce garçon était parole d’Évangile ! »
— « Non, » fit Silas Middleton. « Mais le récit de Brad doit être considéré comme une hypothèse de travail. Je ne prétends pas que ce qu’il nous a dit est la vérité vraie. Peut-être a-t-il commis des erreurs d’interprétation, peut-être certains aspects de la question lui ont-ils purement et simplement échappé. Mais, pour le moment son récit constitue notre seule source d’information sérieuse. »
— « Je n’en crois pas un mot ! » déclara Hiram. « Nous avons affaire à une perfide conspiration et… »
La sonnerie du téléphone l’interrompit. Sherwood décrocha.
— « Brad, c’est encore Alf qui te demande, » dit-il en me tendant l’appareil.
Je traversai la pièce et empoignai l’écouteur.
— « Allô, Alf ? »
— « Je croyais que tu devais me rappeler ! »
— « Je suis désolé mais j’ai eu un empêchement. »
— « J’ai dû partir. On évacue tout le monde. Je suis actuellement dans un motel près de Coon Valley. Un établissement de dernier ordre. Je repars pour Elmore mais je voulais d’abord prendre contact avec toi. »
— « Tu as bien fait. J’ai un certain nombre de choses à te demander. À propos de Greenbriar. »
— « À ta disposition. Que veux-tu savoir ? »
— « De quel genre de problèmes as-tu eu à t’occuper là-bas ? »
— « Oh ! des problèmes de toutes sortes. »
— « Avaient-ils trait aux plantes ? »
— « Aux plantes ? »
— « Oui… Aux fleurs, aux herbes, aux légumes… »
— « Je vois. Laisse-moi réfléchir. Oui, j’ai effectivement eu à répondre à des questions relatives à la vie végétale. »
— « Par exemple ? »
— « Eh bien… Il m’a été demandé un jour si une plante peut être intelligente ? »
— « Et quelle a été ta conclusion ? »
— « Allons, Brad ! Tu es ridicule ! »
— « Réponds-moi, Alf. C’est important. »
— « Bon… Comme tu voudras. La seule conclusion admissible était que la chose est impossible. Une plante n’a pas de motivations. Pourquoi lui faudrait-il être intelligente ? D’ailleurs, elle n’en tirerait aucun avantage puisqu’elle ne pourrait utiliser ni son intelligence ni son savoir. En outre, la structure d’un végétal lui interdirait d’être intelligent. Il lui manque certains sens, la conscience de son environnement, un cerveau pour recueillir les informations, un mécanisme intellectuel… »