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— « Le seul fait que vous puissiez songer à une telle éventualité suffit pour faire froid dans le dos de tous les hommes. »

Billings hocha la tête. « Il est de mon devoir d’envisager toutes les possibilités, si atroces qu’elles soient. Même compte tenu du problème moral, si besoin en était, je n’hésiterais pas à… »

— « Messieurs ! » fit le sénateur d’une voix faible. « Messieurs… »

Le général me regarda. Je crois bien que tout le monde m’avait oublié.

— « Pardonnez-moi, Mr Carter. Je n’aurais pas dû parler de cette manière, » me dit Billings.

Même si on m’avait donné un million de dollars, j’aurais été incapable de proférer un son. Je n’avais pas prévu que les choses prendraient cette tournure. Pourtant, maintenant, je comprenais que ç’avait été inévitable. Je me rappelai ce qu’avait balbutié Stiffy Grant : Ils lanceront la bombe. Il faut que tu les en empêches…

Newcombe me décocha un regard mortel. « J’espère, mon garçon, que vous ne répéterez pas un mot de ce que vous avez entendu. »

— « Nous sommes forcés de vous faire confiance, » renchérit le sénateur. « Nous sommes à votre merci. »

Je parvins à éclater de rire mais je suppose que ce rire devait être quelque chose d’assez affreux à entendre. « À quoi bon dire quoi que ce soit ? Nous sommes pieds et poings liés. Où voulez-vous que nous allions ? »

La barrière ne nous protégerait pas de la bombe puisqu’une bombe n’est pas quelque chose de vivant. On avait essayé de la dynamiter et, comme elle n’offrait pas de résistance à l’explosion, ç’avait été peine perdue.

Je me tournai vers le général. « Puis-je compter que vous aurez autant d’égards que vous me demandez d’en avoir ? Si vous estimez devoir en arriver là, je vous serais reconnaissant d’avoir l’obligeance de ne pas l’annoncer préalablement. »

Les lèvres pincées, Billings fit un signe d’assentiment.

— « Il est encore trop tôt pour vous mettre martel en tête, jeune homme, » fit le sénateur. « Il ne s’agit que d’une éventualité parmi bien d’autres et l’heure n’est pas encore venue de l’étudier. »

— « En tout cas, » repris-je, « il faut que vous compreniez bien qu’il ne peut pas s’agir d’une opération clandestine. Quoi que vous fassiez, vous êtes condamnés à la franchise. Les Fleurs sont capables de lire dans l’esprit de certains. En cet instant même, elles sont peut-être en contact avec des personnes qui n’en savent d’ailleurs strictement rien. Avec l’un d’entre vous, messieurs, si cela se trouve. À tout moment, elles sont à même de connaître exactement la nature de vos plans. »

Il était visible qu’aucun de mes interlocuteurs n’avait réfléchi à cette question.

— « Qu’est-ce que c’est que tous ces gens ? » s’enquit soudain Newcombe.

Je me retournai.

En effet, la moitié des habitants de Millville était là. Comment les en blâmer ? Ils avaient le droit d’assister à l’entrevue : en définitive, c’était leur vie même qui était en question. Et, après les propos que Tom et Hiram avaient tenus sur mon compte, il était normal que certains n’eussent en moi qu’une confiance mitigée.

Je fis à nouveau face aux hommes venus de Washington. « En tout cas, » dis-je précipitamment, « vous ne pouvez pas vous permettre de faire fiasco. Si nous échouons, nous raterons toutes les occasions que la chance nous offrira… »

— « La chance ? » s’exclama le sénateur.

— « Oui, c’est la première fois que la chance nous est donnée d’entrer en contact avec une autre race et ce ne sera pas la dernière. Dans l’espace… »

— « Nous ne sommes pas dans l’espace, » murmura Newcombe.

Inutile d’insister. C’était trop exiger d’eux. Ils allaient tout gâcher ! Nous étions voués à tout bousiller ― toujours ! Nous n’avions pas les motivations requises et nous ne pouvions pas nous changer. Nous étions des myopes, des êtres perdus dans la contemplation de leur nombril, et notre égoïsme fondamental nous interdirait à jamais de sortir des ornières où, vaille que vaille, nous poursuivions notre petit bonhomme de chemin.

La race humaine n’était peut-être pas forcément la seule dans ce cas. Allez donc savoir si les extra-terrestres auxquels nous étions confrontés n’avaient pas la même étroitesse d’esprit, n’étaient pas aussi arbitraires et aussi aveugles que nous ?

Je poussai un soupir de résignation que les enquêteurs ne remarquèrent sans doute même pas. Leurs regards étaient braqués sur la foule qui s’était mise en marche et avançait maintenant vers la barrière, silencieuse et résolue. La procession des condamnés…

En tête venaient George Walker, le boucher, Butch Ormsby, le receveur des postes, et Charley Hutton, le patron du Happy Hollow. Je remarquai également Daniel Willoughby qui n’avait pas l’air tellement à son aise car c’était un homme qui détestait la promiscuité. Higgy et Hiram brillaient par leur absence mais Tom Preston était là. Je ne vis pas Sherwood, ce qui ne m’étonna guère. Tous ces gens avaient l’air dur et déterminé.

— « C’est vous, le sénateur ? » s’enquit George Walker.

— « Oui, » répondit Gibbs. « Que puis-je faire pour vous ? »

— « C’est précisément pour le savoir que nous sommes là. Nous sommes une sorte de délégation. »

— « Je vois. »

— « Nous nous trouvons dans une situation critique, » poursuivit Walker. « Nous sommes tous contribuables et sommes en droit d’exiger qu’on vienne à notre aide. Moi, je suis boucher et, maintenant que Millville est bloquée, je ne sais pas ce qu’il adviendra de mon commerce. Nous allons être obligés de fermer boutique. D’ici quelque temps, les habitants n’auront plus d’argent. Certes, le ravitaillement en viande continuera d’être assuré mais comment vendrons-nous notre marchandise si les gens n’ont pas de quoi l’acheter ? Et puis… »

— « Une minute ! Vous allez un peu vite. Chaque chose en son temps. Je connais vos problèmes et soyez assurés que je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour… »

Mais le sénateur fut interrompu par un homme qui lança d’une voix de stentor :

— « Il y a des gens dont la situation est encore plus grave. Prenez mon cas, par exemple. Je ne travaille pas à Millville et j’ai besoin de ma paye pour nourrir mes gosses. Qu’est-ce que je vais faire, à présent ? Et c’est la même chose pour des tas d’autres travailleurs. Nous n’avons pas un sou devant nous… »

— « Ne nous affolons pas, » s’exclama le sénateur. « Washington est au courant. Accordez-nous un peu de temps ; nous interviendrons en votre faveur. Tout d’abord, un projet de loi d’assistance spéciale sera déposé au Congrès et comptez sur moi pour le faire adopter dans les meilleurs délais. Ce n’est pas tout. Deux ou trois journaux et plusieurs chaînes de télévision ont ouvert une souscription. Ce n’est d’ailleurs qu’un commencement… »

— « Ce n’est pas cela que nous voulons. Ce n’est pas la charité que nous demandons. Ce que nous réclamons, c’est de pouvoir retourner à notre travail. »

Le sénateur parut interloqué. « Vous voulez donc que nous démolissions la barrière ! »

— « Monsieur le sénateur, il y a des années que le gouvernement dépense des milliards de dollars pour envoyer un homme sur la Lune. Vous avez des savants et vous pouvez consacrer un peu de temps et un peu d’argent à résoudre le problème de Millville. Avec tous les impôts que nous crachons sans rien recevoir en échange… »

— « Il faut découvrir la nature de cette barrière avant de déterminer ce qu’il sera possible de faire et, je vous le dis franchement, ce ne sera pas possible du jour au lendemain. Croyez bien que je suis parfaitement conscient de vos difficultés et que vous pouvez compter sur moi pour… »