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— « En tout cas, » fit-elle quand je me tus, « il n’y aura pas la guerre – pas le genre de guerre que le monde entier redoutait. »

— « C’est vrai. Peut-être cela sera-t-il pire que la guerre. »

— « Peut-il y avoir quelque chose de pire que la guerre ? »

Évidemment, ce serait la réaction de tout le monde. Peut-être les gens auraient-ils raison mais les extra-terrestres allaient envahir la Terre et nous serions à leur merci. Nous étions sans défense. Puisque toute la vie animale de la planète dépendait du règne végétal et que les étrangers pouvaient transformer les plantes à leur gré…

— « Il y a quand même une chose qui m’étonne, » ajoutai-je. « Avec un peu de patience, ils auraient pu nous asservir sans même que nous nous en rendions compte. Certains des leurs sont sur place, à Millville même. Ces Fleurs auraient pu se changer en n’importe quoi et, d’ici cent ans, chaque branche, chaque feuille, chaque brin d’herbe… »

— « Peut-être les extra-terrestres n’avaient-ils pas le temps d’attendre. »

Je hochai dubitativement la tête. « Ils ont tout le temps qu’ils veulent. Et s’il leur en faut davantage, ils peuvent le fabriquer. »

— « Peut-être avaient-ils besoin de la race humaine. Une société végétale ne peut rien réaliser. Les plantes ne se déplacent pas, elles n’ont pas de mains. Les Fleurs ont emmagasiné une foule de connaissances, elles sont capables de réfléchir, de faire des projets et des plans, mais elles ne peuvent pas les mener à bien. Pour cela, il leur faut des partenaires. »

— « Mais elles en ont. Elles en ont même beaucoup. Pense, par exemple, à ceux qui ont fabriqué la machine temporelle. À ce drôle de petit docteur et à ce baratineur de Smith. Non, ce ne sont pas les partenaires qui leur manquent. Il doit y avoir autre chose. »

— « Peut-être n’ont-elles pas trouvé les associés qui leur conviennent vraiment et fouillent-elles les mondes les uns après les autres dans l’espoir de rencontrer enfin les gens qui feront l’affaire. Qui sait si, justement, ce n’est pas la race humaine qui fait l’affaire ? »

— « Peut-être. Peut-être aussi les autres races n’étaient-elles pas assez malfaisantes. Peut-être fallait-il aux Fleurs une race meurtrière. Eh bien, nous voilà ! Sans doute veulent-elles que nous fondions frénétiquement sur les mondes parallèles, que nous les saccagions brutalement, impitoyablement. C’est que, si l’on va au fond des choses, nous sommes des êtres terrifiants. Il se peut que les Fleurs s’imaginent que rien ne pourra nous arrêter et elles ont probablement raison. Avec leur savoir accumulé et leurs pouvoirs mentaux plus la compréhension que nous avons des notions physiques et nos aptitudes techniques, il n’y a sans doute pas de limites aux exploits que nous serons capables d’accomplir ensemble. »

— « Je ne pense pas que ce soit cela. Que t’arrive-t-il, Brad ? Au début, il m’avait semblé que les Fleurs t’avaient fait plutôt bonne impression. »

— « Oui, mais elles ont usé de fourberie, elles se sont servies de moi comme mouton. »

— « C’est donc cela qui te tracasse ? »

— « J’ai le sentiment d’être un traître. »

La rue était silencieuse et déserte. Depuis que j’étais là, je n’avais pas vu un passant.

— « Je m’étonne, » fit soudain Nancy, « qu’il y ait des gens pour se faire examiner par ce médecin dont la vue vous donne la chair de poule. »

— « Tu sais, les charlatans ont toujours la faveur du public. »

— « Mais ce n’est pas un charlatan. Il a guéri le docteur Fabian et les autres. Ce que je veux dire, c’est qu’il est repoussant. »

— « Nous lui faisons peut-être le même effet. »

— « Non, c’est à sa technique que je pense. Il n’emploie ni drogues ni instruments. Simplement, il regarde les gens, il les sonde et ça y est… ils sont remis à neuf. S’il est capable de manipuler ainsi les corps, que peut-il faire avec l’esprit ? Lui est-il possible de modifier nos pensées, de les réorienter ? »

— « Un tel traitement ne serait peut-être pas un mal pour certains de nos concitoyens. Pour Higgy, par exemple. »

— « Ne plaisante pas là-dessus, Brad, » me lança-t-elle d’une voix sèche.

— « Bon… Je me tais. »

— « Tu parles de cette façon pour t’empêcher d’avoir peur. »

— « Et toi, tu parles sérieusement pour essayer de banaliser les choses. »

Elle hocha la tête. « Oui mais cela ne sert à rien. Parce que la situation est loin d’être banale. » Elle se leva. « Raccompagne-moi, Brad. »

Je me levai à mon tour.

Chapitre 24

La nuit commençait à tomber quand j’atteignis le centre de la ville. Je ne sais pourquoi j’étais sorti. L’énervement, sans doute. La maison était trop grande, trop vide (elle ne m’avait jamais paru aussi vide), le quartier trop tranquille : un silence total que venait seulement rompre de temps à autre la voix, pontifiante ou vibrante d’un speaker. Il n’y avait pas dans tout Millville une seule maison où la télévision et la radio n’étaient pas allumées, j’en aurais mis ma tête à couper. Mais quand j’avais ouvert mon poste, les commentaires assenés sur un ton de calme assurance par le présentateur ― un des meilleurs ― n’avaient fait qu’accroître mon malaise :

« … impossible de savoir avec certitude si l’engin qui orbite autour de la Terre remplit effectivement la mission dont Mr Smith, cet envoyé d’un autre monde, nous a annoncé qu’il était chargé. À Washington, on estime que la parole d’une créature étrangère ne saurait être considérée comme une preuve formelle et indiscutable. La capitale se refuse à toute déclaration tant que l’on n’aura pas obtenu un supplément d’information. Telle est la position officielle du gouvernement et celle des gouvernements étrangers est analogue. Mais les réactions de l’opinion sont fort différentes. Dans le monde entier, l’ivresse est générale. On signale des manifestations d’enthousiasme à Londres. À Moscou, une foule en délire s’est rassemblée sur la Place Rouge. Dans tous les pays, les fidèles ont envahi les églises et rendent grâce à Dieu. Le fait est patent : l’homme de la rue aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France ― dans le monde entier, en définitive ! ― a pris les étranges assertions de cet extra-terrestre pour argent comptant. Depuis ce matin, le scepticisme caractéristique des réactions populaires a perdu tous ses droits, ce qui ne laisse pas d’être stupéfiant. La nouvelle selon laquelle la menace d’une guerre nucléaire était susceptible d’être radicalement neutralisée a apparemment eu l’effet d’un raz de marée psychologique. Ce qui ne fait que souligner la tension terrible et silencieuse, peut-être subconsciente, qui régnait sur l’univers… »

J’avais alors tourné le bouton et je m’étais mis à rôder dans la maison où mes pas éveillaient des échos insolites.

Comme il était facile de se livrer ainsi à une analyse subtile et mesurée quand on se trouvait dans un studio à quinze cents kilomètres de là ! Moi, je ne pouvais pas écouter cela. Pourquoi ? Parce que j’éprouvais un sentiment de culpabilité ? Parce que c’était moi qui avais apporté cet appareil, moi qui avais organisé l’interview de Smith ?

Ou bien parce qu’il y avait dans toute cette histoire un autre facteur ― je le pensais avec une conviction accrue depuis ma conversation avec Nancy ―, un facteur mineur, un facteur secret qui m’échappait et qui, si je pouvais mettre le doigt dessus, aurait été un fil conducteur, aurait donné un sens à ces événements incohérents ? Mais j’avais beau chercher, me creuser la tête, c’était en pure perte. Non, je devais me tromper. Il n’y avait pas de clause de sauvegarde. La situation était sans issue. Nous étions pris au piège. Nous étions condamnés. C’est alors que j’étais sorti, sans but précis. Simplement, je voulais marcher, respirer. Cela m’éclaircirait peut-être les idées.