Выбрать главу

Je m’affalai au fond d’un fauteuil. Un grand vide m’habitait. Je n’entendis pas ce que disait Joe. J’étais hors de portée. Malheureux et, en même temps, furieux. Et assez désorienté.

Je pris conscience que Joe me parlait.

— « Quoi ? »

— « J’ai eu la communication. On nous rappellera. J’ai précisé que c’était important. »

— « Important ? Je me le demande. »

— « Comment ? Bien sûr que c’est important… »

— « Que peut faire le sénateur ? Quoi que nous puissions lui dire… »

— « Il a de l’influence et il aime le manifester. »

Je ne répondis pas.

« Si personne ne prend notre défense, » reprit Joe, « qu’allons-nous faire ? »

— « Que veux-tu que nous fassions ? Nous ne pouvons même pas fuir. »

— « Quand Millville saura… »

— « Ça ne tardera pas. Tout le monde est planté devant son poste de télévision ou sa radio. »

— « Il faudrait peut-être que quelqu’un fasse taire Davenport. »

Je hochai la tête. « Il en avait gros sur la patate, ce matin. Le général, il l’aurait bouffé tout cru. »

Mais comment savoir qui, de Davenport ou de Billings, avait tort ou raison ? Depuis des siècles l’homme luttait contre les insectes et les herbes nuisibles. Par tous les moyens, et il ne fallait pas que sa vigilance se relâche un seul instant sous peine d’être submergé.

Et voilà que, surgissant d’un autre temps, une mauvaise herbe d’un type nouveau avait fait son apparition, capable de détruire non seulement les céréales mais la race humaine elle-même. En l’occurrence, il n’y avait qu’une seule chose à faire : se battre contre cette herbe avec tout ce que l’on avait sous la main.

Mais si c’était une plante à haute capacité d’adaptation qui connaissait tout et de l’homme et des végétaux, une plante qui pouvait grâce à son immense savoir survivre à toutes les attaques lancées contre elle ? À n’importe quoi sauf à une irradiation massive ?

Telle avait été la réponse lorsque le problème avait été posé aux gens qui travaillaient dans cette étrange entreprise du Mississippi.

Alors, la réaction des Fleurs serait toute simple : éliminer la possibilité de l’irradiation et, en même temps, s’attirer la gratitude du monde.

Si cette analyse était correcte, c’était le Pentagone qui avait raison.

Le téléphone bourdonna. Joe décrocha et me tendit le récepteur.

— « Allô, » dis-je. « Le sénateur Gibbs ? »

J’avais les lèvres sèches et les mots passaient difficilement.

— « Lui-même. »

— « Bradshaw Carter, de Millville, à l’appareil. »

— « Bonjour, Mr Carter. Que puis-je faire pour vous ? »

— « Il court ici certaines rumeurs… »

— « À Elmore aussi, mon cher. Des dizaines de rumeurs… »

— « Il est question d’une bombe qui serait larguée sur Millville, Le général disait ce matin… »

— « Oui, » fit le sénateur d’une voix que je trouvai beaucoup trop calme. « C’est un bruit qui est également parvenu à mes oreilles et qui m’a inquiété. Mais il n’a pas été confirmé. »

— « Monsieur le sénateur, je vous demande de parler franchement. Pour vous, ce n’est qu’une question qui vous donne du tracas. Pour nous, c’est une affaire qui nous touche directement. Nous avons le droit de savoir de quoi il retourne exactement. »

— « Je ne le nie pas. Mais je ne possède qu’une seule information digne de foi : des consultations au niveau le plus élevé sont actuellement en cours entre les puissances nucléaires. Apparemment, on essaye de chercher une sorte d’accord mutuel. Compte tenu de l’opinion publique, j’ai très peur… »

— « Je vous en prie, monsieur le sénateur, pas de politique ! »

— « Ce n’est pas cela que je voulais dire. Je ne vous cacherai pas que je suis inquiet. »

— « Nous sommes donc arrivés à un point critique ? »

— « Si la barrière se déplace si peu que ce soit, il n’est pas inconcevable que nous agissions de façon unilatérale. Les militaires pourront toujours prétendre qu’ils sont intervenus pour sauver le monde de l’invasion, qu’ils avaient en main des renseignements qu’ils refuseront de communiquer en arguant du secret de la défense nationale. Ils se débrouilleront toujours pour être couverts. Cela fera du bruit, bien sûr, mais, le temps aidant, ils retomberont sur leurs pieds. »

— « À votre avis, quelles sont les chances ? »

— « Je n’en sais strictement rien. J’ignore ce que pense le Pentagone, j’ignore les données qu’il possède, j’ignore ce que les chefs d’état-major ont dit au président. Et l’on ne peut deviner quelle attitude prendront la Grande-Bretagne, la Russie et la France. Mais croyez-vous qu’il soit possible de faire quelque chose à Millville même ? »

— « Un appel… Les journaux et la radio… »

Je crus le voir hocher la tête. « Non, ça ne marcherait pas, Carter. Personne ne peut savoir ce qui se passe derrière la barrière. Il y a la possibilité que l’influence des extra-terrestres s’exerce sur la population locale. Évidemment, un tel plaidoyer aurait un profond retentissement mais cela n’ébranlerait pas d’un pouce les autorités et ne ferait que troubler davantage l’opinion publique qui est suffisamment échauffée comme cela. Non, ce qu’il faut, ce sont des faits solides et un peu de bon sens. »

Oui, il avait peur que nous fassions des vagues !

« Si j’apprends quelque chose de neuf, » enchaîna le sénateur, « je vous rappellerai ou je prendrai contact avec Gerald Sherwood. Je ferai de mon mieux, comptez sur moi. Mais je ne crois pas que vous deviez vous faire trop de souci. Simplement, arrangez-vous pour que la barrière reste où elle est et n’envenimez pas les choses. »

— « Je vous remercie, monsieur le sénateur, » fis-je, complètement écœuré.

— « Merci d’avoir téléphoné. À bientôt. »

Je raccrochai et secouai la tête.

— « Il ne fera rien pour nous, » dis-je à Joe. « Motus et bouche cousue ! Il s’en lave les mains. »

Au même moment, la porte s’ouvrit. Je me retournai. C’était Higgy Morris. Il tombait bien, celui-là ! Il nous dévisagea.

— « Que fabriquez-vous donc tous les deux ? »

— « Il faut lui dire, Brad, » murmura Joe.

— « Eh bien, vas-y ! »

Et Joe raconta tout. Higgy l’écoutait, immobile. On aurait cru une statue.

Enfin, Joe se tut et le silence retomba.

— « Croyez-vous donc qu’ils pourraient faire une chose pareille ? » demanda enfin Higgy.

— « Oui, » répondis-je. « Si la barrière s’éloigne, ils le feront sûrement. »

— « Dans ce cas, qu’attendons-nous ? Il faut creuser ! »

— « Creuser ? »

— « Pardi ! Nous allons construire un abri. Nous avons toute la main-d’œuvre nécessaire : personne ne fait plus rien. On va mettre tout le monde au boulot. Il y a des pelles et des pioches à l’entrepôt du chemin de fer, une douzaine de camions… Je vais nommer une commission et nous… Mais vous en faites une drôle de tête ! »

— « Vous ne comprenez pas, monsieur le maire, » dit Joe, et il y avait une sorte de douceur dans sa voix. « Il ne s’agit pas de retombées radio-actives mais d’un coup direct qui atteindra Millville au niveau du sol. Dans ces conditions, un abri ne servirait à rien. »

— « On peut toujours essayer, » rétorqua Higgy avec entêtement.

— « On ne pourrait jamais creuser assez profondément, on ne pourrait jamais construire un blindage capable de résister à l’impact. Et même si c’était possible, il y aurait le problème de l’oxygène… »