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Rajasinghe appuya sur un bouton, interrompant Morgan au milieu de sa phrase.

— Le reste est surtout technique… Il poursuit en expliquant comment la tour pourrait agir comme une sorte de fronde cosmique, et propulser des charges utiles vers la Lune et les planètes sans utiliser l’énergie d’aucune fusée. Mais je pense que vous en avez vu assez pour avoir une idée générale du projet.

— Mon cerveau est très passablement embrouillé, dit le Pr Sarath, mais au nom du ciel – ou de la Terre – qu’est-ce que tout cela a à faire avec moi ? Ou avec vous, d’ailleurs ?

— Tout viendra en son temps, Paul. Pas de commentaires, Maxine ?

— Peut-être pourrais-je encore vous pardonner ; cela pourrait être l’un des grands reportages de la décennie – ou du siècle. Mais pourquoi cette hâte… pour ne pas parler du secret ?

— Il y a beaucoup de choses qui se passent et que je ne comprends pas ; c’est là que vous pouvez m’aider. Je soupçonne que Morgan livre un combat sur plusieurs fronts ; il projette de faire une déclaration publique dans le très proche futur, mais il ne veut pas agir avant d’être tout à fait sûr de son terrain. Il m’a remis cette présentation à la condition qu’elle ne serait pas transmise par des chaînes de communication publiques. C’est pourquoi j’ai dû vous demander de venir ici.

— Est-ce qu’il a connaissance de cette réunion ?

— Bien entendu ; en fait, il a été tout à fait heureux quand j’ai dit que je voulais vous parler, Maxine. Il a manifestement confiance en vous et aimerait vous avoir comme alliée. Et quant à vous, Paul, je l’ai assuré que vous étiez capable de garder un secret jusqu’à six jours sans avoir d’apoplexie.

— Seulement s’il y a une très bonne raison pour ça.

— Je commence à voir clair, dit Maxine Duval. Plusieurs choses m’intriguaient et, à présent, elles commencent à prendre un sens. Mais d’abord, il s’agit d’un projet spatial ; Morgan est ingénieur en chef, de la division Terre.

— Et alors ?

— C’est bien à vous de le demander, Johan ! Songez à la bagarre inter-bureaucratique quand les constructeurs de fusées et l’industrie aérospatiale entendront parler de ça ! Des empires représentant des trillions de dollars seront en jeu, simplement pour commencer. S’il ne fait pas très attention, Morgan s’entendra dire : « Merci, beaucoup – à présent, nous allons prendre la suite. Nous avons eu grand plaisir à vous connaître. »

— Je m’en rends nettement compte, mais il a un très bon argument. Après tout, la tour orbitale est une construction… pas un véhicule.

— Quand les hommes de loi s’en empareront, ce ne sera pas une construction. Il n’existe pas beaucoup de constructions dont les étages supérieurs se déplacent à dix kilomètres par seconde – ou quelque chose comme ça – plus vite que le rez-de-chaussée.

— Peut-être avez-vous là un argument. Incidemment, lorsque j’ai montré des signes de vertige à l’idée d’une tour atteignant une partie appréciable de la distance de la Lune, le Dr Morgan a dit : « Alors, n’y songez pas comme à une tour qui s’élève verticalement – pensez-y comme à un pont qui s’étend horizontalement. » Je m’y efforce toujours, mais sans beaucoup de succès.

— Oh ! fit soudain Maxine Duval. Ça, c’est une autre pièce de votre puzzle. Le Pont.

— Que voulez-vous dire ?

— Saviez-vous que le président de la Terrienne de Construction, ce prétentieux sénateur Collins, voulait obtenir que le pont de Gibraltar porte son nom ?

— Je ne le savais pas ; cela explique plusieurs choses. Cependant, j’aime assez Collins – les quelques fois où nous nous sommes rencontrés, je l’ai trouvé très agréable et très brillant. N’a-t-il pas fait un peu de construction géothermique, de son temps ?

— C’était il y a mille ans. Et vous n’êtes pas une menace pour sa réputation ; il peut être gentil avec vous.

— Comment le Pont a-t-il été sauvé de pareil sort ?

— Ç’a été une petite révolution de palais parmi le grand état-major de la Terrienne. Le Dr Morgan n’y a, naturellement, pas été mêlé.

— Alors c’est là pourquoi il cache si bien ses cartes ! Je commence à l’admirer de plus en plus. Mais, à présent, il vient se heurter à un obstacle qu’il ne sait pas comment éviter. Il ne l’a découvert que voilà quelques jours seulement, et cela l’a arrêté net sur sa route.

— Laissez-moi continuer à deviner, dit Maxine. C’est un bon exercice… Ça me permet de rester en tête de la meute. Je peux voir pourquoi il est ici. L’extrémité terrestre du système doit être sur l’équateur, sinon la Tour ne peut pas être verticale. Elle serait comme celle qui se trouvait autrefois à Pise, avant qu’elle s’effondre…

— Je ne vois pas… fit le Pr Sarath, en battant vaguement des bras. Oh, mais si…

Sa voix s’éteignit dans un silence méditatif.

— Or, continua Maxine, il n’existe qu’un nombre limité de sites possibles sur l’équateur – il traverse surtout des océans, n’est-ce pas ? – et Taprobane en est un, de toute évidence. Quoique je ne vois pas quels avantages particuliers il présenterait sur l’Afrique ou l’Amérique ; ou serait-ce que Morgan couvre toutes ses chances ?

— Comme d’habitude, ma chère Maxine, vos pouvoirs de déduction sont phénoménaux. Vous êtes dans la bonne voie… mais vous ne pourrez aller plus loin. Bien que Morgan ait fait de son mieux pour m’expliquer le problème, je ne prétends pas en comprendre tous les détails scientifiques. En tout cas, il se trouve que l’Afrique et l’Amérique du Sud ne conviennent pas pour le transporteur spatial. Cela aurait quelque chose à voir avec des points instables dans le champ gravitationnel terrestre. Seul Taprobane convient – et pis encore, un seul endroit dans Taprobane. Et c’est là, Paul, que vous entrez en scène.

— Mamada ? glapit le Pr Sarath, revenant au taprobani dans sa surprise indignée.

— Oui, vous. À son grand ennui, le Dr Morgan vient de découvrir que le site qu’il lui faut avoir est déjà occupé – pour m’exprimer avec modération. Il désire mon avis sur la possibilité d’en déloger votre excellent ami Buddy.

À présent, ce fut au tour de Maxine d’être déconcertée.

— Qui ? s’enquit-elle.

Sarath répondit aussitôt.

— Le Vénérable Anandatissa Bodhidharma Mahanayake Thero, titulaire du temple de Sri Kanda, psalmodia-t-il presque comme s’il récitait une litanie. C’est donc de cela qu’il s’agit.

Un silence régna durant un moment ; puis une expression de pure joie malicieuse apparut sur le visage de Paul Sarath, professeur honoraire d’Archéologie de l’université de Taprobane.

— J’ai toujours eu envie, fit-il d’un ton songeur, de savoir exactement ce qui se passerait si une force irrésistible rencontrait un objet inébranlable.

11

La princesse silencieuse

Quand ses visiteurs furent partis, profondément pensifs, Rajasinghe dépolarisa les fenêtres de la bibliothèque et il resta longtemps assis à contempler les arbres autour de sa villa, et les parois rocheuses du Yakkagala, qui se dressaient au delà. Il n’avait pas bougé, lorsque, sur le coup de 4 heures exactement, l’arrivée du thé le fit brusquement sortir de sa rêverie.