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— J’aimerais, dit-il doucement, rester seul durant quelques minutes. Jaya… Dravindra… voyez si vous pouvez écarter les touristes.

Ses compagnons le regardèrent, hésitants ; de même que le guide qui était censé ne jamais laisser les fresques sans être gardées. Cependant, comme d’habitude, l’ambassadeur Rajasinghe obtint ce qu’il voulait, sans même élever la voix.

— Aiyu bowan, dit-il, rendant hommage aux beautés silencieuses, lorsqu’il fut enfin seul. Je suis désolé de vous avoir négligées si longtemps.

Il attendit poliment une réponse, mais elles ne firent pas plus attention à lui qu’à tous leurs autres admirateurs depuis les derniers vingt siècles. Rajasinghe ne fut pas découragé, il était habitué à leur indifférence. En fait, elle ajoutait à leur charme.

— J’ai un problème, mes chères amies, continua-t-il. Vous avez vu tous les envahisseurs de Taprobane venir et repartir, depuis le temps de Kalidasa. Vous avez vu la jungle monter comme une marée autour du Yakkagala, puis reculer sous la hache et la charrue. Mais rien n’a réellement changé durant toutes ces années. La nature a été bonne pour la petite Taprobane, et l’histoire aussi ; elle ne l’a pas touchée…

» Maintenant, ces siècles de quiétude tendent peut-être à leur fin. Il se peut que notre pays devienne le centre du monde – de beaucoup de mondes. Que la grande montagne que vous avez observée si longtemps, là-bas dans le Sud, soit la clé de l’univers. S’il en est ainsi, la Taprobane que nous avons connue et aimée cessera d’exister…

» Peut-être n’y a-t-il pas grand-chose que je puisse faire – mais j’ai quelque pouvoir pour y aider ou y mettre obstacle. J’ai encore de nombreux amis ; si je le souhaite, je peux retarder ce rêve… ou ce cauchemar… au moins jusqu’au delà de mon temps de vie. Devrais-je le faire ? Ou devrais-je apporter mon aide à cet homme, quels que soient ses motifs réels ?

Il se tourna vers sa favorite… la seule qui ne détournait pas les yeux quand il la considérait longuement. Toutes les autres jeunes femmes regardaient au loin, ou examinaient les fleurs qu’elles tenaient dans les mains ; mais celle qu’il avait aimée depuis sa jeunesse semblait, sous un certain angle, lui retourner son regard.

— Ah, Karuna ! Ce n’est pas juste de vous poser de telles questions. Car que pourriez-vous savoir des mondes réels qui existent par delà le ciel et de la nécessité pour les hommes de les atteindre ? Même si vous avez été jadis une déesse, le paradis de Kalidasa n’était qu’une illusion. Eh bien, quels que soient les étranges futurs que vous pouvez voir, je n’en ferai pas partie. Nous nous sommes connus longtemps tous les deux… à mon échelle humaine, si ce n’est pas à la vôtre. Tant que je le pourrai, je vous admirerai de la villa, mais je ne pense pas que nous nous reverrons ici. Adieu, et merci, belles dames, pour tout le plaisir que vous m’avez apporté au cours des années. Présentez mes salutations à ceux qui viendront après moi.

Pourtant, en descendant l’escalier en spirale – négligeant l’ascenseur – Rajasinghe ne se sentait pas du tout en humeur d’adieux. Au contraire, il lui semblait avoir abandonné pas mal de ses années (et, après tout, soixante-douze ans, ce n’était pas vraiment vieux). Il pouvait dire que Dravindra et Jaya avaient remarqué l’élasticité de sa démarche, à la manière dont leurs visages rayonnaient.

Peut-être sa retraite avait-elle commencé à devenir monotone. Peut-être lui et Taprobane avaient-ils tous deux besoin d’un souffle d’air frais pour chasser les toiles d’araignée – de même que la mousson apporte un renouveau de vie après des mois de cieux torpides et pesants.

Que Morgan réussisse ou non, son entreprise avait de quoi enflammer l’imagination et remuer l’âme. Kalidasa l’aurait envié… et approuvé.

DEUXIÈME PARTIE

Le temple

Alors que les diverses religions se querellent l’une l’autre quant à celle d’entre elles qui est en possession de la vérité, à notre point de vue, la vérité de la religion peut être complètement négligée… Si l’on tente d’assigner à la religion sa place dans l’évolution de l’homme, elle ne semble pas tellement être un acquis durable, plutôt une sorte de névrose par laquelle l’individu civilisé doit passer sur sa route de l’enfance à la maturité.

Freud, Nouvelles Conférences d’introduction à la psycho-analyse, 1932.

Naturellement, l’homme a fait Dieu à son image ; mais pouvait-il en être autrement ? Tout comme une compréhension réelle de la géologie était impossible jusqu’à ce que nous fussions capables d’étudier d’autres mondes en dehors de la Terre, de même, une théologie valide doit attendre le contact avec des intelligences extra-terrestres. Il ne peut pas exister de sujet tel que la religion comparée, tant que nous étudions seulement les religions de l’homme.

El Hadj Mohammed ben Selim, professeur de religion comparée : Discours inaugural, Brigham Young University, 1998.

Nous devons attendre, non sans anxiété, les réponses aux questions suivantes : a) Quels sont, s’il en existe, les concepts religieux d’entités ayant zéro, un, deux ou plus de deux « parents » ? b) La foi religieuse ne se trouve-t-elle que parmi des organismes qui ont un contact étroit avec leurs progéniteurs directs durant leurs années formatives ?

Si nous découvrons que la religion se présente exclusivement parmi les analogues intelligents de grands singes, dauphins, éléphants, chiens, etc., mais pas parmi les ordinateurs extra-terrestres, les termites, poissons, tortues ou amibes sociaux, nous pourrions avoir à en tirer quelques pénibles conclusions… Peut-être que l’amour et la religion ne peuvent se produire que parmi les mammifères et pour à peu près les mêmes raisons. Cela est également suggéré par une étude de leurs pathologies ; quiconque doute de la connexité entre le fanatisme religieux et la perversion devrait examiner longuement et sévèrement le Malleus Maleficarum et Les Diables de Londres d’Huxley.

(Ibid.)

La remarque fameuse du Dr Charles Willis (Hawaii, 1970) selon laquelle la religion est « un sous-produit de la malnutrition » n’est pas beaucoup plus profitable en elle-même que la réfutation quelque peu inconvenante en une syllabe, de Gregory Bateson. Ce que le Dr Willis voulait apparemment dire, était que : 1. Les hallucinations provoquées par la privation, volontaire ou involontaire, de nourriture sont facilement interprétées comme des visions religieuses ; 2. La faim en cette vie encourage la croyance à une autre vie compensatrice, comme mécanisme psychologique – peut-être essentiel – de survie… C’est, en effet, l’une des ironies du sort que les recherches sur les drogues prétendant « élargir la conscience » révélèrent exactement le contraire, en menant à la détection des substances chimiques « apothétiques » qui se produisent naturellement dans le cerveau. La découverte que le plus dévot fidèle de n’importe quelle religion pouvait être converti à n’importe quelle autre par une dose appropriée de 2-4-7 ortho-para-theosamine fut peut-être le coup le plus accablant jamais reçu par la religion.

Jusqu’à, bien entendu, la venue du Vagabond des Étoiles…