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De seconde en seconde, la lumière grandissait de chaque côté de la Sri Kanda, tandis que le soleil débordait les dernières forteresses de la nuit. Puis monta de la foule qui attendait patiemment un sourd murmure d’émotion quasi religieuse.

Pendant un temps, il n’y eut rien. Puis, soudain, ce fut là, s’étendant sur la moitié de la largeur de Taprobane – un triangle aux arêtes vives, parfaitement symétrique, du bleu le plus profond. La montagne n’avait pas oublié ses fidèles ; son ombre fameuse s’allongeait sur la mer des nuages, un symbole que chaque pèlerin pouvait interpréter selon son désir.

L’ombre semblait presque solide dans sa perfection rectiligne, comme une sorte de pyramide abattue plutôt qu’un simple fantôme d’ombre et de lumière. Alors que l’éclat du jour grandissait autour d’elle, et que les premiers rayons directs du soleil perçaient de chaque côté de la montagne, elle parut par contraste devenir encore plus sombre et plus dense ; pourtant à travers le mince voile de nuages responsable de sa brève existence, Morgan pouvait vaguement distinguer les lacs, les collines et les forêts du pays qui s’éveillait.

Le sommet du triangle brumeux devait se rapprocher de lui à une vitesse énorme, tandis que le soleil s’élevait verticalement derrière la montagne, cependant Morgan n’avait conscience d’aucun mouvement. Le temps semblait être suspendu ; ce fut l’un des rares moments de sa vie où il ne songea nullement aux minutes qui passaient. L’ombre de l’éternité s’étendait sur son âme comme celle de la montagne sur les nuages.

À présent, celle-ci disparaissait rapidement, elle s’effaçait du ciel comme une tache qui se dissout dans l’eau. Le paysage fantomal, incertain, en bas se consolidait en réalité ; à mi-chemin de l’horizon, il y eut une explosion de lumière quand les rayons du soleil frappèrent les fenêtres à l’est d’un grand édifice. Et encore au delà – à moins que ses yeux ne le trompent – Morgan pouvait apercevoir la faible bande sombre de la mer environnante.

Un autre jour s’était levé sur Taprobane.

Lentement, les visiteurs se dispersèrent. Certains retournèrent au terminus du funiculaire, alors que d’autres, plus énergiques, se dirigeaient vers l’escalier, dans l’illusion que la descente était plus facile que la montée. La plupart d’entre eux seraient trop heureux de reprendre le funiculaire à la station inférieure ; en fait, très peu feraient la descente jusqu’en bas.

Seul Morgan continua vers le haut, suivi de nombreux regards curieux, par l’escalier relativement court qui conduisait au monastère et au sommet même de la montagne. Lorsqu’il atteignit le mur extérieur recouvert de plâtre lisse – qui à présent commençait à briller doucement aux premiers rayons directs du soleil – il était essoufflé et il fut bien aise de s’appuyer un moment contre la massive porte de bois.

Quelqu’un devait avoir été de veille car avant qu’il pût trouver un bouton de sonnerie, ou signaler sa présence d’une façon ou d’une autre, la porte s’ouvrit silencieusement, et il fut accueilli par un moine en robe jaune, qui le salua les mains jointes.

— Ayu bowan, Dr Morgan. Le Mahanayake Thero sera heureux de vous recevoir.

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L’éducation du Vagabond des Étoiles

(Extrait du Vagabond des Étoiles, première édition, 2071.)

Nous savons maintenant que la sonde interstellaire généralement désignée sous le nom de Vagabond des Étoiles est complètement autonome et fonctionne selon des instructions générales programmées en elle voilà soixante mille ans. Pendant qu’elle voyage entre les étoiles, elle utilise son antenne de cinq cents kilomètres pour renvoyer des informations à sa base à une allure relativement lente, et pour recevoir de temps en temps des corrections de programme venant de l’« Étoile-île », pour adopter le joli nom que lui donna le poète Llwellyn ap Cymru.

Lorsque le Vagabond passe à travers un système solaire, il peut tirer l’énergie de l’astre central et ainsi l’allure de sa transmission d’informations augmente énormément. Il « recharge ses batteries » également, pour employer une analogie certainement sommaire. Et puisque – comme nos propres premiers Pioneer et Voyager – il utilise les champs gravitationnels des corps célestes pour dévier sa course d’étoile en étoile, il fonctionnera indéfiniment, à moins qu’une défaillance mécanique ou un accident cosmique ne termine sa carrière. Le Centaure avait été sa onzième escale, et après qu’il eut contourné notre soleil comme une comète, sa nouvelle trajectoire fut dirigée exactement sur Tau de la Baleine, à douze années-lumière de distance. S’il y a quelqu’un là-bas, le Vagabond sera prêt à entamer sa prochaine conversation vers l’an 8100…

… Car le Vagabond allie les fonctions d’ambassadeur et d’explorateur. Lorsqu’à la fin de ses parcours millénaires, il découvre une civilisation technologique, il entre en rapports amicaux avec les indigènes et se met à échanger des informations avec eux, seule forme de commerce interstellaire qui pourrait bien être jamais possible. Et avant qu’il reparte pour son voyage sans fin, après son bref passage à travers leur système solaire, le Vagabond des Étoiles indique la position de son monde d’origine – déjà en attente d’un appel direct du plus nouveau membre de ce réseau téléphonique galactique.

Dans notre cas, nous pouvons tirer une certaine fierté du fait que, avant même qu’il ait transmis aucune carte stellaire, nous avions identifié son soleil natal et lui avions même transmis notre premier message. À présent, nous n’avions plus qu’à attendre cent quatre ans pour avoir une réponse. C’est une chance incroyable que nous ayons des voisins à si peu de distance.

Il était évident, dès ses tout premiers messages, que le Vagabond des Étoiles comprenait la signification de plusieurs milliers de mots fondamentaux anglais et chinois, qu’il avait déduits de l’analyse des émissions de télévision, de radio etspécialement – de vidéo-textes. Mais ce qu’il avait capté durant son approche n’était qu’un mauvais échantillonnage ne représentant absolument pas l’ensemble de la culture humaine, il ne contenait que très peu de science avancée, encore moins de mathématiques avancées – et seulement un choix dû au hasard de littérature, de musique et des arts visuels.

Comme n’importe quel génie autodidacte, le Vagabond des Étoiles avait d’énormes lacunes dans son éducation. Partant du principe qu’il valait mieux donner trop que pas assez, dès que le contact fut établi, le Vagabond reçut le Dictionnaire d’Oxford de la langue anglaise et le Grand Dictionnaire de la langue chinoise (édition en romandarin) ainsi que l’Encyclopédie mondiale. Leur transmission en binaire ne demanda guère plus de cinquante minutes, et il est à noter qu’immédiatement après, le Vagabond resta silencieux pendant presque quatre heures – sa plus longue période de cessation d’émission. Lorsqu’il reprit contact, son vocabulaire s’était immensément élargi et quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il pouvait passer le test de Turing avec facilité – c’est-à-dire qu’il n’y avait aucun moyen de dire d’après les messages reçus que le Vagabond était une machine et non pas un être humain d’une très haute intelligence.

On relevait cependant, de temps en temps, des trahisons involontaires – par exemple, l’usage incorrect de termes ambigus et l’absence de contenu émotionnel dans le dialogue. On ne pouvait que s’y attendre ; à la différence des ordinateurs terrestres les plus avancés, pouvant simuler lorsque nécessaire les émotions des humains qui les avaient construits, les sentiments et les désirs du Vagabond des Étoiles étaient vraisemblablement ceux d’une espèce totalement étrangère, et, par conséquent, largement incompréhensibles pour l’homme.