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Au delà de cela, Rajasinghe ne savait rien des détails techniques sinon qu’ils comprenaient des réseaux de satellites de surveillance et des ordinateurs qui contenaient dans leurs cerveaux électroniques un modèle complet de l’atmosphère terrestre, des continents et des mers. Il se sentait plutôt comme un sauvage frappé d’une terreur mystérieuse, bouche bée devant les merveilles d’une technologie avancée, en regardant le petit cyclone se déplacer résolument vers l’ouest, jusqu’à ce qu’il disparaisse au-dessous du gracieux alignement de palmiers, juste à l’intérieur des remparts des Jardins de Plaisir.

Puis il leva le regard vers les invisibles ingénieurs et savants qui tournaient autour du monde dans leurs lunes de fabrication humaine.

— Très impressionnant, dit-il. Mais j’espère que vous savez exactement ce que vous faites.

25

La roulette orbitale

— J’aurais dû deviner, dit le banquier lugubrement, que cela devait se trouver dans l’une de ces annexes techniques que je n’ai jamais regardées. Et à présent que vous avez vu tout le rapport, j’aimerais connaître la réponse. Vous m’avez donné bien du souci depuis que vous avez soulevé le problème.

— Elle est d’une évidence éclatante, répondit Morgan, et j’aurais dû y penser moi-même.

« Et je l’aurais fait – finalement – » se dit-il, avec un large degré de confiance. Avec l’œil de l’esprit, il revit ces simulations sur ordinateur de toute l’immense structure, résonnant comme une corde de violon cosmique, tandis que les vibrations durant des heures couraient de la Terre à l’orbite et revenaient, réfléchies, à leur point de départ. Et en superposition, il revoyait de mémoire, pour la centième fois, le film rayé du pont qui dansait. se trouvaient tous les indices dont il avait besoin.

— Phobos croise la Tour toutes les onze heures dix minutes, mais heureusement il ne se déplace pas exactement dans le même plan – sinon on aurait une collision chaque fois qu’il passerait. Il la rate à la plupart de ses révolutions et les moments dangereux sont exactement prévisibles – au millième de seconde près, si on le désire. Or le transporteur, comme toute construction, n’est pas une structure complètement rigide. Il a une période naturelle de vibration qui peut être calculée avec presque autant de précision que les orbites planétaires. Donc ce que vos ingénieurs proposent de faire, c’est d’accorder le transporteur de telle façon que ses oscillations normales – qui ne peuvent, de toute façon, être évitées – le maintiennent toujours à l’écart de Phobos. Chaque fois que le satellite croisera la Tour, elle ne sera pas là – elle aura esquivé la zone dangereuse de quelques kilomètres.

Il y eut une longue pause à l’autre bout de la communication.

— Je ne devrais pas dire cela, dit enfin le Martien, mais j’en ai les cheveux qui se dressent sur la tête.

— Présenté aussi brutalement, certes, cela ressemble à… comment l’appelait-on… la « roulette russe ». Mais, souvenez-vous, nous avons affaire à des mouvements exactement prévisibles. Nous savons toujours où sera Phobos et nous pouvons contrôler le déplacement de la Tour, simplement par la manière dont nous réglerons la circulation sur elle.

« Simplement », se dit Morgan, c’était difficilement le mot juste, mais n’importe qui pouvait voir que c’était possible. Et alors une analogie lui vint brusquement à l’esprit, qui n’était pas parfaite mais si incongrue qu’il en éclata presque de rire. Non… ce ne serait pas une bonne idée de l’utiliser pour le banquier.

De nouveau, il se retrouvait au pont de la passe de Tacoma, mais cette fois dans un monde de fantaisie. Un navire devait passer dessous, selon un horaire parfaitement régulier. Malheureusement, le mât avait un mètre de trop.

Pas de problème. Juste avant l’heure à laquelle il devait arriver, on enverrait quelques camions de gros tonnage traverser le pont à des intervalles soigneusement calculés pour correspondre à sa fréquence de résonance. Une lente ondulation se propagerait le long du tablier d’un pylône à l’autre, dont la crête serait réglée pour coïncider avec l’arrivée du navire. Et la tête du mât glisserait en dessous, avec des centimètres entiers de plus qu’il n’en fallait… À une échelle des milliers de fois plus grande, ce serait ainsi que Phobos ne rencontrerait pas la structure qui s’élèverait dans l’espace à partir du mont Pavonis.

— Je suis heureux d’en avoir votre assurance, dit le banquier, mais je pense que je me livrerai à quelques vérifications personnelles sur la position de Phobos avant d’embarquer pour un voyage.

— Alors vous serez surpris d’apprendre que certains de vos brillants jeunes ingénieurs – ils sont certainement brillants et je présume qu’ils sont jeunes à cause de leur pure effronterie technique – veulent utiliser les périodes critiques comme attraction touristique. Ils estiment qu’ils pourraient demander une grosse majoration de tarif pour la vue de Phobos passant presque à portée de la main, à quelque deux mille kilomètres à l’heure. Ce serait vraiment un remarquable spectacle, ne pensez-vous pas ?

— Je préfère me contenter de l’imaginer mais ils pourraient bien avoir raison. En tout cas, je suis soulagé de savoir qu’il y a une solution. Je suis également très heureux de noter que vous reconnaissez la valeur de nos ingénieurs. Est-ce que cela signifie que nous pourrons bientôt avoir votre décision ?

— Vous pouvez l’avoir tout de suite, dit Morgan. Quand pouvons-nous commencer ?

26

La nuit avant Vesak

C’était encore, après vingt-cinq siècles, le jour le plus vénéré du calendrier taprobanien. Selon la légende, le Bouddha était né, avait atteint l’illumination, et il était mort à la pleine lune de mai. Quoique, pour la plupart des gens, Vesak ne signifiât pas plus maintenant que l’autre grande fête annuelle de Noël, cela restait encore un jour de méditation et de tranquillité.

Depuis de nombreuses années, le Contrôle Mousson garantissait qu’il n’y aurait pas de pluie la nuit de la veille ni la nuit du jour de Vesak. Et depuis presque aussi longtemps, Rajasinghe s’était rendu tous les ans à la Cité royale deux jours avant la pleine lune, pour un pèlerinage qui lui reposait l’esprit. Il évitait le jour de Vesak lui-même ; Ranapura était alors trop encombrée de visiteurs, dont certains ne manqueraient sûrement pas de le reconnaître et de troubler sa solitude.

Seul l’œil le plus aigu aurait pu remarquer que l’énorme Lune jaune qui se levait au-dessus des dômes en cloche des antiques dagobas, n’était pas encore un cercle parfait. La lumière qu’elle émettait était si intense que seulement quelques-uns des plus brillants satellites et quelques-unes des plus brillantes étoiles étaient visibles dans le ciel sans nuages. Et il n’y avait pas un souffle de vent.

Deux fois, disait-on, Kalidasa s’était arrêté sur cette route, lorsqu’il avait quitté Ranapura pour toujours. La première halte avait été au tombeau d’Hanuman, le petit compagnon chéri de son enfance ; et la seconde au sanctuaire du Bouddha mourant. Rajasinghe s’était souvent demandé quelle consolation le roi en avait tirée – peut-être à cet endroit même, car c’était le meilleur d’où l’on pouvait contempler l’immense statue taillée en pleine roche. La forme étendue était si parfaitement proportionnée qu’il fallait en approcher tout près avant de pouvoir en apprécier la dimension réelle. À distance, il était impossible de se rendre compte que l’oreiller sur lequel reposait la tête du Bouddha était plus haut qu’un homme.