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Bien que Rajasinghe eût vu beaucoup de choses dans le monde, il ne connaissait aucun autre endroit aussi empli de paix. Parfois, il avait la sensation qu’il pourrait rester éternellement assis là, sous la Lune resplendissante, complètement indifférent à tous les soucis et tous les tumultes de la vie. Il n’avait jamais essayé de trop chercher à approfondir la magie de ce lieu sacré, par crainte de la détruire, mais certains de ses éléments étaient assez évidents. La pose même de l’Illuminé, reposant enfin les yeux fermés après une longue et noble vie, rayonnait de sérénité. Les lignes larges et souples de sa robe étaient extraordinairement apaisantes, délassantes à contempler ; elles semblaient s’écouler de la roche pour former des ondes de pierre figées. Et comme les vagues de la mer, le rythme naturel de leur courbe séduisait des instincts dont l’esprit rationnel ne connaissait rien.

Dans des moments d’éternité comme celui-là, seul avec le Bouddha et la Lune presque pleine, Rajasinghe avait le sentiment de pouvoir comprendre enfin la signification du Nirvâna – cet état qui ne peut être défini que par des négatives. Des émotions telles que la colère, le désir, l’avidité n’avaient plus aucun pouvoir ; en fait, elles étaient à peine concevables. Même le sens d’une identité personnelle semblait sur le point de disparaître comme une brume légère au soleil matinal.

Cela ne pouvait durer, naturellement. Bientôt, il reprit conscience du bourdonnement des insectes, de l’aboiement lointain des chiens, de la dureté froide de la pierre sur laquelle il était assis. La tranquillité n’était pas un état d’esprit qui pût être maintenu longtemps. Avec un soupir, Rajasinghe se remit sur ses pieds et retourna vers sa voiture, parquée à une centaine de mètres à l’extérieur des terrains du temple.

Il entrait dans le véhicule lorsqu’il remarqua la petite tache blanche, si nettement dessinée qu’elle aurait pu être peinte sur le ciel, qui s’élevait au-dessus des arbres à l’ouest. C’était le nuage le plus singulier que Rajasinghe eût jamais vu – un ellipsoïde parfaitement symétrique, aux bords si francs qu’il en semblait presque solide. Il se demanda si quelqu’un volait dans un aéronef à travers le ciel de Taprobane ; mais il ne voyait pas de gouvernes et l’on n’entendait pas de moteurs.

Puis, durant un instant fugitif, il eut une idée encore plus fantastique : les habitants de l’Étoile-île étaient enfin arrivés…

Mais c’était, bien entendu, absurde. S’ils avaient trouvé moyen d’aller plus vite que leurs propres signaux radio, ils auraient difficilement pu traverser tout le système solaire – et descendre dans le ciel de la Terre – sans alerter tous les radars de surveillance existants. La nouvelle aurait éclaté depuis des heures.

Plutôt à sa surprise, Rajasinghe ressentit une légère impression de désappointement. Et à présent que la tache se rapprochait, il put voir que c’était, sans aucun doute possible, un nuage parce que ses bords s’effilochaient un peu. Sa vitesse était impressionnante ; il semblait être poussé par un vent très fort qui lui était réservé, et dont il n’y avait pas encore trace au niveau du sol.

Ainsi, c’étaient encore les savants du Contrôle Mousson qui expérimentaient leur maîtrise des vents. À quoi donc, se demanda Rajasinghe, penseraient-ils ensuite ?

27

La station Ashoka

Comme l’île semblait minuscule vue de cette altitude ! Trente-six kilomètres en dessous, à cheval sur l’équateur, Taprobane ne semblait pas beaucoup plus grosse que le disque de la Lune. Le pays tout entier paraissait être une cible trop petite pour être atteinte ; pourtant, Morgan visait un endroit en plein centre, à peu près de la dimension d’un court de tennis.

Même à présent, il n’était pas complètement certain de ses motifs. Pour les besoins de cette démonstration, il aurait pu tout aussi bien opérer de la station Kinte et viser le Kilimandjaro ou le mont Kenya. Le fait que Kinte était à l’un des points les plus instables de toute l’orbite stationnaire et manœuvrait constamment pour rester au-dessus de l’Afrique centrale, n’aurait pas eu d’importance pour les quelques jours que devait durer l’expérience. Pendant un moment, il avait été tenté de viser le Chimborazo ; les Américains avaient même offert de déplacer, à très grands frais, la station Columbus à sa latitude exacte. Cependant, finalement, en dépit de cette incitation, il était revenu à son objectif originel – Sri Kanda.

Il était heureux pour Morgan qu’en cette ère de décisions avec l’assistance d’ordinateurs, même un arrêt de la Cour Mondiale pouvait être obtenu en quelques semaines. Le vihara avait, bien entendu, protesté. Morgan avait soutenu qu’une brève expérience scientifique, conduite hors des terrains du temple et ne causant ni bruit, ni pollution, ni aucune autre forme de perturbation, ne pouvait constituer un préjudice. Si on l’empêchait de la faire, tous ses travaux antérieurs seraient compromis, il n’aurait aucun moyen de vérifier ses calculs, et un projet capital pour la République de Mars serait gravement retardé.

C’était un argument plausible et Morgan lui-même en avait cru la plus grande partie. Les juges aussi, à cinq contre deux. Bien qu’ils ne fussent pas censés être influencés par de telles questions, la mention des Martiens procéduriers était une manœuvre habile. La République de Mars avait déjà trois affaires compliquées en cours et la Cour était un peu fatiguée d’établir des précédents dans le droit interplanétaire.

Cependant, Morgan savait, dans la partie froidement analytique de son cerveau, que son action n’était pas dictée par la logique seulement. Il n’était pas homme à accepter un échec de bonne grâce ; son geste de défi lui procurait une certaine satisfaction. Et pourtant – à un niveau encore plus profond – il rejetait cette motivation mesquine ; un tel geste de collégien n’était pas digne de lui. En réalité, il ne faisait que renforcer sa confiance en lui-même et réaffirmer sa foi dans le succès final. Bien qu’il ne sût pas comment, ni quand, il proclamait à la face du monde – et à ces moines entêtés derrière leurs antiques murailles : « Je reviendrai. »

La station Ashoka contrôlait virtuellement toutes les communications, la météorologie, la surveillance de l’environnement et la circulation spatiale dans la région de l’Inde et de Cathay. Si elle cessait jamais de fonctionner, un milliard de vies seraient menacées de désastre, et, si ses services n’étaient pas rapidement rétablis, de mort. Pas étonnant qu’Ashoka eût deux satellites auxiliaires complètement indépendants, Bhaba et Sarabhai, à cent kilomètres de distance. Même si une catastrophe inimaginable détruisait les trois stations, Kinte et Imhotep à l’ouest ou Confucius à l’est pourraient les remplacer dans ce cas d’urgence. L’espèce humaine avait appris, de cruelle expérience, à ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

Il n’y avait pas de touristes, de gens en vacances, ni de passagers en transit ici, si loin de la Terre, ils n’allaient pas au delà de quelques milliers de kilomètres dans l’espace et laissaient l’orbite géosynchrone trop éloignée aux savants et aux ingénieurs – dont pas un seul n’était jamais allé sur Ashoka pour une mission aussi insolite ni avec un équipement aussi singulier.