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— Vous souvenez-vous de son titre ?

— Oh !… laissez-moi réfléchir… quelque chose comme Guerre dans l’Espace 2000. Je suis sûr que vous pourrez le retrouver.

— Je vais dire au service Aménagement de le rechercher. À présent, allons à l’intérieur. Voulez-vous un casque ?

— Non, dit Morgan d’un ton brusque.

C’était l’un des rares avantages d’avoir dix centimètres de moins que la moyenne.

En pénétrant dans la maquette, il éprouva une émotion presque puérile à imaginer d’avance ce qu’il allait voir. Il avait supervisé tous les plans, surveillé les ordinateurs qui jouaient avec les graphiques et les schémas de construction – tout ici lui serait parfaitement familier mais c’était du réel, du solide. Bien sûr, ça ne décollerait jamais du sol, comme l’avait dit Kingsley en plaisanterie. Mais un jour, ses frères identiques s’élanceraient à travers les nuages et monteraient, en cinq heures seulement, à la station intermédiaire, à vingt-cinq mille kilomètres de la Terre. Et cela pour environ un dollar d’électricité en tout, par passager.

Même maintenant, il était impossible de saisir la signification entière de la révolution qui en résulterait. Pour la première fois, l’espace lui-même deviendrait aussi accessible que n’importe quel point de la surface de la Terre. D’ici quelques dizaines d’années, si une personne de situation moyenne voulait passer un week-end sur la Lune, elle pourrait se le permettre. Même Mars ne serait pas hors de sa portée ; il n’y avait pas de limites à ce qui pouvait être maintenant possible.

Morgan revint sur Terre brusquement, en trébuchant presque sur un morceau de moquette mal posé.

— Désolé, dit son guide, c’est encore une idée des décorateurs… la moquette verte est censée rappeler la Terre aux gens. Les plafonds seront bleus, d’un bleu de plus en plus profond dans les étages supérieurs. Et ils veulent utiliser un éclairage indirect partout, de façon que les étoiles soient visibles.

Morgan hocha la tête.

— C’est une très jolie idée, mais elle ne marchera pas. Si l’éclairage est suffisant pour lire confortablement, sa clarté effacera les étoiles. Il faudrait un compartiment du salon qui puisse être complètement obscurci.

— Ils ont déjà prévu cela pour un coin du bar – vous pouvez commander ce que vous voulez boire et vous retirer derrière des rideaux.

Ils étaient en ce moment à l’étage le plus bas de la capsule, une pièce circulaire de huit mètres de diamètre, trois mètres de haut. Tout autour se trouvaient toutes sortes de caisses, de cylindres et de panneaux de contrôle portant des inscriptions telles que RÉSERVE OXYGÈNE, ACCUMULATEURS, CRAQUAGE CO2, PHARMACIE, CONTRÔLE TEMPÉRATURE. Tout était visiblement de nature provisoire, temporaire, susceptible d’être réarrangé en un instant.

— N’importe qui penserait que nous construisons un vaisseau spatial, remarqua Morgan. Entre parenthèses, quelle est la dernière estimation du temps de survie ?

— Tant qu’il y aura de l’énergie disponible, au moins une semaine, même à pleine charge de cinquante passagers. Ce qui est en réalité absurde puisque une équipe de secours pourra toujours les atteindre en trois heures soit de la Terre, soit de la station intermédiaire.

— Sauf catastrophe majeure, comme avaries graves à la Tour ou aux voies.

— Si cela arrivait jamais, je ne crois pas qu’il resterait quelqu’un à sauver. Mais si une capsule tombe en panne pour une raison quelconque, et que les passagers ne deviennent pas fous et avalent d’un seul coup toutes nos délicieuses tablettes d’aliments comprimés de secours, leur plus gros problème sera l’ennui.

Le second étage était complètement dénué même d’installations temporaires. Quelqu’un avait dessiné un grand rectangle à la craie sur le panneau de plastique courbe de la paroi, et inscrit à l’intérieur en capitales d’imprimerie : SAS ICI ?

— Ce sera le compartiment des bagages – quoique je ne sois pas certain que nous aurons besoin d’autant de place. Dans ce cas, on pourra l’utiliser pour des passagers supplémentaires. Le troisième étage est plus intéressant…

Cet étage contenait une douzaine de fauteuils type avion de ligne, tous de modèle différent ; deux d’entre eux étaient occupés par des mannequins réalistes, homme et femme, qui paraissaient en avoir par-dessus la tête de toute cette affaire.

— Nous nous sommes pratiquement décidés pour ce modèle, dit Kingsley, en désignant un luxueux fauteuil inclinable et pivotant, muni d’une petite table, mais nous ferons d’abord les essais habituels.

Morgan donna un coup de poing dans le coussin du siège.

— Quelqu’un est-il vraiment resté assis dans ce fauteuil durant cinq heures ?

— Oui, un volontaire de cent kilos. Pas de meurtrissures aux fesses. Si les gens se plaignent, on pourra leur rappeler les premiers temps de l’aviation quand il fallait cinq heures simplement pour traverser le Pacifique. Et, bien entendu, nous leur offrons le confort d’une faible pesanteur pendant à peu près tout le parcours.

L’étage au-dessus était d’une conception identique, mais vide de sièges. Ils le traversèrent rapidement et gagnèrent l’étage suivant, auquel les constructeurs avaient manifestement consacré le plus d’attention.

Le bar paraissait presque prêt à fonctionner et, de fait, le distributeur de café marchait déjà. Au-dessus, dans un cadre tout doré, se trouvait une gravure ancienne si extraordinairement appropriée que Morgan en fut ébahi. Une énorme pleine lune occupait tout le coin en haut à gauche et un train composé d’une locomotive en forme d’obus et de quatre wagons fonçait vers elle. À travers les fenêtres des premières classes, on pouvait voir des personnages en haut-de-forme de l’époque victorienne qui admiraient la vue.

— Où avez-vous trouvé cela ? demanda Morgan profondément étonné.

— On dirait que la légende est encore tombée, s’excusa Kingsley, en cherchant derrière le bar. Ah, la voilà !

Il tendit à Morgan un morceau de carton sur lequel était imprimé en caractères désuets :

TRAINS PROJECTILES POUR LA LUNE

Gravure de l’édition 1881 de

DE LA TERRE À LA LUNE

Direct

En 97 heures et 20 minutes

ET AUTOUR DE LA LUNE

par Jules Verne{Il s’agit, en fait, de l’illustration bien connue de Pannemaker dans la première édition Hetzel (1865) du fameux roman de Jules Verne : De la Terre à la Lune. Le manuscrit original était intitulé De la Terre à la Lune et autour de la Lune. Mais la seconde partie ne parut qu’en 1869. (N.d.T.)}

— Je suis désolé d’avouer que je ne l’ai jamais lu, dit Morgan quand il eut absorbé cette information. Cela aurait pu m’épargner un tas de tracas. Mais j’aimerais savoir comment il se débrouillait sans rails…

— Il ne faut pas attribuer trop de mérites à Jules – ni lui faire trop de reproches. Cette image n’a jamais été destinée à être prise au sérieux – c’était une plaisanterie de l’artiste.

— Bon… Faites mes compliments aux décorateurs ; c’est une de leurs meilleures idées.

Tournant le dos aux rêves du passé, Morgan et Kingsley s’en allèrent vers les réalités de l’avenir. À travers la large baie d’observation, un système de projection par l’arrière donnait une vue étourdissante de la Terre et pas n’importe quelle vue, eut le plaisir de remarquer Morgan, mais la bonne. Taprobane elle-même était cachée, naturellement, étant directement au-dessous, mais on voyait tout le sous-continent de l’Hindoustan jusqu’aux neiges éblouissantes des Himalayas.