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— Araignées.

— Quelle horreur !… C’est vrai. J’étais fascinée par cette idée. Voilà quelque chose qui n’a jamais été possible auparavant, par n’importe quelle technique. Pour la première fois, on pourrait rester tranquillement assis dans le ciel, même au-dessus de l’atmosphère et regarder la Terre en bas – une chose qu’aucun engin spatial ne pourra jamais faire. J’aimerais être la première à décrire cette sensation. Et rogner les ailes à Donald Duck en même temps.

Morgan attendit cinq secondes entières, regardant Maxine droit dans les yeux avant de décider qu’elle était absolument sérieuse.

— Je peux très bien comprendre, dit-il d’un ton un peu ennuyé, comment une pauvre fille qui se débat désespérément pour se faire un nom dans les media, sauterait sur une pareille occasion. Je ne voudrais pas briser une carrière prometteuse mais la réponse est catégoriquement non.

La doyenne des gens des media laissa échapper quelques expressions peu dignes d’une dame distinguée et même d’un homme bien élevé, qui ne sont généralement pas transmises sur les moyens publics de diffusion.

— Avant que je vous étrangle avec votre propre hyperfilament, Van, poursuivit-elle, pourquoi pas ?

— Eh bien, si quelque chose tournait mal, je ne me le pardonnerais jamais.

— Épargnez-moi ces larmes de crocodile. Bien entendu, ma disparition prématurée serait une très grande tragédie… pour votre projet. Cependant je ne songerais pas à partir avant que vous ayez fait tous les essais nécessaires et soyez certain de la sécurité à cent pour cent.

— Cela aurait trop l’air d’un coup de publicité.

— Comme disait ma grand-mère (ou était-ce mon arrière-grand-mère)… Et alors ?

— Écoutez, Maxine – on annonce que la Nouvelle-Zélande vient d’être engloutie sous la mer – ils ont besoin de vous au studio. Mais merci pour votre offre généreuse.

— Dr Vannevar Morgan, je sais exactement pourquoi vous me refusez. Vous voulez être le premier.

— Comme disait votre grand-mère… Et alors ?

— Touchée. Mais je vous avertis, Van, dès que vous aurez une de ces araignées qui fonctionnera, vous entendrez de nouveau parler de moi.

Morgan secoua la tête.

— Désolé, Maxine. Pas la moindre chance…

35

Quatre-vingts ans après le Vagabond des Étoiles

Extrait de Dieu et l’Étoile-île (Mandala Press, Moscou, 2149).

Voilà exactement quatre-vingts ans la sonde automatique interstellaire, maintenant connue sous le nom de Vagabond des Étoiles, entra dans le système solaire et eut son bref mais historique dialogue avec l’espèce humaine. Pour la première fois, nous savions ce que nous avions toujours soupçonné : que nous n’étions pas la seule forme de vie intelligente dans l’Univers et que, très loin parmi les étoiles, existaient des civilisations beaucoup plus anciennes et peut-être beaucoup plus éclairées.

Après cette rencontre, rien ne serait plus jamais la même chose. Et pourtant, paradoxalement, à beaucoup d’égards, très peu de choses ont changé. L’humanité continue de vaquer à ses occupations, à peu près comme elle l’a toujours fait. Prenons-nous souvent le temps de penser que les habitants de l’Étoile-île, là-bas sur leur planète, connaissent déjà notre existence depuis vingt-huit ans – et que, presque certainement, nous ne recevrons leurs premiers messages directs que dans vingt-quatre ans d’ici ? Et si, comme certains l’ont suggéré, ils se sont déjà mis en route pour venir ?

Les hommes ont une extraordinaire et, peut-être, heureuse capacité d’éliminer de leur conscience les possibilités futures les plus effrayantes. Le paysan romain, qui labourait les pentes du Vésuve, n’accordait pas la moindre pensée au volcan qui fumait au-dessus de sa tête. La moitié du XXe siècle vécut sous la menace de la bombe à hydrogène – la moitié du XXIe sous celle du virus Golgotha. Nous avons appris à vivre sous la menace – ou la promesse – de l’Étoile-île.

Le Vagabond des Étoiles nous a montré beaucoup de mondes et de races étranges mais ne nous a révélé à peu près aucune technologie avancée et n’a donc eu qu’un impact minimal sur les aspects orientés vers la technique de notre civilisation. Fut-ce accidentel ou le résultat d’une ligne de conduite délibérée ? Il y a de nombreuses questions qu’on aimerait poser au Vagabond des Étoiles, maintenant qu’il est trop tard – ou trop tôt.

En revanche, il discuta vraiment de nombreuses questions philosophiques et religieuses et, dans ces domaines, son influence fut profonde. Quoique la phrase n’apparaisse nulle part dans les transcriptions, le Vagabond des Étoiles passe généralement pour être à l’origine du fameux aphorisme : « La foi en Dieu est apparemment un produit psychologique de la reproduction des mammifères. »

Mais même si c’est vrai ? Cela n’a absolument rien à voir avec la question de l’existence réelle de Dieu comme je m’en vais à présent le démontrer…

Swami Krishnamurti (Dr Choam Goldberg)

36

Le ciel cruel

L’œil pouvait suivre le ruban beaucoup plus loin la nuit que le jour. Au coucher du soleil, lorsque les feux de signalisation étaient allumés, le ruban devenait une mince bande de lumière qui diminuait lentement en s’éloignant jusqu’à un point indéfini où elle se perdait dans l’arrière-plan d’étoiles.

C’était déjà la plus grande merveille du monde. Jusqu’à ce que Morgan se fâche et réserve strictement le site au personnel de construction essentiel, ç’avait été une invasion continuelle de visiteurs – de « pèlerins » comme quelqu’un les avait appelés ironiquement – venus rendre hommage au dernier miracle de la montagne sacrée.

Ils se comportaient tous exactement de la même manière. Ils avançaient la main et touchaient doucement la bande de cinq centimètres de large, en passant le bout de leurs doigts sur elle avec une sorte de respect quasi religieux. Puis ils écoutaient, l’oreille appliquée contre la matière lisse et froide du ruban, comme s’ils espéraient entendre la musique des sphères. Certains prétendaient avoir perçu une note profonde de basse à l’extrême seuil de l’audibilité, mais ils s’illusionnaient. Même les plus hautes harmoniques de la fréquence naturelle du ruban étaient loin au-dessous du champ de l’ouïe humaine. Et certains autres s’en allaient branlant la tête en disant « on ne me fera jamais voyager là-dessus ! ». Mais c’étaient ceux qui avaient déjà fait exactement la même remarque à propos de la fusée à propulsion thermonucléaire, la navette spatiale, l’aéroplane, l’automobile – et même la locomotive à vapeur…

À ces sceptiques, la réponse habituelle était : « Ne vous inquiétez pas – ceci n’est qu’une partie de l’échafaudage – l’un des quatre rubans qui guideront la Tour dans sa descente vers la Terre. Faire la montée de la construction finale sera exactement comme prendre un ascenseur dans n’importe quel bâtiment élevé. Sauf que le voyage sera plus long – et beaucoup plus confortable. »

Le voyage de Maxine, en revanche, serait très court et pas particulièrement confortable. Mais une fois que Morgan eut capitulé, il avait fait de son mieux pour assurer qu’il serait sans incidents.