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L’« Araignée » – un véhicule léger, prototype d’essai qui ressemblait à une sellette de peintre de navire motorisée – avait déjà fait une douzaine d’ascensions jusqu’à vingt kilomètres, avec le double de la charge qu’elle porterait cette fois. Il y avait eu les petits ennuis habituels de début, mais rien de sérieux, les cinq derniers voyages en avaient été totalement exempts. Et qu’est-ce qui pouvait tourner mal ? S’il y avait une panne d’énergie électrique – presque impensable dans un système fonctionnant sur de simples accumulateurs –, la pesanteur ramènerait Maxine au sol en toute sécurité, les freins automatiques limitant la vitesse de descente. Le seul véritable risque était que le mécanisme de propulsion puisse se bloquer, retenant l’Araignée et sa passagère captives dans la haute atmosphère. Et Morgan avait une réponse même à cela.

— Seulement quinze kilomètres ? avait protesté Maxine, un simple planeur peut faire mieux que ça !

— Mais vous ne le pouvez pas, sans rien d’autre qu’un masque à oxygène. Bien entendu, si vous préférez attendre un an jusqu’à ce que nous ayons la capsule opérationnelle avec son système de maintien de la vie…

— Qu’avez-vous à redire à un scaphandre spatial ?

Morgan avait refusé de céder, pour de bonnes raisons personnelles. Bien qu’il espérât qu’on n’en aurait pas besoin, une petite grue à réaction était prête au pied de Sri Kanda. Ses conducteurs hautement qualifiés étaient utilisés pour diverses missions ; ils n’auraient pas de difficulté pour le sauvetage d’une Maxine laissée en panne, même à vingt kilomètres d’altitude.

Mais il n’existait pas de véhicule qui puisse la rejoindre au double de cette hauteur. Au-dessus de quarante kilomètres, c’était le no man’s land – trop bas pour des fusées, trop haut pour des ballons.

En théorie, bien sûr, une fusée pouvait demeurer stationnaire près du ruban, pour quelques minutes, avant d’avoir brûlé tout son combustible. Les problèmes de pilotage et de contact effectif avec l’Araignée étaient si épouvantables que Morgan ne s’était même pas donné la peine d’y réfléchir. Cela ne pouvait jamais arriver dans la vie réelle et il espérait qu’aucun producteur de vidéodrame ne déciderait qu’il y avait là un excellent sujet pour une aventure à faire peur. C’était le genre de publicité dont il préférait se passer.

Maxine Duval ressemblait tout à fait à un touriste typique pour l’Antarctique quand, dans sa combinaison thermique métallisée, elle se dirigea vers l’Araignée qui l’attendait, entourée d’un groupe de techniciens. Elle avait soigneusement choisi le moment ; le soleil n’était levé que depuis une heure, et ses rayons obliques montreraient le paysage taprobanien à son meilleur avantage. Son partenaire, encore plus jeune même et plus costaud que lors de la précédente et mémorable occasion, enregistrait la suite des événements pour sa vaste audience.

Elle avait, comme toujours, minutieusement tout répété. Il n’y eut aucune maladresse ni aucune hésitation lorsqu’elle sangla ses courroies, appuya sur le bouton CHARGE BATTERIE, aspira une profonde bouffée d’oxygène dans son masque, et vérifia les dispositifs de contrôle de tous ses canaux de vision et de son. Puis, comme un pilote de chasse dans un vieux film historique, elle fit signe, le pouce levé, que tout allait bien, et elle poussa doucement la commande de vitesse en avant.

Il y eut une petite salve d’applaudissements ironiques venant des ingénieurs assemblés, dont la plupart avaient déjà fait la balade jusqu’à des altitudes de quelques kilomètres. Quelqu’un cria : « Feu ! Nous voilà partis ! » et montant presque aussi vite qu’un ascenseur dans sa cage à oiseau en cuivre du temps de la reine Victoria, l’Araignée entama sa majestueuse montée.

Cela devait ressembler à une ascension en ballon, se dit Maxine. Sans heurt, sans effort, silencieuse. Non… pas complètement silencieuse, elle pouvait entendre le vrombissement léger des moteurs actionnant les multiples roues motrices qui agrippaient la surface plate du ruban. Il n’y avait rien du balancement ou des vibrations auxquels elle s’était à demi attendue ; en dépit de sa minceur, l’incroyable ruban sur lequel elle se hissait était aussi rigide qu’une barre d’acier et les gyros du véhicule le maintenaient ferme comme un roc. En fermant les yeux, elle pouvait facilement imaginer qu’elle faisait déjà l’ascension de la tour définitive. Mais, bien sûr, elle ne voulait pas fermer les yeux ; il y avait trop à voir et à absorber. Il y avait même pas mal à entendre ; c’était extraordinaire comme le son portait, les conversations d’en bas étaient encore tout à fait audibles.

Elle fit des signes de la main à Vannevar Morgan, puis elle chercha Warren Kingsley. À sa grande surprise, elle ne put le trouver ; quoiqu’il l’eût aidée à s’installer à bord de l’Araignée, il avait à présent disparu. Alors elle se souvint de son aveu – parfois il en faisait presque une sorte de gloriole plutôt forcée – que le meilleur ingénieur-constructeur du monde ne pouvait pas supporter les hauteurs… Chacun a quelque appréhension secrète – ou peut-être pas tellement secrète. Maxine n’aimait pas du tout les araignées et aurait préféré que le véhicule dans lequel elle se trouvait porte un autre nom, et pourtant elle pouvait en attraper une si c’était réellement nécessaire. La créature qu’elle ne pourrait jamais supporter de toucher – quoiqu’elle en eût souvent rencontré dans ses expéditions en plongée sous-marine – c’était la timide et inoffensive pieuvre.

Toute la montagne était à présent visible, encore que, de directement au-dessus, il fût impossible de se rendre compte de sa véritable hauteur. Les deux antiques escaliers qui y montaient en serpentant auraient aussi bien pu être des chemins plats bizarrement sinueux ; sur toute leur longueur, autant que Maxine put le voir, il n’y avait pas signe de vie. En fait, une partie avait été bloquée par un arbre tombé – comme si la nature, au bout de trois mille ans, avait prévenu qu’elle allait reprendre ce qui lui appartenait.

Laissant la caméra numéro Un pointée vers le bas, Maxine se mit à panoramiquer avec la Deux. Les champs et les forêts défilèrent sur l’écran de contrôle, puis les dômes blancs et lointains de Ranapura – ensuite les eaux sombres de la mer intérieure. Et bientôt apparut le Yakkagala.

Elle utilisa le zoom sur le Rocher et put tout juste distinguer les contours incertains des ruines qui en couvraient le sommet. Le Mur Miroir était encore dans l’ombre, ainsi que la Galerie des Princesses – non qu’il y eût le moindre espoir de les reconnaître à cette distance. Mais le dessin des Jardins de Plaisir avec leurs bassins et leurs allées, et l’immense fossé qui les entourait, étaient nettement visibles.

La file de minuscules plumets blancs l’intrigua un instant, jusqu’à ce qu’elle se rendît compte qu’elle regardait un autre symbole du défi de Kalidasa aux dieux – ses prétendues Fontaines du Paradis. Elle se demanda ce que le roi aurait pensé, s’il avait pu la voir s’élever si facilement vers le ciel de ses rêves envieux.

Presque un an avait passé depuis sa conversation avec l’ambassadeur Rajasinghe. Cédant à une soudaine impulsion, elle appela la Villa.

— Allô ! Johan, dit-elle. Comment trouvez-vous cette vue du Yakkagala ?

— Ainsi donc vous avez réussi à persuader Morgan. Quelle sensation cela vous donne-t-il ?

— Une immense exultation, c’est le seul mot qui convienne. C’est unique ; j’ai volé et voyagé dans tout ce que vous pouvez citer, mais ça, c’est tout à fait différent.

— « Parcourir en sécurité le ciel cruel…»