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— Comment ?

— Un poète anglais du début du XXe siècle :

« Que m’importe que vous jetiez des ponts sur les mers ou parcouriez en sécurité le ciel cruel…»

— Eh bien, moi ça m’importe et je me sens en sécurité. À présent, je peux voir toute l’île – et même la côte de l’Hindoustan. À quelle altitude suis-je, Van ?

— Vous allez atteindre douze mille mètres, Maxine. Votre masque à oxygène est-il bien ajusté ?

— Affirmatif. J’espère qu’il n’étouffe pas ma voix.

— Ne vous inquiétez pas, vous êtes toujours aussi facilement reconnaissable. Encore trois mille mètres.

— Combien d’oxygène reste-t-il encore dans la bouteille ?

— Assez. Et si vous essayez de monter au-dessus de quinze mille, je couperai vos commandes et je vous ramènerai moi-même ici.

— Je n’essaierai pas. Et congratulations, en passant… Cet engin est une excellente plate-forme d’observation. Vous aurez probablement des clients qui feront la queue.

— Nous avons pensé à ça. Les gens des comsats et des metsats nous ont déjà fait des demandes. Nous pouvons leur offrir des relais et des senseurs à toutes les hauteurs qu’ils voudront, tout ça nous aidera à payer les frais généraux.

— Je peux vous voir ! s’exclama soudain Rajasinghe. Je viens de capter votre image au télescope. À présent, vous agitez votre bras… Ne vous sentez-vous pas solitaire là-haut ?

Durant un moment régna un silence peu caractéristique. Puis Maxine Duval répondit tranquillement :

— Moins solitaire que Gagarine doit s’être senti, une centaine de kilomètres plus haut. Van, vous avez apporté quelque chose de nouveau en ce monde. Le ciel peut encore être cruel – mais vous l’avez dompté. Il peut y avoir des gens qui ne pourront jamais affronter cette ascension : j’en suis très triste pour eux.

37

Le Diamant d’un milliard de tonnes

Dans les sept dernières années, il avait été beaucoup fait, pourtant il restait encore beaucoup à faire. Des montagnes avaient été déplacées – ou du moins des astéroïdes. La Terre possédait maintenant une seconde lune naturelle, tournant juste au-dessus de l’orbite synchrone. Elle avait moins d’un kilomètre de diamètre et devenait rapidement plus petite à mesure qu’elle était dépouillée de son carbone et de ses autres éléments légers. Ce qu’il en resterait – le noyau ferreux, les scories et les résidus industriels – formerait le contrepoids qui garderait la Tour sous tension. Ce serait le caillou dans la fronde de quarante mille kilomètres de long qui tournait à présent avec la planète une fois toutes les vingt heures.

À cinquante kilomètres à l’est de la station Ashoka, flottait l’énorme complexe industriel qui traitait les mégatonnes de matières brutes – sans poids mais non sans masse – et les convertissait en hyperfilament. Comme le produit final était, à plus de quatre-vingt-dix pour cent, du carbone, avec ses atomes arrangés selon un réseau cristallin précis, la Tour avait acquis le surnom populaire de « Diamant d’un milliard de tonnes ». L’Association des Joailliers d’Amsterdam avait fait aigrement remarquer que : a) l’hyperfilament n’était pas du tout du diamant ; b) s’il en était, alors la Tour pesait cinq fois quinze carats à la puissance dix.

Carats ou tonnes, d’aussi énormes quantités de matière avaient grevé jusqu’à l’extrême les ressources des colonies spatiales et les capacités des techniciens orbitaux. Beaucoup du génie de la construction de l’espèce humaine, péniblement acquis au cours de deux cents ans de navigation dans l’espace, avait été dépensé dans les mines, les usines de production et les systèmes de montage automatiques sous gravité nulle. Bientôt tous les composants de la Tour – quelques éléments standardisés, produits par millions – seraient rassemblés dans d’énormes piles de stocks flottantes, attendant les manutentionnaires robots.

Ensuite la Tour s’édifierait dans deux sens opposés – en descendant vers la Terre et simultanément en montant vers la masse d’ancrage orbitale, toute la construction étant réglée de telle façon qu’elle soit toujours en équilibre. Sa section transversale irait en diminuant progressivement depuis l’orbite, où elle supporterait l’effort maximal, jusqu’à la Terre, et de même vers le contrepoids d’ancrage.

Lorsque sa tâche serait terminée, tout le complexe de construction serait lancé sur une orbite de transfert vers la planète Mars. C’était une partie du contrat qui avait provoqué quelque jalousie parmi les politiciens et les financiers terriens à présent que, trop tard, ils prenaient conscience des potentialités de la Tour.

Les Martiens avaient imposé des conditions très dures. Encore qu’ils devraient attendre encore cinq ans avant que leur investissement leur rapporte quelque chose, ils auraient alors un monopole virtuel de construction durant peut-être dix ans. Morgan avait un vif soupçon que la Tour de Pavonis ne serait simplement que la première d’une série. Mars pouvait avoir été destiné à être le site d’un système de transporteurs spatiaux et il était improbable que ses énergiques habitants laisseraient passer une telle opportunité. S’ils faisaient de leur monde le centre du commerce interplanétaire dans les années à venir, tant mieux pour eux ; Morgan avait d’autres problèmes pour le tracasser, et certains étaient encore à résoudre.

La Tour, en dépit de sa taille écrasante, était en réalité le support de quelque chose de bien plus complexe. Le long de chacun de ses côtés devaient courir trente-six mille kilomètres de voies, capables de supporter des vitesses jamais encore tentées. Ces voies devaient être alimentées en énergie sur toute leur longueur par des câbles superconducteurs, reliés à d’énormes générateurs thermonucléaires, tout le système étant commandé par un réseau d’ordinateurs incroyablement complexe et à l’abri de toute défaillance.

Le terminus supérieur, où les passagers et le fret passeraient de la Tour aux vaisseaux spatiaux qui y seraient amarrés, constituait un énorme projet en lui-même. De même, la station intermédiaire. Et aussi le terminus terrestre qui était en cours de creusage au laser au cœur de la Montagne Sacrée. Et s’ajoutait à tout cela l’opération Nettoyage…

Depuis deux cents ans, des satellites de toutes formes et de toutes dimensions, allant de boulons détachés jusqu’à des villages entiers dans l’espace, s’étaient accumulés en orbite autour de la Terre. Il fallait maintenant tenir compte de tout ce qui se trouvait au-dessous de l’altitude extrême de la Tour, à n’importe quel moment, puisque cela créait un risque possible. Les trois quarts de ce matériel étaient de la ferraille abandonnée, dont une grande partie était depuis longtemps oubliée. À présent, il fallait tout retrouver et s’en débarrasser d’une façon ou d’une autre.

Heureusement, les anciens orbitaux étaient superbement équipés pour cette tâche. Leurs radars – prévus pour détecter à extrême distance des missiles arrivant sans préavis – pouvaient aisément repérer avec la plus grande précision les détritus des débuts de l’ère spatiale. Ensuite leurs lasers vaporisaient les plus petits objets, et les plus gros étaient repoussés sur des orbites plus hautes et sans danger. Certains, qui présentaient un intérêt historique, étaient récupérés et ramenés sur la Terre. Au cours de cette opération, il y eut pas mal de surprises – par exemple, trois astronautes chinois qui avaient péri dans une mission restée secrète, et plusieurs satellites de reconnaissance construits avec un si ingénieux mélange de composants qu’il fut tout à fait impossible de découvrir quel pays les avait lancés. Non pas, bien sûr, que cela eût une grande importance, puisqu’ils étaient vieux d’au moins cent ans.