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Morgan grimpa les quelques marches, se retourna un instant sur le seuil de la capsule, puis entra prudemment à reculons. Alors qu’il s’installait et bouclait la ceinture de sécurité, il fut agréablement surpris par l’espace disponible. Quoique le type II fût certainement un véhicule à une place, on n’y éprouvait pas la sensation de claustration qu’il avait crainte – même avec l’équipement supplémentaire qu’on y avait entassé.

Les deux bouteilles d’oxygène avaient été rangées sous le siège et les masques à gaz carbonique étaient dans une petite caisse derrière l’échelle qui conduisait au sas du haut. Il semblait étonnant que si peu de chose puisse faire la différence entre la vie et la mort pour autant de gens.

Morgan avait emporté un article personnel – un souvenir de ce jour déjà bien lointain où, en un sens, tout cela avait commencé ; la mini-bobineuse ne prenait guère de place et ne pesait qu’un kilo. Avec les années, elle était devenue une sorte de talisman ; c’était toujours l’un des moyens les plus efficaces de démontrer les qualités de l’hyperfilament et chaque fois qu’il la laissait derrière lui, il s’apercevait presque invariablement qu’il en avait besoin. Pour ce voyage, plus que pour tout autre, elle pouvait bien se révéler utile.

Il brancha le conduit ombilical à déblocage instantané de son scaphandre et essaya l’arrivée d’air venant des deux réserves internes et externes. Dehors, les câbles électriques furent débranchés ; l’Araignée était libre.

On prononçait rarement de brillants discours en de tels moments – et après tout, cela allait être une opération parfaitement normale. Morgan adressa un sourire plutôt guindé à Kingsley et dit :

— Occupez-vous de la boutique, Warren, jusqu’à ce que je revienne.

Puis il remarqua la petite silhouette solitaire dans l’assistance autour de la capsule. « Mon Dieu, se dit-il, j’avais presque oublié le pauvre gosse…»

— Dev, appela-t-il, je suis désolé de n’avoir pas pu m’occuper de toi. Je réparerai ça quand je serai de retour.

« Et je le ferai » ajouta-t-il en lui-même. Lorsque la Tour serait terminée, il y aurait du temps pour tout – même pour les relations humaines qu’il avait si gravement négligées. Dev vaudrait la peine qu’on veille sur lui ; un garçon, qui savait quand s’effacer discrètement, laissait apparaître des promesses peu habituelles.

La porte courbe de la capsule – la moitié supérieure était en plastique transparent – claqua sourdement contre ses joints étanches. Morgan appuya sur le bouton VÉRIFICATION-CONTRÔLE et les indications vitales de l’Araignée défilèrent une à une sur l’écran. Toutes étaient en vert ; il n’y avait aucune nécessité de noter les chiffres précis. Si l’une des valeurs avait été hors de la normale, elle aurait clignoté en rouge deux fois par seconde. Néanmoins, avec sa prudence habituelle d’ingénieur, Morgan observa que l’oxygène était à cent deux pour cent, la puissance de la batterie principale à cent un pour cent, celle de la batterie de renfort à cent cinq pour cent…

La voix calme, tranquille, du contrôleur – le même spécialiste imperturbable qui avait surveillé toutes les opérations depuis la première descente ratée du filament, il y avait des années – retentit à son oreille.

— Tous systèmes normaux. Vous avez les commandes.

— J’ai les commandes. J’attendrai jusqu’à ce que vienne la prochaine minute.

Il était difficile d’imaginer un contraste plus grand avec le lancement d’une ancienne fusée, avec son compte à rebours minutieux, son chronométrage à la fraction de seconde, son bruit et sa fureur. Morgan attendit simplement que les deux derniers chiffres affichés par la pendule deviennent des zéros, puis il mit le courant à sa plus faible puissance.

Sans à-coup – silencieusement – la montagne illuminée par les projecteurs s’enfonça au-dessous de lui. Pas même une ascension en ballon n’aurait pu être plus paisible. S’il écoutait avec attention, il pouvait tout juste entendre le vrombissement des deux moteurs actionnant les grosses roues motrices à friction qui agrippaient le ruban à la fois au-dessus et au-dessous de la capsule.

Taux d’ascension, cinq mètres par seconde, disait l’indicateur de vitesse. Par petits coups lents et réguliers, Morgan augmenta la puissance jusqu’à ce que l’allure atteignît cinquante mètres par seconde – un peu moins de deux cents kilomètres à l’heure. Cela donnait le rendement maximal avec la charge présente de l’Araignée ; lorsque la batterie auxiliaire serait larguée, la vitesse pourrait être augmentée de vingt-cinq pour cent jusqu’à près de deux cent cinquante kilomètres à heure.

— Dites quelque chose, Van ! dit la voix amusée de Warren Kingsley, venant du monde d’en bas.

— Laissez-moi tranquille, répondit Morgan, de bonne humeur. J’ai l’intention de me détendre et de jouir de la vue pendant les deux prochaines heures. Si vous vouliez un commentaire minute par minute, vous auriez dû envoyer Maxine Duval.

— Elle vous appelle depuis une heure.

— Faites-lui mes amitiés et dites que je suis occupé. Peut-être quand j’atteindrai la Tour… Quelles sont les dernières nouvelles de là-haut ?

— Température stabilisée à vingt degrés. Le Contrôle Mousson leur lance un mégawattage modeste toutes les dix minutes. Mais le Pr Sessui est furieux, il prétend que cela dérègle ses instruments.

— Et l’air ?

— Pas aussi bien. La pression est nettement tombée et, bien entendu, le gaz carbonique s’accumule, mais ils devraient aller bien si vous arrivez à l’heure. Ils évitent tous mouvements inutiles, pour économiser l’oxygène.

« Tous, sauf le Pr Sessui, je parie », se dit Morgan. Ce serait intéressant de rencontrer l’homme qu’il essayait de sauver. Il avait lu plusieurs des ouvrages populaires si vantés du savant et les considérait prétentieux et verbeux. Il soupçonnait que l’homme devait aller avec le style.

— Et la situation à 10 K ?

— Encore deux heures avant que le véhicule puisse partir ; ils installent des circuits spéciaux afin d’être tout à fait certains que rien ne prendra feu cette fois…

— Très bonne idée… de Bartok, je suppose.

— Probablement. Et ils descendront par la voie nord, juste au cas où la voie sud aurait été endommagée par l’explosion. Si tout va bien, ils arriveront dans – oh ! – vingt et une heures. Largement à temps même si nous n’envoyons pas l’Araignée une seconde fois avec un autre chargement.

En dépit de sa remarque, seulement à demi en plaisanterie, à Kingsley, Morgan savait qu’il était beaucoup trop tôt pour commencer à se détendre. Pourtant tout semblait aller aussi bien qu’on pouvait l’espérer ; et il n’y avait certainement rien d’autre qu’il pût faire durant les trois heures à venir que d’admirer la vue qui s’élargissait sans cesse.