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Il était déjà à trente kilomètres de hauteur dans le ciel, et montait rapidement et silencieusement dans la nuit tropicale. Il n’y avait pas de lune, mais la Terre au-dessous de lui était révélée par les constellations scintillantes de ses villes et de ses villages. Quand il regardait les étoiles en haut et ces autres étoiles en bas, Morgan pouvait facilement s’imaginer qu’il était loin de toute planète, perdu dans les profondeurs de l’espace. Bientôt, il put voir l’île de Taprobane tout entière, faiblement dessinée par les lumières des agglomérations côtières. Loin vers le nord, un halo lumineux montait lentement à l’horizon comme pour annoncer une aube bizarrement déplacée. Cela l’intrigua un moment jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il apercevait l’une des grandes cités du sud de l’Hindoustan.

Il était à présent plus haut qu’aucun avion ne pût monter et ce qu’il avait déjà fait était unique dans l’histoire des transports. Quoique l’Araignée et ses précurseurs eussent fait d’innombrables voyages jusqu’à vingt kilomètres d’altitude, personne n’avait été autorisé à aller plus haut à cause de l’impossibilité d’un sauvetage. Il n’avait pas été prévu de commencer des opérations sérieuses avant que la base de la Tour soit beaucoup plus proche et que l’Araignée eût au moins deux compagnes qui puissent monter et descendre le long des autres rubans du système. Morgan repoussa la pensée de ce qui pourrait arriver si le mécanisme de propulsion se coinçait ; cela condamnerait à mort les réfugiés du Sous-Sol, et lui aussi.

Cinquante kilomètres ; il avait atteint ce qui, en temps normal, aurait été la couche la plus basse de l’ionosphère. Il ne s’attendait pas, bien entendu, à voir quoi que ce soit ; mais il se trompait.

Le premier signe fut un faible crépitement venant du haut-parleur de la capsule, et, du coin de l’œil, il aperçut une petite lueur tremblotante. Elle était immédiatement au-dessous de lui, reflétée dans le rétroviseur dirigé vers le bas, juste hors du petit hublot de l’Araignée. Il orienta le miroir autant qu’il put le faire tourner jusqu’à ce qu’il fût dirigé sur un point situé à deux mètres environ au-dessous de la capsule. Durant un instant, il resta le regard fixe de stupéfaction et aussi d’une certaine inquiétude ; puis il appela la Montagne.

— J’ai de la compagnie, dit-il. Je pense que cela entre dans le domaine du Pr Sessui. Il y a une boule de lumière – oh ! d’une vingtaine de centimètres de diamètre, qui suit le ruban, juste en dessous de moi. Elle garde une distance constante et j’espère qu’elle restera là. Mais je dois dire qu’elle est très belle – une ravissante luminescence bleuâtre qui clignote toutes les quelques secondes. Et je peux l’entendre sur la liaison radio.

Une minute entière passa avant que Kingsley réponde d’un ton de voix rassurant.

— Ne vous inquiétez pas… Ce n’est qu’un feu Saint-Elme. Nous avons eu des manifestations similaires le long du ruban pendant des orages ; cela peut vous faire dresser les cheveux sur la tête à bord du type I. Mais vous ne pouvez rien sentir… Vous êtes trop bien protégé.

— Je n’avais aucune idée que cela pût se produire à cette altitude.

— Nous non plus. Vous ferez mieux d’en parler avec le professeur.

— Oh !… cela s’efface… Ça devient plus gros et plus faible… Maintenant, c’est parti… Je suppose que l’air est trop ténu… Je regrette que cela ait disparu…

— Ce n’était qu’un lever de rideau, dit Kingsley. Regardez ce qui se passe tout droit au-dessus de vous.

Une portion rectangulaire du champ étoilé bascula en un éclair tandis que Morgan réorientait le miroir vers le zénith. D’abord, il ne put rien voir d’inhabituel ; il éteignit alors tous les voyants lumineux sur son tableau de bord et attendit dans l’obscurité complète.

Lentement ses yeux s’adaptèrent et, dans les profondeurs du miroir, une faible lueur rougeoyante apparut, s’étala, et dévora les étoiles. Elle devint de plus en plus brillante et s’élargit hors des limites du miroir ; à présent, Morgan pouvait la voir directement, car elle descendait en couvrant la moitié du ciel. Une cage de lumière, aux barreaux mouvants, papillotants, s’abaissait vers la Terre ; et maintenant, Morgan put comprendre pourquoi un homme comme le Pr Sessui pouvait consacrer sa vie à en éclaircir les secrets.

Pour l’une de ses rares visites à ces basses latitudes, l’aurore polaire s’était mise en route vers l’équateur.

47

Au delà de l’aurore polaire

Morgan doutait que même le Pr Sessui, à cinq cents kilomètres au-dessus de lui, eût une vue aussi spectaculaire. L’orage magnétique se développait rapidement ; la radio à ondes courtes – encore utilisée pour de nombreux services non essentiels – devait être à présent complètement perturbée dans le monde entier. Morgan n’était pas certain qu’il entendît ou perçût un léger bruit confus, comme un murmure de sable qui s’écoule ou le craquement de brindilles sèches. Contrairement aux parasites radio-électriques de la boule de feu, cela ne venait certainement pas du système haut-parleur, car le bruissement resta encore quand il coupa le circuit.

Des draperies de flammes vert pâle, bordées de cramoisi, étaient tendues à travers le ciel puis secouées lentement en avant et en arrière comme par une main invisible. Elles s’agitaient sous les rafales de vent solaire, la tempête qui souffle à un million de kilomètres à l’heure du Soleil vers la Terre – et loin au delà. Même au-dessus de Mars, une faible aurore fantomale clignotait en ce moment ; et vers le Soleil, les cieux empoisonnés de Vénus étaient embrasés. Au-dessus des draperies ondulantes, de longs rayons, comme les branches à demi ouvertes d’un éventail, se déployaient autour de l’horizon ; parfois ils brillaient tout droit dans les yeux de Morgan comme le faisceau d’un projecteur géant, le laissant ébloui durant des minutes. Il n’y avait plus besoin d’éteindre l’éclairage de la capsule pour éviter d’en être aveuglé ; le feu d’artifice céleste à l’extérieur était assez lumineux pour permettre de lire.

Deux cents kilomètres. L’Araignée montait toujours sans bruit, sans effort. Morgan avait de la difficulté à croire qu’il n’avait quitté la Terre que depuis exactement une heure. De la difficulté même à croire que la Terre existait encore, car il s’élevait entre les parois d’un canyon de flammes.

L’illusion ne dura que quelques secondes ; ensuite l’équilibre momentanément instable entre les champs magnétiques et les nuages électriques qui arrivaient fut détruit. Mais, pendant ce bref instant, Morgan put vraiment croire qu’il se hissait hors d’un gouffre qui aurait réduit à l’insignifiance même la Valles Marineris – le Grand Canyon de Mars. Puis les falaises chatoyantes, d’au moins cent kilomètres de haut, devinrent translucides et furent percées par les étoiles. Il put les voir pour ce qu’elles étaient en réalité – de simples fantômes de fluorescence.

Et à présent, comme un avion qui sort d’une couche de nuages bas, l’Araignée s’élevait vite au-dessus des aurores polaires. Morgan émergeait d’une brume ardente, qui se tordait et tournait au-dessous de lui. Voilà bien des années, il s’était trouvé à bord d’un navire de croisière, voguant dans la nuit tropicale, et il se souvenait comment il avait rejoint les autres passagers à l’arrière, extasiés par la beauté et la merveille du sillage bioluminescent. Certains des verts et des bleus qui scintillaient au-dessous de lui en ce moment rivalisaient avec les couleurs engendrées par le plancton qu’il avait vues alors, et il pouvait aisément imaginer qu’il admirait de nouveau les phénomènes dérivés de la vie – les jeux d’invisibles bêtes géantes, habitantes de la haute atmosphère…