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Il était inutile, bien sûr, d’ajouter que la mission devait, maintenant, être abandonnée. Tout le monde savait parfaitement bien qu’il n’était pas possible à l’Araignée d’atteindre la Tour en portant plusieurs centaines de kilos de poids mort.

48

La nuit à la villa

L’ambassadeur Rajasinghe avait peu besoin de sommeil ces nuits-ci ; c’était comme si une nature bienveillante lui accordait l’usage maximal des années qui lui restaient. Et en un moment comme celui-là, alors que les cieux taprobaniens étincelaient de leur plus grande merveille depuis des siècles, qui aurait pu rester au lit ?

Comme il aurait désiré que Paul Sarath fût là pour partager ce spectacle ! Son vieil ami lui manquait plus qu’il ne l’aurait cru possible ; il n’existait personne qui pût le contrarier et le stimuler autant que Paul – personne n’avait avec lui le même lien d’expérience partagée remontant jusqu’à l’enfance. Rajasinghe n’avait jamais pensé qu’il survivrait à Paul et verrait la fantastique stalactite d’un milliard de tonnes de la Tour franchir presque l’abîme entre sa base orbitale et Taprobane à trente-six mille kilomètres au-dessous. Jusqu’à la fin, Paul avait été absolument opposé au projet ; il l’avait traité d’épée de Damoclès et n’avait jamais cessé de prédire sa chute finale sur la Terre. Cependant, même Paul avait admis que la Tour avait déjà procuré quelques bénéfices assez importants.

Pour la première fois peut-être dans l’histoire, le reste du monde savait réellement que Taprobane existait, et découvrait son antique culture. Le Yakkagala, avec son aspect sombrement songeur et ses légendes sinistres, avait attiré une attention spéciale ; d’où il avait résulté que Paul avait pu obtenir les appuis nécessaires à quelques-uns des projets qu’il chérissait. La personnalité énigmatique du créateur du Yakkagala avait déjà été à l’origine de nombreux ouvrages et vidéodrames, et le spectacle son et lumière au pied du Rocher affichait invariablement complet. Peu avant sa mort, Paul avait remarqué, avec un sourire incertain, qu’une petite industrie était en train de naître autour de Kalidasa et qu’il devenait de plus en plus difficile de distinguer la fiction de la réalité.

Peu après minuit, lorsqu’il devint évident que la spectaculaire aurore polaire avait dépassé son apogée, Rajasinghe avait été ramené dans sa chambre à coucher. Comme il le faisait toujours lorsqu’il avait dit bonne nuit à ses domestiques, il but un verre de grog chaud et prit le dernier journal télévisé. La seule chose qui l’intéressait vraiment était de savoir où en était Morgan ; à présent, il devait approcher de la base de la Tour.

Le commentateur avait déjà mis en vedette la dernière nouvelle : une ligne de caractères clignotants sans cesse annonçait :

MORGAN BLOQUÉ A 200 KM DU BUT

Les doigts de Rajasinghe pianotèrent sur sa console, réclamant des précisions, et il fut soulagé de constater que ses premières craintes étaient sans fondement, Morgan n’était pas bloqué ; mais il était incapable de terminer le voyage. Il pouvait revenir sur Terre quand il voudrait, mais s’il le faisait, le Pr Sessui et ses compagnons seraient certainement condamnés.

Tout droit au-dessus de sa tête, ce drame silencieux se jouait en ce moment même. Rajasinghe passa du texte à la vision mais il n’y avait rien de nouveau – en fait, sur l’écran repassaient les actualités d’il y avait des années, montrant l’ascension de Maxine Duval dans l’ancêtre de l’Araignée.

— Je peux faire mieux que cela, moi, marmonna Rajasinghe et il passa à son télescope tant aimé.

Durant les premiers mois après qu’il eut été cloué au lit, il n’avait pas eu la possibilité de s’en servir. Puis Morgan était venu lui faire l’une de ses brèves visites de politesse ; il avait analysé la situation et rapidement prescrit le remède. Une semaine plus tard, à la surprise et au grand plaisir de Rajasinghe, une petite équipe de techniciens était arrivée à la villa Yakkagala et avait modifié l’instrument afin qu’il pût être commandé à distance. À présent, il pouvait rester confortablement couché dans son lit et explorer les cieux étoilés, et la haute paroi lointaine du Rocher. Il était profondément reconnaissant à Morgan de ce geste, qui lui avait révélé un aspect de la personnalité de l’ingénieur qu’il ne soupçonnait pas.

Il n’était pas certain de ce qu’il pouvait voir dans l’obscurité de la nuit, mais il savait exactement où regarder car il avait depuis longtemps suivi la lente descente de la Tour. Lorsque le soleil était à l’angle voulu, il pouvait même entrevoir les rubans de guidage convergeant vers le zénith, quatre lignes minces comme un cheveu, tracées dans le ciel.

Il régla la commande d’azimut du télescope et orienta l’instrument jusqu’à ce qu’il fût pointé au-dessus de la Sri Kanda. Lorsqu’il commença à le diriger doucement sur le haut à la recherche d’un signe de la capsule, il se demanda ce que pensait le Maha Thero de ce dernier événement. Bien que Rajasinghe n’eût pas parlé à ce haut dignitaire religieux – qui avait à présent bien dépassé les quatre-vingt-dix ans – depuis que l’Ordre était parti à Lhassa, il croyait savoir que le Potala n’avait pas fourni l’asile espéré. L’énorme palais tombait lentement en ruine pendant que les représentants du Dalaï-Lama chicanaient sur le coût de son entretien avec le gouvernement fédéral chinois. Selon les dernières informations reçues par Rajasinghe, le Maha Thero négociait à présent avec le Vatican – également en difficultés financières chroniques, mais du moins toujours maître de sa Cité.

Toutes choses étaient vraiment transitoires, mais il n’était pas facile de discerner un cycle quelconque. Peut-être le génie mathématique du Parakarma-Goldberg aurait-il pu y parvenir ; la dernière fois que Rajasinghe l’avait vu, il recevait un important prix scientifique pour sa contribution à la météorologie. Rajasinghe ne l’aurait jamais reconnu ; il était rasé de près et portait un costume à la toute dernière mode néo-napoléonienne. Mais à présent, semblait-il, il avait encore changé de religion… Les étoiles glissaient lentement vers le bas de l’écran de vision au pied du lit tandis que le télescope se levait peu à peu vers la Tour. Cependant, il n’y avait pas de signe de la capsule, quoique Rajasinghe fût certain qu’elle était à présent dans le champ de vision.

Il allait revenir au canal habituel des actualités lorsque, telle une nova, une éclatante étoile surgit brusquement près du bord inférieur de l’image. Un instant, Rajasinghe se demanda si la capsule avait explosé, puis il vit qu’elle brillait d’une lumière parfaitement stable. Il centra l’image et passa au grossissement maximal.

Voilà longtemps, il avait vu à la télévision un documentaire vieux de deux siècles, des premières guerres aériennes, et il se souvint soudain d’une séquence qui montrait une attaque de nuit sur Londres. Un bombardier ennemi avait été pris dans les faisceaux croisés des projecteurs, et il avait semblé suspendu là comme un moucheron incandescent dans le ciel. C’était le même phénomène qu’il voyait maintenant, à une échelle cent fois plus grande, mais cette fois, toutes les ressources du sol étaient combinées pour aider, non pour détruire cet intrus découvert dans la nuit.

49

Secousses

La voix de Warren Kingsley avait repris son contrôle ; à présent, elle était simplement sourde et désespérée.

— Nous essayons d’empêcher ce mécanicien de se suicider, disait-il. Cependant, il est difficile de le blâmer. Il a été interrompu par un autre travail urgent sur la capsule et il a simplement oublié d’enlever l’attache de sécurité.