Il s’était réinstallé dans son siège mais la capsule était encore ouverte sur l’espace et il n’avait pas encore re-bouclé sa ceinture de sécurité. Le faire aurait été admettre sa défaite et cela ne lui avait jamais été facile.
L’éclat éblouissant du laser de Kinte, qui venait presque tout droit d’au-dessus, le tenait encore immobilisé dans sa lumière impitoyable. Il essaya de concentrer son esprit sur le problème, avec autant de précision que ce rayon était fixé sur lui.
Tout ce dont il avait besoin, c’était de quelque chose pour couper le métal – une scie à métaux ou une paire de cisailles, capable de couper la bande qui retenait la batterie. Une fois encore, il maudit le fait qu’il n’y eût pas de boîte à outils à bord de l’Araignée, et, même alors, elle n’aurait probablement pas contenu ce qu’il lui fallait.
Il y avait des mégawatts-heures d’énergie emmagasinés dans la propre batterie de l’Araignée ; pouvait-il l’utiliser d’une manière ou d’une autre ? Il imagina un bref instant pouvoir arranger un arc électrique et découper la bande, cependant même si les gros conducteurs nécessaires avaient été disponibles – et bien entendu, ils ne l’étaient pas – la batterie principale était inaccessible de la cabine de commande.
Warren et tous les brillants cerveaux réunis autour de lui n’avaient pas réussi à trouver une solution. Il en était réduit à lui-même, physiquement et intellectuellement. C’était, après tout, la situation qu’il avait toujours préférée.
Et alors, comme il allait tendre la main et fermer la porte de la capsule, Morgan sut ce qu’il devait faire. La réponse avait toujours été là, tout près du bout de ses doigts.
52
La passagère oubliée
Pour Morgan, il sembla qu’un énorme poids lui avait été enlevé des épaules. Il se sentit complètement, irrationnellement, confiant. Cette fois sûrement, cela devait marcher.
Néanmoins, il ne bougea pas de son siège, jusqu’à ce qu’il eût combiné ses gestes dans leurs plus minutieux détails. Et quand Kingsley, semblant un peu anxieux, le pressa de nouveau de revenir en hâte, il ne lui donna qu’une réponse évasive. Il ne voulait pas susciter de faux espoirs – ni sur la Terre ni dans la Tour.
— Je tente une expérience, dit-il. Laissez-moi tranquille quelques minutes.
Il prit la boîte d’hyperfilament qu’il avait utilisée pour tant de démonstrations – la mini-bobineuse qui, voilà des années, lui avait permis de descendre le long de la paroi du Yakkagala. Une modification y avait été apportée pour des raisons de sécurité ; le premier mètre d’hyperfilament avait été recouvert d’une gaine de plastique ; de telle façon qu’il n’était plus tout à fait invisible et pouvait être manié avec précaution, même les doigts nus.
Tandis que Morgan regardait la petite boîte dans sa main, il se rendit compte qu’il en était venu à la considérer comme un talisman – presque une amulette porte-bonheur. Bien sûr, il ne croyait pas réellement à de pareilles choses ; il avait toujours eu une raison parfaitement logique d’emporter la mini-bobineuse avec lui. Dans le cas de cette ascension, il lui était apparu qu’elle pourrait être utile à cause de sa solidité et de sa puissance unique de levage. Il avait presque oublié qu’elle avait également d’autres possibilités.
De nouveau, il se hissa hors de son siège et s’agenouilla sur la grille métallique du petit seuil de l’Araignée afin d’examiner la cause de tous les ennuis. Le boulon fautif n’était qu’à dix centimètres de l’autre côté de la grille et bien que les barreaux de celle-ci fussent trop rapprochés pour qu’il pût passer la main entre eux, il avait déjà démontré qu’il pouvait l’avancer par-dessus sans trop de difficulté.
Il déroula le premier mètre de filament gainé et se servant de l’anneau monté au bout comme de la masse d’un fil à plomb, il le fit descendre à travers la grille. Enfonçant la boîte solidement dans un coin de la cabine, de façon à ne pas risquer de l’envoyer accidentellement par-dessus bord, il passa la main par-dessus la grille jusqu’à ce qu’il pût saisir l’anneau suspendu. Ce ne fut pas aussi facile qu’il avait pensé, parce que même sa remarquable combinaison spatiale ne lui permettait pas de plier le bras tout à fait librement, et l’anneau échappait à ses doigts en se balançant en avant et en arrière.
Après une demi-douzaine de tentatives – plus fatigantes qu’ennuyeuses, parce qu’il savait qu’il y arriverait tôt ou tard – il avait réussi à passer le filament autour de la tige du boulon juste en arrière de la bande qu’il maintenait encore en place. Maintenant était venue la partie réellement délicate de l’opération…
Morgan déroula juste assez de filament nu de la mini-bobineuse pour atteindre le boulon et le passer autour ; puis il tira sur les deux bouts jusqu’à ce qu’il sentît la boucle accrocher dans le filetage. Il n’avait jamais essayé ce procédé avec une tige d’acier trempé de plus d’un centimètre d’épaisseur, et n’avait aucune idée du temps que cela prendrait. S’arc-boutant dans l’ouverture de la porte, il se mit à actionner sa scie invisible.
Au bout de cinq minutes, il était en eau et ne pouvait pas dire s’il avait fait le moindre progrès. Il ne voulait pas relâcher la tension de peur que le filament ne s’échappe dans l’entaille tout aussi invisible qu’il pratiquait – espérait Morgan – dans le boulon. Plusieurs fois, Warren l’avait appelé, paraissant de plus en plus alarmé, et il ne l’avait que brièvement rassuré. Bientôt il devrait se reposer un moment, retrouver son souffle – et expliquer ce qu’il tentait de faire. C’était bien le moins qu’il devait à ses amis anxieux.
— Van, dit Kingsley, qu’avez-vous au juste en tête ? Les gens qui sont dans la Tour ont appelé. Que dois-je leur dire ?
— Donnez-moi encore quelques minutes… J’essaie de scier le boulon…
La voix de femme calme et autoritaire qui interrompit Morgan lui donna un tel choc qu’il en lâcha presque le précieux filament. Les mots étaient assourdis par sa combinaison mais cela n’avait pas d’importance. Il ne les connaissait que trop bien, quoique cela fit des mois qu’il les avait entendus pour la dernière fois.
— Dr Morgan, disait CORA, veuillez, je vous prie, vous allonger et vous détendre pendant dix minutes.
— Est-ce que cinq ne vous suffiraient pas ? implora-t-il. Je suis plutôt occupé pour le moment.
CORA ne daigna pas répondre ; bien qu’il y eût des modèles qui pouvaient tenir des conversations simples, celui-là n’en faisait pas partie.
Morgan tint sa promesse, respira profondément et régulièrement pendant cinq minutes. Puis il recommença à scier. Il actionnait le filament en avant et en arrière, en avant et en arrière, à genoux sur la grille, avec la Terre à quatre cents kilomètres au-dessous de lui. Il sentait une forte résistance, donc il devait faire quelques progrès dans l’acier tenace. Mais combien au juste, il n’y avait aucun moyen de le dire.
— Dr Morgan, dit CORA, vous devriez vraiment vous allonger une demi-heure.
Morgan jura doucement en lui-même.
— Vous faites erreur, ma jeune dame, rétorqua-t-il. Je me sens très bien, mais il mentait.
CORA savait la douleur qu’il ressentait dans sa poitrine.
— À qui diable parlez-vous, Van ? demanda Kingsley.
— Simplement à un ange qui passait, répondit Morgan. Désolé d’avoir oublié de fermer le micro. Je vais me reposer de nouveau un peu.