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— Tout ce que vous m’avez dit est resté là-dedans, dit Holden, en se frappant le front. Même Marina n’en sait rien, et aucun membre de la commission non plus. Lorsque vous aurez rédigé un rapport, ce sera autre chose, mais jusqu’à présent, nous n’avons fait qu’échanger des hypothèses orales, et je les garde pour moi.

— Ce n’était donc qu’une coïncidence, fit Kovask sans conviction. Ce matin, je vais retrouver Varegas. Nous devons identifier cette fameuse fille aux lunettes.

— Si c’est une Chilienne ?

— Evidemment, dit Kovask. C’est un risque. Mais si elle est Américaine, elle ne pourra refuser de se rendre à votre convocation. Au risque d’avoir par la suite des difficultés.

L’œil bleu du sénateur se fit encore plus aigu. Il tira quelques bouffées de son cigare, puis s’empara d’une feuille, et la signa de son nom.

— Tenez, dit-il. Une convocation en blanc à comparaître. Vous y mettrez le nom, lorsque vous le saurez. Vous croyez que ce sera suffisant ?

— Les commissions sénatoriales d’enquête ont chez nous une grande autorité, et nul ne prendrait à la légère la décision de ne pas se présenter devant elles.

Holden grogna :

— Souhaitons-le. Je vous revois quand ?

— Peut-être pas de la journée.

— Dommage, dit le vieil homme, j’aurais aimé déjeuner avec vous, dans un coin tranquille ; je suis sûr que vous aimez vous taper la cloche à l’occasion, et comme en ce moment ma goutte me laisse tranquille, je voudrais bien en profiter.

— Oh ! mais je retiens l’invitation, sénateur, et lorsque tout sera fini, nous pourrons peut-être fêter notre victoire, dans quelque restaurant de New York.

— Ouais. Espérons que nous aurons la victoire.

Comiquement, il leva son index et son majeur en V, ce qui acheva de le faire ressembler à Churchill.

Dans l’antichambre, Marina raccrochait le téléphone, lorsqu’il sortit de chez le sénateur. Elle lui sourit :

— Vous l’avez déridé ?

— Je pense. Qui attendez-vous aujourd’hui ?

— Oh ! des tas de gens. Des employés d’ambassade, un consul, un représentant de sociétés pétrolières. Le sénateur a envoyé une foule de convocations, et nous en avons au moins jusqu’à 22 heures, si tous ces gens-là se présentent aujourd’hui.

— Prenez-vous ce qui se dit en sténo ?

— Pas du tout, ce serait du temps perdu. Non, tout est enregistré, et confié ensuite aux dactylos. On découpe la bande en morceaux égaux. Nous avons déjà plusieurs centaines de pages dactylographiées. Mais le contenu en est plutôt décevant pour ce que nous recherchons, mais très important pour l’histoire des événements, vus par différentes personnes.

Il consulta sa montre. Il avait juste le temps de partir rejoindre Jorge Varegas, du côté du chantier du métro dans Alameda.

— Nous reverrons-nous ce soir ? chuchota-t-elle d’un air indifférent.

— Mais je l’espère, répondit-il.

Lorsqu’il eut garé sa Peugeot, il se dirigea vers l’énorme chantier du métro, dont les matériaux avaient souvent été utilisés dans un passé récent, même du temps d’Allende, lorsqu’il y avait des heurts entre grévistes et forces de l’ordre. Il fit le tour des palissades défoncées en plusieurs endroits. La circulation était normale, et la foule très nombreuse. Il y avait bien une automitrailleuse dans le coin, et quelques soldats qui allaient et venaient, mais l’atmosphère ne paraissait pas tendue.

Il vit Varegas venir à sa rencontre. L’ex-camionneur avait essayé de soigner sa tenue, pour ne pas trop détonner dans le centre ville, mais il ne portait que de pauvres vêtements.

Avant d’accoster l’Américain, il regarda derrière lui avec méfiance.

— Je viens de l’hôpital. Ils m’ont donné des médicaments, et le conseil de ne pas continuer mon métier. Que voulez-vous que je fasse d’autre ? Vous avez pu vous en tirer hier soir ?

— Parfaitement, et vous ?

— Ils ne sont pas venus chez moi. Fausse alerte. Il paraît qu’ils ont arrêté un type pas très loin.

— Il m’a semblé entendre des coups de feu.

— Oui. Un soldat a tiré sur un chien qui voulait le mordre. Mais cela a suffi pour effrayer tout le monde.

— Venez jusqu’à ma voiture.

Kovask roula lentement dans le flot de la circulation, expliqua à son compagnon ce qu’il attendait de lui.

— Nous allons nous poster en face des bureaux d’un certain Mervin. Le personnel sortira à midi pour aller déjeuner. Les bureaux ferment entre midi et 14 heures. Vous n’aurez qu’à regarder les femmes qui sortiront.

Il trouva difficilement une bonne place, juste en face de l’immeuble en question, dut faire plusieurs fois le tour du pâté de maisons.

— Est-ce que votre syndicat de transporteurs avait des relations avec la Banque Allemande pour le Chili ?

Enfoncé dans son siège, une cigarette piquée entre ses lèvres, Varegas parut réfléchir :

— J’ai entendu ce nom. C’est possible, mais je ne peux rien vous garantir.

— Essayez de vous souvenir.

Enfin, il put faire un créneau entre deux voitures.

— On va attendre là-dedans ? demanda Varegas inquiet. Il peut y avoir une patrouille.

— Je sais, mais la sortie des bureaux approche, et il nous faut en prendre le risque.

Kovask surveillait également les gens qui pénétraient dans l’immeuble, essayant de se souvenir de certains visages, mais cette attention soutenue ne donna pas grand-chose. Puis midi sonna quelque part dans le quartier. L’immeuble devait comporter d’autres bureaux que ceux de Mervin, car de très jeunes filles en minijupe sortirent en discutant et en riant très fort.

— Ce doit être un cours de secrétariat, dit Varegas.

— Possible.

— Attention, voilà Michaël Mervin !… Je le reconnais parfaitement. Il n’a pas changé. Il a l’air d’un bon garçon comme ça, avec son visage rond et ses lunettes, son air dans la lune.

Mervin se dirigeait tranquillement vers une Chevrolet déjà ancienne, s’installait au volant. Ils l’avaient suivie du regard, et faillirent manquer la sortie du personnel.

— La voilà, dit Varegas la voix vibrante. La grosse fille qui porte une veste à col fourré. Elle est toute seule.

— Vous êtes sûr ?

— Absolument, dit Varegas. Je la reconnais parfaitement. Vous n’avez qu’à regarder ses jambes.

— Je n’ai plus besoin de vous, dit Kovask. Rentrez dans votre quartier. Je vous reverrai prochainement. Vous vous souvenez toujours des numéros de ces marks ?

— Ils sont bien gravés dans mon esprit. Rien que des billets de cent marks.

Il paraissait amer, et Kovask n’avait pas le temps de le rassurer plus complètement.

— Je tiens toujours mes promesses, dit-il. Soignez vos mains, et faites-moi confiance.

Le premier, il quitta la voiture, se précipita, et vit de loin la grosse fille. Elle avait une taille assez élevée, et dominait les gens d’une demi-tête. Elle rappela au Commander certaines étudiantes fortes en thème des universités américaines.

Puis elle disparut, et il arriva en face d’un petit restaurant chinois. La fille avait dû pénétrer là-dedans, et sans hésiter, il en fit autant.

Elle était installée dans un coin juste sous une lanterne en papier, et consultait la carte. Il n’y avait pas encore grand monde, et Kovask put trouver une table bien placée pour la surveiller.

Tout au long du repas, alors qu’il se contentait de riz et de poisson, il fut ahuri par la quantité de nourriture que cette fille pouvait avaler, avec une gloutonnerie sans pareille. Jamais il n’avait assisté à pareille boulimie, et il arrivait à l’inconnu de se servir de ses doigts, lorsque les baguettes la gênaient. Les serveurs paraissaient la connaître, et plaisantaient avec elle.