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— Il n’y a pas de problème. En aurais-tu douté ?

La Mamma arriva avec le café.

— D’ailleurs, j’en profiterai pour vous soigner, ma petite. Vous n’avez pas très bonne mine. J’ai mes propres remèdes pour la grippe, et ils sont très efficaces.

— Je croyais que tu épouserais Miguel Ortanez, lui dit plus tard Kovask, alors qu’ils étaient seuls.

Elle secoua la tête :

— Il était très gentil, et nous sommes sortis plusieurs fois ensemble par la suite. Nous sommes même devenus très intimes, et il voulait que je sois sa femme, mais j’ai refusé.

— Tu ne regrettes rien ?

— Non. Lorsque l’Union Populaire est venue au pouvoir, il est retourné aux U.S.A. Il était beaucoup plus américain que chilien d’ailleurs. Il m’a écrit qu’il s’était marié, et dernièrement, pour m’annoncer la naissance de son premier enfant. Un fils. Il l’a appelé Luis.

— Et la tribu de Port-Palaz ?

— Mon père est mort. Les autres se sont dispersés. Il n’y a plus de tribu, et je ne les ai pas vus depuis longtemps.

Ils restèrent rêveurs, se souvenant des événements tragiques qu’ils avaient vécus dans le sud.

— J’ai toujours pensé que je ne te reverrais plus, dit-elle. Serais-tu venu, même si tu n’avais pas eu besoin de moi ?

Il hocha la tête :

— Je crois que oui. Il est très difficile de t’oublier, Luisna.

Elle lui prit la main, la porta lentement à ses lèvres fiévreuses.

— C’est très agréable d’entendre des paroles pareilles, fit-elle en souriant, même si ce sont des mensonges.

CHAPITRE VII

Comme tous les soirs, Ciprelle Erwing attendait que toutes les employées aient quitté les bureaux, pour passer une dernière inspection des lieux. Elle avait l’entière confiance de Michaël Mervin à ce sujet, et en profitait pour fourrer son nez dans les petits secrets des dactylos et des secrétaires. Parfois, elle découvrait une lettre d’amour, qu’elle lisait sans vergogne, une photographie, qu’elle examinait avec soin. Il lui était arrivé de découvrir des livres, ou des revues pornographiques, qu’elle feuilletait, l’œil trouble. Une des filles avait un jour oublié une boîte de préservatifs dans un tiroir, et Ciprelle en avait chipé un, qu’elle avait emporté chez elle. Etonnée, elle l’avait déployé, puis après quelques hésitations, gonflé légèrement. Durant plusieurs jours, elle avait conservé cette figuration obscène du sexe mâle, avant de la crever, à coups d’aiguille rageurs.

Tous les soirs, elle vidait les corbeilles à papiers, étudiait les carbones, pour être certaine, qu’ils n’avaient servi qu’à des besognes courantes. Mervin comptait sur elle, pour que personne ne vienne regarder d’un peu trop près ses activités secrètes. Persuadée que nul n’avait commis d’indélicatesse, elle alla fermer à clé le photocopieur, et enfila sa veste fourrée. D’ores et déjà, elle avait établi le plan de sa soirée. Il y aurait d’abord le bain, qu’elle prendrait avec une grosse quantité d’Opalys, et où elle mijoterait un bon moment. Ensuite, elle se préparerait un bon petit repas en puisant dans ses réserves. Tout en fermant les portes à clé, elle composait son menu. Comme entrée, il y aurait une bonne terrine de lièvre, dont la boîte attendait dans le réfrigérateur. Puis, elle se ferait une énorme omelette aux champignons et aux crevettes. Pour terminer, elle battrait de la crème fraîche, qu’elle mangerait avec des biscuits fourrés au chocolat.

Tout en marchant de son pas tranquille dans les rues de Santiago, elle se laissa aller à une langueur sensuelle, en imaginant la suite de sa soirée, lorsque, revêtue de cette merveilleuse robe de chambre vaporeuse et si sexy, elle s’installerait sur son divan, pour suivre sur une visionneuse, les péripéties de ces films danois, dont elle possédait tout un stock. Oui, ce serait une très bonne soirée.

Elle n’habitait pas très loin de son travail, un appartement de deux pièces, dans un immeuble moderne. Une fois chez elle, elle ferma son verrou à double tour, alla tout de suite faire couler son bain. En même temps, elle se versa un whisky bien tassé sur des glaçons, pour se mettre dans l’ambiance, l’emporta à la salle de bains, où elle commença de se dénuder devant la glace, qui garnissait l’intérieur d’une porte de placard.

Ciprelle Erwing avait atteint l’âge de trente ans. Longtemps, elle avait méprisé son corps lourd, aux formes flasques, mais depuis quelques années, elle lui trouvait un certain charme. En fait, ce n’était pas elle qu’elle regardait dans le miroir, mais une autre personne, qui certes avait de gros seins un peu mous, mais néanmoins acceptables, la taille empâtée, les hanches plus que rondes, et des plis graisseux au ventre. Mais Ciprelle en était arrivée au point où elle ne voyait plus ces défauts, et était pleine de désirs pour son image. Se détachant avec peine de cette contemplation, elle se glissa dans la mousse abondante et bleutée de sa baignoire, ferma les yeux de volupté. Au bout d’un moment, lorsque sa main fit glisser la savonnette sur sa peau, elle avait déjà franchi un autre degré dans la distanciation entre elle et son corps. C’était une autre main qui la caressait, appartenant à un être flou, ni homme ni femme, une main experte.

Elle hésita entre rajouter de l’eau chaude ou sortir de son bain, pour préparer son repas, opta pour cette dernière tentation, pensant qu’elle aurait toute la soirée pour se consacrer à la volupté. Mais elle n’oublia pas d’enfiler sa robe de chambre vaporeuse, et si sexy, une fois bien essuyée. Une folie, que ce vêtement aérien, et elle revoyait l’étonnement de la vendeuse, son regard appuyé sur son corps lourdaud. Mais elle s’en était moquée. Elle voulait cette merveille, se promettant une foule de joies troubles, lorsqu’elle la revêtirait. Et d’ailleurs, depuis, lorsqu’elle l’enfilait, elle était une autre femme, une de ces créatures de rêve, qui évoluaient dans les magazines féminins, si belles, si sensuelles, presque inhumaines.

Dans sa cuisine, elle disposa son couvert, se demanda si elle boirait du vin ou non. Il lui montait rapidement à la tête, l’endormait, et elle préféra se servir un autre whisky, mais avec de l’eau pétillante, celui-là.

Elle en avait bu une gorgée, lorsqu’on sonna. Elle crut que c’était le téléphone, et Mervin au bout du fil, mais non, c’était bien la porte. Alors, elle décida de ne pas ouvrir. Elle ne connaissait personne, et Mervin lui téléphonait toujours, s’il avait à lui parler.

Seulement, on insistait, et bientôt elle pensa que l’on avait coincé le bouton pour l’obliger à ouvrir. Qui pouvait bien venir l’importuner à cette heure ? Pas la concierge, car celle-ci savait que Ciprelle détestait qu’on la dérange, et s’arrangeait toujours pour la voir dans le hall de l’immeuble.

Furieuse, elle fit quelques pas, puis pensa qu’elle ne pouvait ouvrir ainsi, à moitié nue. Elle savait, pour s’être longuement admirée devant son miroir, que le tissu ne cachait rien des aréoles de ses seins, et de la tache brune de sa toison. Elle trouva une robe de chambre en éponge, qu’elle enfila sur l’autre.

L’homme qu’elle découvrit sur son palier, lui parut venu d’un autre monde. Il était grand, et ses cheveux clairs, presque blancs, formaient une sorte d’auréole, autour de son visage bronzé. Il avait une expression austère, presque sévère.

— Mademoiselle Ciprelle Erwing ?

Non sans étonnement, Kovask, qui l’avait suivie depuis son bureau, avait découvert son étrange prénom, sur la plaque de sa porte. Avant de sonner, il était allé dans un bar, remplir les espaces blancs de la convocation de la commission sénatoriale, que lui avait signée le sénateur Holden.