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— Dormez tranquillement, et ne vous inquiétez pas. Tout ira très bien.

Sur le point de lui recommander de ne chercher à avertir personne, il préféra s’abstenir, de crainte de lui mettre la puce à l’oreille. Ciprelle referma la porte derrière lui, s’appuya un instant contre, ne sachant plus où elle en était.

Ensuite, elle se précipita sur la bouteille de whisky, et s’en servit une copieuse rasade, qu’elle avala d’un trait. Puis, elle emporta le plateau à la cuisine, constata qu’elle n’avait guère d’appétit. Elle ouvrit un bocal d’olives fourrées aux anchois, et les grignota distraitement, tout en réfléchissant.

— Tant pis, dit-elle, il faut que je le mette au courant.

Elle alla au téléphone, forma un des numéros que lui avait donnés Mervin. La sonnerie sonna dix fois avant qu’elle ne raccroche. Au numéro suivant, une voix anonyme lui répondit qu’on ignorait où se trouvait M. Mervin.

— Il ne doit pas passer ?

— Je l’ignore.

— Dites-lui…

Mais son chef lui avait recommandé de ne jamais laisser son nom, ni d’adresse.

— Je rappellerai.

— Bien, señora.

Le troisième numéro lui permit d’entendre une voix de femme rauque et équivoque.

— Michael ? Une éternité que je ne l’ai pas vu. Que devient-il, ce petit polisson ?

D’entendre traiter son chef de petit polisson la choqua et la révolta. Elle qui lui trouvait des airs et les capacités d’un Kissinger ! Elle raccrocha brusquement, mais n’obtint pas de meilleurs résultats avec les numéros qui lui restaient. Elle eut l’impression d’avoir joué aux cartes, à la bataille, par exemple, et d’avoir perdu bêtement tout le jeu.

— Dix heures demain, 10 heures.

Elle alla boire un autre whisky, termina le bocal d’olives, et attaqua celui des cornichons. Mais se souvenant de la terrine de lièvre, elle l’ouvrit, se blessa au doigt, et la vue de son sang l’énerva. Maladroitement, elle se fit un pansement. Elle confectionna des sandwiches avec du pain en paquet, les empila sur une soucoupe, avec des cornichons.

Puis découvrant qu’elle portait cet horrible peignoir en éponge, elle s’en débarrassa, le piétina. De se retrouver à moitié nue la réconforta, et embrasa son corps d’une chaleur trouble. Elle emporta les sandwiches, le whisky, et alla chercher sa visionneuse. Longtemps, elle hésita devant les titres de films, choisit celui qui s’intitulait « Les Ravageuses ». Elle en connaissait le contenu sur le bout du doigt. Cette histoire de lesbiennes en folie, qui enlevaient des jeunes filles pour les séduire la comblait d’aise, éveillait dans ses fibres les plus secrètes, des désirs inavoués. Tout de suite, les scènes étaient gratinées, et elle haletait, tout en mastiquant d’une mâchoire bovine, les yeux fixes. Le whisky inondait son cerveau, et le besoin de volupté le reste de son corps. Sur le tout petit écran de la visionneuse, des filles nues, échevelées et déchaînées, ne formaient plus qu’un seul tas. La caméra fit quelques gros plans, et Ciprelle voulut immobiliser l’image, mais comme elle le faisait trop souvent, le film fondit, et elle fut obligée d’aller chercher une autre bobine, et de rembobiner les deux morceaux. Elle prenait les sandwiches, sans même s’en rendre compte.

Elle n’avait que des films de scènes saphiques, et elle mit en place un de ceux qu’elle aimait beaucoup, et qui se déroulait dans un bain public, commençant par une imitation plutôt pâlotte du tableau d’Ingres, mais avec des audaces inouïes. Pour faire passer un morceau de pain un peu trop gros, elle avala un peu plus de whisky, mais elle s’étouffait, et dut aller boire un peu d’eau. Elle constata qu’elle titubait, plus ivre qu’elle ne l’avait pensé.

On sonna à la porte. Cette fois, il n’y avait aucun doute, c’était bien Mervin. En zigzaguant dans la pièce, elle alla ouvrir, souffla au nez de la visiteuse son haleine alcoolisée.

— Bonsoir, dit l’inconnue, une jolie fille brune, au sourire merveilleux.

Hébétée, Ciprelle ne put rien faire pour l’empêcher d’entrer. D’ailleurs, elle n’en avait pas envie, trouvait la nouvelle venue merveilleuse, et désirable en diable.

— Comme c’est joli chez vous !

Elle dégrafa son manteau de fourrure. Dessous, elle portait une robe à danser très courte, très décolletée. Ciprelle eut un vertige devant cette chair brune qui s’offrait, ces cuisses découvertes très hauts, ces seins qui gonflaient hors du corsage.

— Quel est ce bruit ?

L’inconnue se dirigea vers le divan, découvrit la visionneuse qui déroulait le film en arrière. Elle vit les scènes érotiques, mordit ses lèvres pulpeuses.

— Eh bien ! ma chérie, on se distrait toute seule, je vois !

Ciprelle affolée, voulut prendre l’appareil.

— Mais non, laisse, on va les regarder toutes les deux… Ce sera beaucoup mieux, non ?

— Qui… qui êtes-vous ? articula difficilement la grosse fille… Je ne vous connais pas.

— Mais si… Tu ne te souviens pas de moi, mais nous nous connaissons. Et puis, qu’importe. Viens t’asseoir ici, que nous repassions le film dans le bon sens. Tu en as d’autres ?

Ciprelle eut un geste maladroit et emphatique d’ivrogne :

— Des tas.

— Mais c’est parfait. Quelle bonne soirée nous allons passer. Viens, ma chérie.

Ciprelle se laissa tomber comme une masse, faisant rebondir le corps léger de sa visiteuse. Avec une audace dont elle ne se serait pas cru capable, la vieille fille posa sa main sur un genou très fin, sentit à travers le léger collant la chaleur de la cuisse, fit glisser sa main plus haut.

— Oh ! la petite polissonne…

Ce mot figea Ciprelle, lui rappela quelque chose de désagréable. Elle se redressa, le visage fermé, retirant sa main.

— Qu’y-a-t-il, ma chérie ?

— Mervin… Il faut que je voie Mervin, que je lui parle de cette convocation à comparaître.

— Mais, ma chérie, c’est lui qui m’envoie. Mais oui. Je t’assure. Il m’a dit : « va tenir compagnie à Ciprelle, et sois gentille avec elle ».

L’autre la regardait fixement.

— Il a dit Ciprelle ?

— Bien sûr.

— Non. Jamais, sanglota l’autre… Jamais il ne m’appelle par mon prénom. Il me dit toujours Erwing… Erwing…

La jeune femme haussa ses épaules nues, se leva et regarda autour d’elle. Dans la cuisine, elle vit une sorte de grosse ficelle sur un tas informe, le peignoir éponge, et ce n’était autre que la ceinture. Elle en prit une extrémité dans chaque main, revint vers le divan. Ciprelle était assise sur le bord, ses grosses jambes découvertes jusqu’en haut. Avec une grimace de dégoût, la visiteuse passa derrière elle, jeta vivement la ceinture autour du cou, et serra avec une force peu commune. Surprise, trop ivre pour se débattre, Ciprelle le larynx enfoncé, bascula en arrière. La jeune femme la repoussa de son genou entre les omoplates, jusqu’à ce qu’elle meure.

CHAPITRE VIII

A 10 h 10, le sénateur Holden ouvrit la porte de l’antichambre où attendaient, outre quatre personnels, Marina Samson, et le Commander Kovask. Le vieil homme donnait des signes d’impatience irritée. Il fit signe au capitaine de vaisseau, le fit entrer dans son bureau, et l’apostropha derrière la porte fermée.

— Elle devait venir à 10 heures ?

— Je n’y comprends rien. Peut-être un retard.