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— J’ai promis de faire quelque chose. En échange, nous aurons certainement d’autres renseignements. Cet homme n’a pas tout révélé. Il doit garder quelque chose d’important. C’est un commerçant, ne l’oubliez pas, et il reste prudent.

— Laissez-moi maintenant, dit Holden. J’ai pas mal de travail.

Dans l’antichambre, Marina essayait de rassurer une grosse dame en manteau de fourrure, qui paraissait offusquée d’être convoquée par la commission.

— Mais enfin, je suis la veuve d’un général, et je dirige depuis des années cette institution privée, qui ne recevait que des jeunes filles de bonnes familles. Je n’ai rien à voir avec la politique, ni avec les événements actuels.

— Vous l’expliquerez au président, chère madame. Ce n’est qu’une simple formalité.

La grosse dame finit par s’asseoir. Marina soupira :

— C’est souvent ainsi. Le sénateur reçoit des gens à ménager, étant donné qu’il est président de la commission, mais ce n’est pas toujours facile. Vous partez déjà ? Nous ne nous sommes pas vus, hier au soir.

Kovask sourit :

— J’en suis désolé. Mais, je suis rentré tard.

Inquiet, il était allé dans la poblacion de Varegas, voulant savoir si l’ex-transporteur n’avait pas d’ennuis. Le Chilien avait voulu l’inviter à manger, et il n’avait pu refuser. Une façon délicate de le remercier pour ses dollars.

— Ce soir peut-être murmura-t-elle l’œil en coin.

— Pourquoi pas.

En descendant vers Valparaiso, il fut surpris de ne trouver aucun barrage à la sortie de la capitale. En revanche, l’accès du port était toujours sévèrement surveillé. Des hauteurs, il avait pu se rendre compte que la plupart des bâtiments de la flotte de guerre chilienne se trouvaient rassemblés dans la rade.

Ce fut la Mamma qui vint lui ouvrir.

— Luisna ne va pas mieux ?

— Oh ! que si. Elle est sortie. Hier au soir, elle a même voulu faire un petit tour en ville. C’est une fille indépendante.

Lascos arriva en bras de chemise, et l’air inquiet :

— Avez-vous des nouvelles de ma fille ?

— Le sénateur Holden s’en occupe. Il va savoir ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

Il soupira, repartit vers la cuisine.

— Je lui laisse faire la cuisine. Ça le distrait, et il ne se débrouille pas trop mal. Vous avez du nouveau ?

— Oui, et c’est la tuile.

En quelques mots, il lui expliqua pourquoi. La Mamma comprit l’importance de la situation nouvelle créée par la mort de Ciprelle Erwing.

— Nous avons affaire à des gens décidés. Sur quelle base allez-vous repartir ?

— Je suis venu ici pour ce faire. Lascos nous cache sûrement quelque chose.

Elle hocha son visage lourd :

— Ça, c’est certain. J’essaye de lui tirer les vers du nez, mais il joue les naïfs. Et depuis que sa fille est arrêtée, les pères accablés. Jusqu’ici, il se moquait bien d’elle.

— Je vais le rejoindre.

Installé devant la table de bistrot en marbre, Lascos hachait finement de la viande, des légumes, et sur le feu dans une casserole, des cholgas s’ouvraient. Il s’agissait d’énormes moules à la chair délicieuse.

— Je vais les farcir, dit Lascos, d’après la recette d’une vieille bonne chilote que j’ai eu dans le temps. J’espère que cette jeune femme me rapportera du vin blanc.

Kovask s’assit en face de lui :

— Lascos, écoutez-moi. J’ai retrouvé la fille aux lunettes et aux grosses jambes. Elle travaille chez ce Michaël Mervin qui vous achetait des confiseries étrangères.

L’oignon que hachait le petit épicier faisait pleurer les yeux, et il dut s’écarter un peu.

— J’ai retrouvé cette fille, mais malheureusement pour peu de temps. Elle devait se présenter devant le sénateur Holden ce matin. Elle n’est pas venue.

Lascos releva la tête. Il essayait vainement de maîtriser le petit toupet de cheveux qui se hérissait sur son crâne, mais n’y parvenait pas.

— Elle a refusé de venir ?

— Elle n’a pas pu venir, car elle est morte. Etranglée.

Un tressaillement parcourut le corps replet de l’épicier, qui dut s’arrêter de hacher son mélange ; ses mains tremblaient.

— Etranglée, fit-il avec horreur. Vous en êtes certain ?

— Il y a eu Heinrich d’abord. Maintenant, cette fille. Nous sommes dans une impasse, Lascos.

— Je savais que ce serait impossible. Jamais je n’aurais dû vous écouter. Ils sont forts, très forts. Vous n’y arriverez jamais, et j’ai tout perdu. Mon magasin, ma fortune, ma fille.

Kovask eut soudain une illumination. Il se souvint que Lascos passait pour aimer l’argent, et qu’il poussait cet amour jusqu’à une certaine avarice.

— Oh ! je ne m’inquiète pas pour vous, Lascos. Votre fortune est certainement à l’abri ?

L’épicier se pencha vers son travail, commença de faire de petits tas de farce.

— Il est même possible que vous l’ayez transférée dans un pays étranger ?

L’autre releva vivement la tête, inquiet.

— Peut-être aux U.S.A. ?

— C’est-à-dire… J’ai fait certains placements dans votre pays en effet.

— Importants ? fit négligemment Kovask.

— Assez, oui… Mais pourquoi ?

— La Junte voudrait faire geler certains avoirs par notre gouvernement… Pour lutter contre les opposants réfugiés à l’étranger… Il ne faudra pas que cela vous arrive. Mais il y a peut-être un moyen de l’éviter.

— C’est que j’ai cent mille dollars là-bas, souffla Lascos avec une grimace.

Kovask hocha la tête :

— C’est quand même une somme qui vous permettrait de bien repartir, si vous choisissez notre pays… Vous aurez aussi besoin d’appuis, pour obtenir un permis de séjour. Alors, pourquoi ne pas jouer franc jeu avec nous ?

Les yeux noirs se troublèrent, et Lascos cilla à plusieurs reprises.

— Je ne comprends pas.

— Mais si. Vous ne nous avez pas tout dit sur vos activités, vos relations. Je suis sûr que vous avez conservé le plus gros morceau pour vous. Afin de voir venir. Peut-être que vous pensiez même négocier ces renseignements, une fois à l’abri ?

— Oh ! vous vous trompez. J’ai dit tout ce que je savais sur mes activités à l’Union régionale des commerçants… La description de cette fille qui est morte… Le nom de Mervin sur mes livres.

Kovask ne répondit pas, alluma paisiblement une cigarette sans le quitter du regard.

— Je vous jure que vous vous trompez.

— Voyez-vous, Lascos, il m’aurait été désagréable d’utiliser votre fille comme monnaie d’échange. Au contraire, je ferai tout ce que je pourrai pour la sortir des griffes des militaires. Mais pour les cent mille dollars, ne comptez pas sur la même indulgence. Au contraire, si vous me laissez dans l’ignorance, je m’efforcerai de vous créer des difficultés telles que vous mettrez des années pour rentrer dans vos fonds. C’est bien compris ?

Stupéfait du ton employé, Lascos resta immobile, figé. Ce fut Kovask qui se leva, pour couper le feu sous les cholgas qui commençaient à griller, faute de jus.

— Vous m’avez compris ?

— Vous vous trompez señor, je ne sais rien d’autre, fit tristement Lascos, et j’en suis désolé.

— Vous prenez votre ton d’épicier du temps où, avec l’arrière-boutique pleine à craquer, vous vous excusiez de n’avoir rien à vendre au prix normal. Mais là, il s’agit de cent mille dollars, ne l’oubliez pas. Allez, videz votre sac. Je vais même plus loin, Lascos. Si vous persistez dans cette attitude, je vous rejette à la rue, comme un malpropre. Les carabiniers auront vite fait de vous retrouver. Ou les hommes de la C.I.A. Ce qui ne m’empêchera pas d’essayer de sauver votre fille, qui est beaucoup plus estimable que vous.