Выбрать главу

Et si elles-mêmes ne ressentent rien, c'est que depuis le temps le gaz toxique s'est dispersé. Mais alors, pourquoi les nymphes ont-elles survécu? La vieille exploratrice émet une hypothèse. Elles ont des défenses immunitaires spécifiques; leur cocon les a peut-être sauvées… Elles doivent maintenant être vaccinées contre le poison. C'est la fameuse mithridatisation qui permet aux insectes de résister à tous les insecticides en produisant des générations mutantes. Mais qui a bien pu introduire ce gaz meurtrier? C'est un véritable casse-tête. Une fois de plus, en cherchant l'arme secrète, 103683'e est tombée sur d' «autres choses», tout aussi incompréhensibles. 4000e voudrait sortir. La luciole clignote en signe d'assentiment. Les fourmis donnent quelques morceaux de cellulose aux larves qui peuvent être sauvées, puis partent à la recherche de la sortie. La luciole les suit. Au fur et à mesure qu'elles avancent, les cadavres de soldats termites laissent la place à des cadavres d'ouvrières chargées du soin de la reine. Certaines tiennent encore dans leurs mandibules des œufs! L'architecture devient de plus en plus sophistiquée. Les couloirs, de coupe triangulaire, sont gravés de signes. La luciole change de couleur et se met à diffuser une lumière bleutée. Elle a dû percevoir quelque chose. De fait, un halètement se fait entendre au fond du couloir.

Le trio parvient devant une sorte de sanctuaire protégé par cinq gardes géants. Tous morts. Et l'entrée en est obstruée par les corps inanimés d'une vingtaine de petites ouvrières. Les fourmis les dégagent en se les passant de patte en patte. Une caverne dont la forme sphérique est presque parfaite se trouve ainsi dévoilée. La loge royale termite. C'est de là que provenait le bruit.

La luciole donne une belle lumière blanche, qui, au centre de la pièce, éclaire une sorte d'étrange limace. C'est la reine termite, une caricature de reine fourmi, Sa petite tête et son thorax rachitique sont prolongés d'un fantastique abdomen de près de cinquante têtes de long. Cet appendice hypertrophié est régulièrement secoué de spasmes.

La petite tête s'agite de douleur, proférant des hurlements en auditif et en olfactif. Les cadavres des ouvrières avaient si bien bouché l'orifice d'entrée que le gaz n'a pas pu pénétrer. Mais la reine est en train de mourir faute de soins.

Regarde son abdomen! Les petits poussent de l'intérieur et elle n'arrive pas à accoucher seule.

La luciole monte au plafond et produit en toute innocence une lumière orangée semblable à celle qui baigne les tableaux de Georges de La Tour.

Sous les efforts conjugués des deux fourmis, les œufs commencent à s'écouler de l'énorme sac procréateur. C'est un véritable robinet à vie. La reine semble soulagée, elle a cessé de crier.

Elle demande en langage olfactif universel primaire qui l'a sauvée? Elle est surprise en identifiant les odeurs des fourmis. Sont-elles des fourmis masquées?

Les fourmis masquées sont une espèce très douée en chimie organique. Insectes noirs de grande taille, elles vivent dans le Nord-Est.

Elles savent reproduire artificiellement n'importe quelle phéromone: passeport,

piste, communication… juste en mélangeant judicieusement des sèves, des pollens et des salives.

Une fois leur camouflage distillé, elles arrivent à s'introduire par exemple dans les cités termites sans être repérées. Elles pillent et tuent alors, sans qu'aucune de leurs victimes ait pu les identifier!

Non, nous ne sommes pas des fourmis masquées.

La reine termite leur demande s'il y a des survivants dans sa cité, et les fourmis répondent que non. Elle émet le vœu d'être tuée, qu'on abrège ses souffrances.

Mais auparavant, elle désire révéler quelque chose.

Oui, elle sait pourquoi sa cité a été détruite.

Les termites ont découvert depuis peu le bout oriental du monde. La fin de la planète. C'est un pays noir, lisse, où tout est détruit. Là-bas vivent des animaux étranges, très rapides et très féroces. Ce sont eux les gardiens du bout du monde. Ils sont armés de plaques noires qui écrabouillent n'importe quoi. Et maintenant ils utilisent aussi des gaz empoisonnés!

Voilà qui rappelle la vieille ambition de la reine Bi-stin-ga. Atteindre l'un des bouts du monde. Cela serait donc possible? Les deux fourmis en demeurent stupéfaites. Elles avaient cru jusqu'alors que la Terre est si vaste qu'il est impossible d'en atteindre le bord. Or cette reine termite laisse entendre que le bout du monde est proche! Et qu'il est gardé par des monstres… Le rêve de la reine Bi-stin-ga serait-il réalisable? Toute cette histoire leur parait tellement énorme qu'elles ne savent par quelle question commencer.

Mais pourquoi ces gardiens du bout du monde sont-ils avancés jusqu'ici? Veulent-ils envahir les cités de l'Ouest? La grosse reine n'en sait pas plus. Elle veut à présent mourir. Elle insiste. Elle n'a pas appris à arrêter son cœur. Il faut la tuer. Les fourmis décapitent donc la reine termite, après que celle-ci leur a indiqué le chemin de la sortie. Puis elles mangent quelques petits œufs et quittent l'imposante cité qui n'est plus qu'une ville fantôme. Elles déposent à l'entrée une phéromone qui porte le récit du drame de ce lieu. Car en tant qu'exploratrices de la Fédération, elles ne doivent manquer à aucun de leurs devoirs. La luciole les salue. Elle aussi sans doute s'était égarée dans la termitière en se protégeant de la pluie. Maintenant qu'il refait beau, elle va reprendre son traintrain habitueclass="underline" manger, émettre de la lumière pour attirer les femelles, se reproduire, manger, émettre de la lumière pour attirer les femelles, se reproduire… Une vie de luciole, quoi!

Elles portent leur regard et leurs antennes en direction de l'est. D'ici, elles ne perçoivent pas grand-chose; il n'empêche qu'elles savent: le bout du monde n'est pas loin. Il est par là.

CHOC DE CIVILISATIONS: Le contact entre deux civilisations est toujours un instant délicat. Parmi les grandes remises en question qu 'ont connues les êtres humains, on peut noter le cas des Noirs africains enlevés comme esclaves au XVIIIe siècle.

La plupart des populations servant d'esclaves vivaient à l'intérieur des terres dans les plaines et les forêts. Ils n'avaient jamais vu la mer. Tout d'un coup un roi voisin venait leur faire la guerre sans raison apparente, puis au lieu de tous les tuer, ils les prenaient comme captifs, lesenchaînaient et les faisaient marcher en direction de la côte.

Au bout de ce périple ils découvraient deux choses incompréhensibles: 1) la mer immense, 2) les Européens à la peau blanche. Or la mer, même s'ils ne l'avaient pas directement vue, était connue par l'entremise des contes comme le pays des morts. Quant aux Blancs, c'étaient pour eux comme des extraterrestres, ils avaient une odeur bizarre, ils avaient une peau d'une couleur bizarre, ils avaient des vêtements bizarres.

Beaucoup mouraient de peur, d'autres, affolés, sautaient des bateaux et se faisaient dévorer par les requins. Les survivants allaient, eux, de surprise en surprise. Ils voyaient quoi? Par exemple les Blancs qui buvaient du vin. Et ils étaient sûrs que c'était du sang, le sang des leurs.

Edmond Wells

Encyclop édie du savoir relatif et absolu.

La 56e femelle est affamée. Ce n'est pas seulement un corps, mais toute une population qui réclame sa ration de calories. Comment nourrir la meute qu'elle abrite en son sein? Elle finit par se résoudre à sortir de son trou de ponte, se traîne sur quelques centaines de têtes et ramène trois aiguilles de pin qu'elle lèche et mâchouille avec avidité.