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— C'est un rayon laser de très forte amplitude qui les a tous tués, chef.

— Un rayon laser?

— Oui, une nouvelle arme capable de faire fondre à distance les plus gros de nos vaisseaux. Chef…

— Vous pensez que ce sont…

— Oui, chef, seuls les Vénusiens ont pu faire ce coup-là. C'est signé.

— Dans ce cas les représailles vont être terribles. Il nous reste combien de fusées de combat stationnées dans la ceinture d'Orion?

— Quatre, chef.

— Ce ne sera jamais assez, il faudrait demander le secours des troupes de…»

— Tu reveux un peu de potage?

— Non merci, dit Nicolas complètement hypnotisé par les images.

— Allons, regarde un peu ce que tu manges ou on éteint la télé!

— Oh! maman, s'il te plait…

— Tu n'en as pas encore marre de ces histoires de petits hommes verts et de planètes aux noms de marques de lessive? demanda Jonathan.

– Ça m'intéresse. Je suis sûr qu'un jour on rencontrera des extraterrestres.

— Alors ça… depuis le temps qu'on en parle!

— Ils ont envoyé une sonde vers l'étoile la plus proche, Marco Polo elle se nomme la sonde, on devrait bientôt savoir qui sont nos voisins.

— Elle fera chou blanc comme toutes les autres sondes qu'on a déjà envoyé polluer l'espace. C'est trop loin je te dis.

— Peut-être, mais qui te dit alors que ce ne seront pas eux, les extraterrestres, qui viendront nous voir? Après tout on n'a pas élucidé tous les témoignages parlant d'OVNI.

— Quand bien même. A quoi ça nous servirait de rencontrer d'autres peuples intelligents? On finirait fatalement un jour par se faire la guerre, tu ne trouves pas qu'on a déjà assez de problèmes entre Terriens?

— Ce serait exotique. On aurait peut-être de nouveaux endroits pour aller en vacances.

— Ce serait surtout de nouveaux soucis. Il prit le menton de Nicolas.

— Allons, mon garçon, tu verras quand tu seras plus grand, tu penseras comme moi: le seul animal vraiment passionnant, le seul animal dont l'intelligence est vraiment différente de la nôtre, c'est… la femme! Lucie protesta pour la forme. Ils rirent ensemble. Nicolas se renfrogna. Ce devait être ça l'humour des adultes… Sa main partit à la recherche de la fourrure apaisante du chien.

Il n'y avait rien sous la table.

— Où est passé Ouarzazate?

Il n'était pas dans la salle à manger.

— Ouarzi! Ouarzi!

Nicolas se mit à siffler entre ses doigts. D'ordinaire l'effet était immédiat: on entendait un aboiement suivi d'un bruit de pattes. Il siffla de nouveau. Aucun résultat. Il alla chercher dans les nombreuses pièces de l'appartement. Ses parents vinrent le rejoindre. Plus de chien. La porte était fermée. Il n'avait pu sortir par ses propres moyens, les chiens ne savent pas encore utiliser les clés.

Machinalement, ils se dirigèrent tous vers la cuisine, et plus précisément vers la porte de la cave. La fente n'avait toujours pas été colmatée. Or elle était juste assez large pour laisser passer un animal de la taille de Ouarzazate.

— Il est là-dedans, je suis sûr qu'il est là-dedans! gémit Nicolas. Il faut aller le chercher.

Comme pour répondre à cette requête, on entendit des jappements saccadés montant de la cave. Ils semblaient quand même provenir de très loin. Tous s'approchèrent, de la porte taboue. Jonathan s'interposa.

— Papa a dit: on ne va pas à la cave!

— Mais chéri, dit Lucie, il faut bien aller le chercher. 1 est peut-être attaqué par des rats. Tu as dit qu'il y avait des rats…

Son visage se ferma.

— Tant pis pour le chien. On ira en acheter un autre demain.

Le gosse était sidéré.

— Mais Papa, ce n'est pas «un autre» que je veux. Ouarzazate c'est mon copain, tu ne peux pas le laisser crever comme ça.

— Qu'est-ce qu'il te prend? ajouta Lucie, laisse-moi y aller si tu as peur!

— Tu es peureux Papa, tu es un lâche? Johnathan ne se contenait plus, il marmonna un «C'est bon je vais jeter un coup d'oeil», et alla chercher une torche électrique. Il éclaira la fente. C'était noir, complètement noir, d'un noir qui absorbe tout. Il frissonna. Il brûlait de s'enfuir. Mais sa femme et son fils le poussaient vers cet abîme. Des pensées acides inondèrent sa tête. Sa phobie du noir prenait le dessus. Nicolas éclata en sanglots.

— Il est mort! Je suis sûr qu'il est mort! C'est ta faute.

— Il est peut-être blessé, tempéra Lucie, il faudrait aller voir.

Jonathan repensa au message d'Edmond. Le ton en était impératif. Mais comment faire? Un jour, forcément, l'un d'eux craquerait et irait voir. Il devait prendre le taureau par les cornes. Maintenant ou jamais. Il passa sa main sur son front mouillé. Non, ça ne se passerait pas comme ça. Il avait enfin l'occasion d'affronter ses peurs, de sauter le pas, de faire face au danger. Le noir voulait le gober? Tant mieux, il était prêt à aller au fond des choses. Il n'avait de toute façon plus rien à perdre.

— J'y vais!

Il alla chercher ses outils et fit sauter la serrure.

— Quoi qu'il arrive, ne bougez pas d'ici, surtout ne tentez pas de me rejoindre ou d'appeler la police. Attendez-moi!

— Tu parles d'une drôle de façon. Ce n'est qu'une cave après tout, une cave comme il y en a dans tous les immeubles.

— Je n'en suis pas si sûr…

Éclairé par l'ovale orange d'un soleil déclinant le 327e mâle, dernier survivant de la première expédition de chasse du printemps, court seul. Insupportablement seul.

Depuis longtemps ses pattes pataugent dans les flaques, la boue et les feuilles moisies. Le vent a séché toutes ses lèvres. La poussière a recouvert son corps d'un manteau d'ambre. Il ne sent plus ses muscles. Plusieurs de ses griffes sont cassées.

Mais à l'extrémité du rail olfactif sur lequel il est lancé, il distingue bientôt son objectif.

Parmi les monticules que sont les cité belokaniennes, une forme grandit à chacune de ses foulées, l'énorme pyramide de Bel-o-kan, la cité mère, phare odorant qui le magnétise et l'aspire.

327e parvient enfin au pied de l'imposante fourmilière, lève la tête. Sa ville a encore grandi. On a entamé la construction de la nouvelle couche protectrice du dôme. Le sommet de la montagne de branchettes taquine la lune.

Le jeune mâle cherche un instant, trouve au ras du sol une entrée encore béante, où il s'engouffre.

Il était temps. Toutes les ouvrières et les soldâtes travaillant à l'extérieur sont déjà revenues. Les gardes s'apprêtaient à boucher les issues afin de préserver la chaleur intérieure. D'ailleurs à peine a-t-il franchi le seuil que les maçonnes s'activent et que le trou se referme derrière lui. Presque dans un claquement.

Voilà, on ne voit plus rien du monde extérieur froid et barbare. Le 327e mâle est à nouveau plongé dans la civilisation. Il peut désormais se fondre dans la Meute apaisante. Il n'est plus seul, il est multiple. Les sentinelles s'approchent. Sous son film de poussières, elles ne l'ont pas reconnu. Il émet rapidement ses parfums d'identification, et les autres sont rassérénées.

Une ouvrière remarque ses odeurs de fatigue. Elle lui propose une trophallaxie, le rituel du don de son corps. Toute fourmi possède dans son abdomen une sorte de poche, en fait un estomac secondaire, qui ne digère pas aliments. Le jabot social. Elle peut y stocker de la nourriture, qui reste indéfiniment fraîche et intacte. Elle peut ensuite la régurgiter pour l'envoyer dans son estomac «normal digérant». Ou bien elle la recrache pour l'offrir à une congénère. Les gestes sont toujours les mêmes. La fourmi offreuse accoste l'objet de son désir de trophallaxie en lui tapotant le crâne. Si celle qui est ainsi pressentie accepte, elle abaisse les antennes. Si elle les dresse bien haut, c'est en signe de refus, elle n'a vraiment pas faim.