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La musique venait de la pièce voisine.

Apparemment, la guerre civile n’était pas venue à bout du goût de vivre des Libanais.

Mona révéla une jupe jaune, des bas noirs et ses escarpins bleus. Elle pénétra dans le salon d’une démarche balancée permettant de faire admirer une chute de reins à damner le plus sage des ascètes.

Malko s’arrêta sur le pas de la porte. Dans le premier de trois salons en enfilade, meublés de grands canapés, de poufs, tous occupés par une cohue joyeuse, une énorme table croulait sous un buffet somptueux. Jamais on ne se serait cru dans une ville en guerre. Les femmes rivalisaient de bijoux et d’élégance, les hommes n’étaient pas en reste. Tout ce petit monde riait, dansait, flirtait et surtout, buvait … Trois Noirs semblables à celui qui leur avait ouvert la porte, circulaient avec des plateaux d’argent chargés de bouteilles, remplissant inlassablement les verres. Par contre les meubles, style Farouk XIV, étaient tout simplement atroces. Du doré, du bois sculpté, nacré, travaillé outrageusement. Un grand jeune homme aux cheveux frisés de pâtre grec s’agitait tout seul dans une sorte de danse arabe, au milieu du premier salon, pour la plus grande joie d’un paquet de jolies filles qui l’encourageaient en claquant dans leurs mains.

Apercevant Jocelyn et Malko, il se précipita sur eux, baisant la main de la jeune femme et lançant une œillade assassine à Malko. La vraie folle, les yeux soulignés par une fine ligne de kohl …

— Bienvenue dans ma modeste demeure ! minauda-t-il. Pardonnez-nous, la fête a déjà commencé.

Il virevolta, reprit sa danse. Mona était déjà vautrée sur les genoux d’un grand brun qui caressait distraitement sa cuisse gainée de noir. Jocelyn se fit verser un demi-litre de J & B dans un verre de cristal.

— Vodka, demanda Malko.

Le Noir n’en avait pas. Jocelyn entraîna Malko dans la pièce voisine. Une alcôve servait de bar. C’était hallucinant : des centaines de bouteilles étaient entassées sur des étagères : une pour la Stolitchnaya, une pour le J & B, sans parler des cartons de Moët et Chandon, d’un assortiment complet de cognacs. Jocelyn versa à Malko une rasade de Stolitchnaya à étendre raide un cosaque. Elle-même avait déjà très sérieusement entamé son J & B.

Elle sourit, montrant les stocks :

— À Beyrouth, il faut être prêt à soutenir un siège. Serge est prudent.

— Que fait-il ?

— Décorateur. Il passe sa vie à refaire des appartements qui sont aussitôt détruits par des bombardements. Les gens s’accrochent, ils ne veulent pas vivre dans les gravats. Alors, Serge travaille beaucoup. Comme il est un peu honteux de gagner autant d’argent avec ça, il le claque dans des fêtes. Et puis, ici, on ne sait jamais de quoi le lendemain sera fait …

Malko l’observait. Sa bouche était soulignée de deux plis amers, elle semblait tendue, comme un félin aux aguets, avec une lueur dure dans ses prunelles noires. Une corde à violon, qui pouvait aussi bien grincer que chanter harmonieusement. Elle buvait son J & B méthodiquement, par petites gorgées, comme on avale une potion. Quand son verre fut vide, elle en attrapa un autre sur un plateau qui passait.

— À propos, demanda Malko, vous avez eu les informations que …

Elle se tourna, vive comme un chat dont on a marché sur la queue.

— Plus tard ! Je n’ai pas envie de parler business maintenant. Cela ne changera rien. Profitons-en, c’est une nuit calme. Ils ne nous ont envoyé que quelques obus.

— C’est tous les soirs ainsi ?

Les coins de sa bouche s’abaissèrent.

— J’ai couché quatre mois de suite dans un abri sans électricité, avec des obus qui tombaient toutes les minutes et des blessés qui mouraient autour de nous parce qu’on ne pouvait pas les opérer. Ça peut recommencer demain.

Sa voix était âpre, sèche. Elle passa soudain son bras sous celui de Malko.

— Venez, le buffet nous attend.

* * *

Jocelyn Sabet reposa son verre sur une table basse si violemment qu’il se cassa ! Dieu merci, il était vide. Malko dut se résoudre à regarder la vérité en face. Sa cavalière était saoule comme une Polonaise, et peut-être plus … Depuis qu’elle avait grignoté du caviar et du saumon, avec des mézés de toutes les sortes, elle avait changé le J & B pour le Gaston de Lagrange. Aux mêmes doses …

Elle éclata d’un rire vaguement hystérique et tourna vers Malko un visage changé, aux traits amollis, à la bouche moins amère. Les prunelles noires brûlaient d’une flamme presque gênante.

— Venez, j’ai envie de danser.

Ils passèrent près de Mona, lovée dans les bras de son barbu. Sa position découvrait des jambes admirables presque jusqu’à l’ombre du ventre.

— Tiens, remarqua Jocelyn d’une voix amusée, Mona s’est réconciliée avec son Jules. Elle avait pourtant juré de le châtrer.

— Pourquoi ?

Jocelyn noua ses bras autour de la nuque de Malko, leva son visage vers lui et laissa tomber d’une voix neutre :

— Il a un truc énorme et la peau délicieusement douce. Toutes les bonnes femmes en sont folles. Elle était jalouse. Au fond, elle ne peut pas s’en passer.

La voix rauque de Diana Ross envoya une secousse agréable dans l’épine dorsale de Malko. Jocelyn Sabet dansait avec souplesse, très près de lui. Au bout de trois minutes, ils étaient littéralement encastrés l’un dans l’autre et le pubis de la jeune femme s’incrustait impérieusement en lui. Les autres couples se livraient d’ailleurs au même exercice. Malko se laissa aller au plaisir sensuel de cette danse érotique. Jocelyn s’accrochait comme une noyée. Elle leva le visage, le regard impénétrable, avec un étrange sourire lointain et son ventre se fit encore plus pressant contre le sien. Leurs lèvres s’effleurèrent et brutalement, les dents de Jocelyn se refermèrent sur sa lèvre inférieure et elle le mordit jusqu’au sang !

Malko eut un brusque recul. Elle demeura dans la même position, puis murmura à son oreille :

— Je vous fais bander maintenant, mais vous pensez à cette petite salope de Mona. C’est avec elle que vous aviez prévu de faire l’amour ce soir …

Le contraste entre la trivialité de son langage et le ton posé de sa voix avait quelque chose de prodigieusement excitant.

— Je vous assure … commença Malko.

Elle le mordit de nouveau. Sauvagement.

— J’ai horreur qu’on me mente ! gronda-t-elle à voix basse. Elle est plus belle que moi. Mais c’est moi qui vous fais bander en ce moment. Alors, je vous interdis de penser à elle …

Elle sembla se calmer et ils échangèrent un vrai baiser sans qu’elle lui déchiquette les lèvres. Par contre, des ongles glissés sous sa chemise lui arrachèrent quelques lambeaux de peau. Jocelyn était un vrai volcan. Si elle mettait autant de fougue dans son travail … Ils oscillaient sur place, n’ignorant plus rien de leurs anatomies réciproques. Quand la musique s’arrêta, ils s’embrassèrent violemment. Puis Jocelyn s’écarta, sans souci des gens autour d’eux, fixant Malko de ses grandes prunelles noires.

— Ça vous excite de baiser une Arabe ? demanda-t-elle brutalement.

Décidément … Malko n’eut pas le temps de lui préciser que d’abord il n’était pas vraiment raciste et qu’ensuite, elle était simplement une femme à ses yeux. Une musique justement arabe s’élevait de la pièce voisine. Jocelyn l’entraîna. Tout le monde s’était assis en cercle autour de trois filles lancées dans une danse orientale endiablée, rythmée par les claquements de mains des invités. Malko et Jocelyn s’installèrent sur des coussins dans un coin sombre. Spectacle assez étonnant dans cette ville officiellement morte. Les filles s’en donnaient à cœur joie. L’œil de Malko accrocha les jambes gainées de noir de Jocelyn.