— Vos collants sont très fins ! remarqua-t-il.
— Mes collants !
Ses ongles rouges relevèrent la jupe noire jusqu’à ce qu’il aperçoive le serpent sombre d’une jarretelle et la peau blanche au-dessus du bas gris. Elle rabattit sa jupe et dit d’une voix indignée :
— Vous nous prenez pour des sauvages à Beyrouth ! Je ne porte de collants que pour travailler.
L’alcool rosissait ses pommettes et, visiblement, lui ôtait tout complexe.
Épuisées, les danseuses s’étaient laissé tomber dans les bras de leurs cavaliers qui en profitaient outrageusement. Pourtant la musique continuait. Il y eut un moment de flottement … Soudain, Jocelyn poussa un rugissement :
— Mona, danse !
La plupart des invités firent aussitôt chorus. Mona sourit modestement, la large main de son amant posée sur sa cuisse. Jocelyn lui jeta une longue tirade dans un arabe guttural, découvrant soudain son appartenance à deux mondes. D’autres interjections fusèrent. Finalement, Mona se leva avec une lenteur calculée et le silence se fit aussitôt.
Elle gagna le centre du cercle, un sourire lointain aux lèvres. Posément, d’une brusque secousse de la cheville, elle se débarrassa tour à tour de ses escarpins bleus, promenant un regard amusé sur ses admirateurs. Puis, encore plus posément, elle ôta la grosse ceinture qui enserrait sa taille, la jeta à son amant. Des cris sauvages éclatèrent lorsqu’elle fit glisser avec une lenteur exaspérante la fermeture Éclair de sa jupe jaune. Celle-ci tomba sur le sol et Mona l’envoya promener d’un coup de pied précis. Pendant quelques secondes, elle virevolta, montrant ses bas noirs accrochés très haut sur ses cuisses fuselées, le slip de nylon noir, le porte-jarretelles accroché à la taille. Puis une amie lui tendit un grand foulard rouge et elle le noua sur ses hanches.
Malko n’avait jamais vu un tel spectacle ! Les professionnelles du Sheraton du Caire pouvaient aller se rhabiller. Mona commença à faire le tour du cercle des invités, à tout petits pas, présentant son ventre secoué de saccades sensuelles à chacun des spectateurs, dans une mimique parfaitement réussie de l’acte sexuel, ses bras ondulant comme des écharpes dans le vent. Un sourire de salope ravie illuminait son visage. Ses hanches semblaient montées sur roulements à billes. Elle paraissait frotter son ventre à un sexe invisible. Accélérait, ralentissait, tournait, mimant l’orgasme. Par vagues, les mains claquaient, des hurlements faisaient trembler les murs, et elle continuait, impavide, déchaînant le désir de tous les mâles et de quelques femelles.
— Elle vous excite, non ? souffla Jocelyn à l’oreille de Malko.
Comme si Mona l’avait entendue, sa danse la mena doucement en face de lui. Là, elle entreprit un numéro spécial, descendant lentement sur ses genoux pliés, tout en ondulant, ses yeux dans ceux de Malko, ses mains tendues vers lui, de plus en plus près. Son ventre se balançait rapidement. Il aurait pu poser la main sur elle pour la masturber sans effort.
Sans cesser ses ondulations, d’un geste provocant, elle ouvrit son chemisier, découvrant deux seins bronzés aux pointes interminables, libres de toute entrave. Qui se mirent à danser eux aussi, comme pour narguer Malko. Maintenant elle était à quelques centimètres de lui. Il pouvait sentir son parfum. Son regard explicite lui disait « voilà ce que tu perds ». Peu d’hommes auraient pu résister à son magnétisme. Malko en avait la bouche sèche. À côté de lui, Jocelyn Sabet buvait du petit lait. Avec la même lenteur, Mona se redressa puis regagna le centre du cercle, une rigole de transpiration coulant entre ses seins. Son Jules avait les yeux hors de la tête.
La musique s’arrêta brusquement et les applaudissements couvrirent les cris. Mona s’éclipsa modestement. Malko vit son Jules l’empoigner et ils disparurent. Jocelyn se releva. Elle paraissait aussi excitée que Malko. Ils se remirent à danser et, peu à peu, s’éloignèrent de la pièce la plus occupée. Jocelyn Sabet semblait avoir entrepris de faire jouir son cavalier sur place. Soudain un cri leur parvint, venant d’un couloir qui s’ouvrait sur leur gauche. Un cri de femme qui n’était pas de douleur.
Malko croisa le regard de Jocelyn. Celle-ci s’arrêta de danser, prit sa main et l’entraîna.
Ils traversèrent un petit hall encombré de manteaux et s’immobilisèrent à l’entrée d’une pièce éclairée uniquement par deux grands chandeliers à quatre branches. Un nouveau cri rauque fit sursauter Malko. C’était une salle à manger, avec une longue table de marbre sur laquelle Mona était allongée à plat dos, les jambes relevées à la verticale. Son Jules, debout, le pantalon sur les chevilles, installé entre ses cuisses lui tenait les jambes à deux mains. Il s’écarta un peu, puis de nouveau, d’un seul élan, son sexe monstrueux pénétra le ventre offert et Mona s’écartela avec un soupir de joie. Puis ses dents mordirent sa lèvre inférieure. Son bras droit pendait dans le vide de l’autre côté de la table. Malko découvrit alors un second homme assis sur une chaise dans la pénombre. La main de Mona semblait reposer sur ses genoux. Mais la grande glace murale renvoya à Malko l’image d’un dard charnu qui raidissait sous la pression indiscrète des ongles de la jeune hôtesse.
— Quelle salope ! souffla Jocelyn. Elle se venge !
Ce spectacle hautement érotique semblait l’avoir dégrisée d’un coup. Elle se détourna et ils gagnèrent le hall. Jocelyn prit son vison au passage. Ils n’échangèrent plus une parole jusqu’à l’extérieur. Malko avait du mal à effacer de sa rétine la vision de Mona transpercée par son amant, tout en donnant du plaisir à un autre homme.
Un silence absolu régnait sur Beyrouth. La Lancer glissait dans les rues noires et désertes comme un fantôme. Le plafonnier éclaira les traits mobiles de Jocelyn, comme ils stoppaient à un barrage. Le soldat examina à peine son laissez-passer. Puis ce fut à nouveau le Ring, noir comme un four, et le dédale des rues tortueuses de Beyrouth Ouest. Ils se retrouvèrent soudain devant le Commodore.
« Quelle garce ! » pensa Malko. Il se pencha sur Jocelyn qui l’embrassa puis le mordit.
— Vous venez ? demanda-t-il.
— Non.
Le laisser dans l’état où il se trouvait …
— Pourquoi ?
— Je préfère que vous restiez seul, pour mieux penser à Mona, fit-elle d’un ton caustique.
Plus salope, c’était difficile. Il l’embrassa encore, la caressa, atteignit son ventre qu’il sentit ouvert. Elle se dégagea aussitôt, le repoussa, ses ongles enfoncés dans sa chair.
— Bonne nuit ! fit-elle. Je n’aime pas les restes.
Elle avait déjà ouvert la portière. Malko se raccrocha à sa mission.
— Nous devions parler, objecta-t-il. Avez-vous trouvé le propriétaire de la Volvo ?
Jocelyn eut un sourire carnassier.
— Oui. Mais cela ne vous mènera à rien …
— Pourquoi ?
— La voiture appartient à un certain Karim Zaher. Un député communiste. Nous le connaissons, il est lié au terrorisme. Il va jurer qu’on lui a volé sa voiture … Et, de toute façon, il habite dans un quartier où la Sûreté ne peut pas mettre les pieds … Il faudrait dire à vos amis américains de nous prêter des Marines.
C’était incroyable. Beyrouth était vraiment un monde à part.
— Et Abu Nasra ?
— Il serait à Beyrouth. Sous les ordres d’un certain Nazem Abdelhamid, un Palestinien très dangereux.
C’était le nom réel de « Johnny ». Malko n’en croyait pas ses oreilles. Heureusement que Robert Carver l’avait mis en garde contre les magouilles beyrouthines.
Jocelyn bâilla ostensiblement :
— J’ai sommeil. Dînons ensemble demain. Je vous en dirai plus.