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ATTENTAT À ACHRAFIEH.

Il lut l’article, la gorge nouée. Des inconnus avaient tiré une roquette de RPG 7 dans un appartement, tuant deux femmes : Mme Eliane Masboungi et sa fille.

Quand il reposa le journal, il avait envie de hurler de rage. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Il se rua sur le téléphone : le numéro de Jocelyn Sabet ne répondait pas. Il chercha également à joindre Robert Carver. Sans plus de succès. Mahmoud traînait dans le hall. Malko voulait aller à Achrafieh. Savoir ce qui s’était passé. Si Jocelyn, aussi, était à ce point sujette à caution, la situation était encore pire que le tableau brossé par Robert Carver.

Chapitre VI

La rue El Salam était aussi calme que lors de sa première visite. Il leva la tête vers l’immeuble où demeuraient les Masboungi, ne vit aucune lumière. Cette fois, il s’était muni d’une torche électrique, accessoire indispensable à la survie beyrouthine. Le 357 Magnum à la ceinture, il entreprit l’escalade des quatre étages plongés dans l’obscurité.

Le faisceau de sa torche éclaira sur le palier du quatrième une porte à demi arrachée de ses gonds. En même temps, un son connu se fit entendre : quelqu’un jouait de l’orgue, comme la veille. Il frappa, mais personne ne répondit, il poussa le battant et pénétra dans l’appartement. La musique s’amplifia. Il balaya de sa torche la pièce où il avait été reçu et aperçut tout de suite sur le mur l’impact d’une roquette. La pièce était jonchée de débris, la grande baie vitrée pulvérisée, le canapé où il s’était assis, déchiqueté.

Il régnait une odeur à la fois âcre et fade. Celle du sang et de l’explosif. Il appela :

— Il y a quelqu’un ?

L’orgue jouait toujours, une sorte de musique religieuse. Il se dirigea vers le fond de l’appartement, guidé par le son. Au bout d’un couloir, il aperçut une faible lueur. Un homme, assis devant un orgue sur lequel était posé un candélabre où brûlaient quatre bougies, lui tournait le dos. Des caisses et des valises encombraient un coin de la pièce. Il s’approcha et dut appeler :

— Monsieur Masboungi.

L’homme cessa de jouer et se retourna lentement. Il était presque chauve, avec un gros nez, des traits épais pleins de bonté, de lourdes poches soulignant les yeux et un regard éteint. Celui-ci se posa sur Malko, absent, ailleurs, sans la moindre curiosité.

— Bonsoir. Je ne vous avais pas entendu.

La scène était irréelle. Il parlait à Malko comme s’il le connaissait, les mains toujours posées sur le clavier.

— Monsieur Masboungi, dit Malko, je suis venu hier voir votre femme. Elle m’a communiqué une information importante. Je voudrais savoir ce qui s’est passé.

— Ce qui s’est passé ? répéta d’une voix lente le vieil homme. Ils ont tiré une roquette à partir de l’immeuble d’en face. Ma femme a été touchée à l’épaule, déchiquetée, ma fille a reçu plusieurs éclats dans la tête. Elle est morte aussi. C’est tout. Moi, j’étais ici, comme toujours.

— Pourquoi a-t-on voulu les tuer ?

M. Masboungi fronça un peu les sourcils :

— Pourquoi ? Le savez-vous ?

Malko n’osa pas lui répondre, la gorge nouée. M. Masboungi secoua la tête avec accablement, et murmura :

— Moi, je ne le sais pas … Nous devions partir après-demain. Définitivement. Tenez, je vais vous montrer ma clinique.

Il se leva, prit un album de photos et le posa sur l’orgue, le feuilletant devant Malko. Des ruines, des salles d’opérations dévastées, des planchers arrachés, des ouvertures sans fenêtre. Le chirurgien referma l’album et dit de la même voix absente :

— Je suis désolé, je n’ai rien à vous offrir à boire. Avant, nous étions très bien organisés …

Comme si son visiteur n’existait pas, il se remit à jouer de l’orgue. Le même air lancinant. À quoi bon insister ? Le malheureux ne semblait plus avoir toute sa tête. Malko battit en retraite. Les deux femmes étaient mortes à cause de lui. Quelqu’un avait su qu’elles avaient parlé. Poursuivi par la musique, il regagna l’escalier. Mahmoud somnolait à son volant.

— Au Commodore, dit Malko.

Dès qu’il fut à l’hôtel, il se rua sur le téléphone. Ni Jocelyn ni Robert Carver n’étaient joignables. Dégoûté, il n’avait même plus envie de voir Neyla. Impossible, pourtant, de décommander la jeune chiite. La sonnerie du téléphone le fit sursauter.

— Allô ?

Silence, puis une voix inconnue dit en anglais :

— C’est « Johnny ». C’est vous qui m’avez contacté ?

Le cœur de Malko se mit à battre plus vite.

— Oui. Il faut que …

— Demain, venez à cinq heures à la Cité Sportive Camille Chamoun. Il y a un char détruit au centre de la pelouse. Attendez là.

Malko ne put en savoir plus : « Johnny » avait déjà raccroché. Cela semblait en tout cas plus sérieux que ses contacts actuels. Pourtant, il ne pouvait pas négliger entièrement Neyla. Il avait prévenu Mahmoud qu’il avait fait la connaissance d’une fille ravissante et qu’il l’emmènerait dîner. À cause du couvre-feu, il avait besoin du chauffeur. De cette façon, il espérait que le Libanais ne se poserait pas de questions. Inutile qu’il en sache trop.

* * *

Quelques sifflements flatteurs saluèrent l’entrée de Neyla dans le hall du Commodore. La jeune chiite arborait fièrement le sac offert par Malko et avait ajouté à sa tenue des bas noirs qui la rendaient encore plus provocante.

Même le perroquet en perdit la voix. La jupe de cuir noir, sur elle, était un véritable appel au viol.

— Où allons-nous dîner ? demanda Malko.

Elle eut une moue devant le restaurant chinois de l’hôtel où s’entassaient quelques journalistes.

— À l’ouest, il n’y a pas grand-chose. Il faut aller à l’est. La Closerie. C’est assez sympa.

Ils traversèrent tout Beyrouth en un temps record, dans des rues vidées par le couvre-feu, pour aboutir à une petite place provinciale, au cœur de la colline d’Achrafieh. La Closerie n’était éclairée que par des bougies et presque toutes les tables étaient occupées. Un grand bar sombre, près de l’entrée, abritait un bruyant groupe d’Américains. Malko et Neyla s’installèrent face à face. La jeune chiite posa sa main sur celle de Malko.

— Merci encore pour le sac.

Il n’osa pas lui dire qu’il attendait d’elle des choses beaucoup plus importantes qu’un remerciement. Sous la table, la jambe de Neyla frôla la sienne qui ne se déroba pas. Malko commanda une vodka, essayant de chasser de son esprit l’appartement dévasté des Masboungi et le vieil homme désespéré qui jouait de l’orgue.

* * *

La consommation d’alcool de Neyla aurait donné un infarctus à Khomeiny. À deux, ils étaient venus à bout de deux bouteilles de vin de la Bekaa, un rouge assez lourd, mais de bonne tenue.

Les doigts de Neyla étaient entrelacés aux siens et son regard brûlant ne le quittait pas. Ils échangèrent leur premier baiser par-dessus la table, et une coulée de plaisir glissa le long de l’épine dorsale de Malko. Le regard de Neyla chavira.

— Comme j’aimerais danser !

— Il y a encore des discothèques ?

— Une, fit-elle, le Rétro.

— Eh bien, allons-y !

Lui aussi avait envie de prolonger la récréation. À Beyrouth, on ne vivait pas au jour le jour, mais heure par heure. Il aurait le temps de « briefer » Neyla, avant qu’ils se séparent …Dehors, l’Oldsmobile était la dernière. Mahmoud émergea d’un sommeil réparateur. Dès le premier virage qui les jeta l’un contre l’autre, Neyla demeura dans les bras de Malko. Même le passage d’un barrage, plafonnier allumé, n’interrompit pas son baiser.