— Je suis pressée, fit-elle, la boutique va ouvrir.
Sans répondre, il la fit pivoter. Les yeux de biche étaient encore troublés par le plaisir et les larmes. Il éprouva quelque chose de profond, soudain. Leurs bouches s’écrasèrent l’une contre l’autre. Leurs ventres se trouvèrent et il la pénétra, elle sur la pointe des pieds, le dos appuyé au lavabo. Ils firent l’amour lentement, jusqu’à ce qu’ils explosent ensemble. Malko n’arrivait plus à se rassasier de son corps. C’est Neyla qui le repoussa avec un sourire d’excuse.
— Il faut que je parte. Ce soir, j’irai à Bordj El Brajneh. Je t’appelle ensuite.
La pluie, le cloaque. Des trombes d’eau noyaient de nouveau Beyrouth. Du coup, les bombardements avaient cessé. L’Oldsmobile de Mahmoud se traînait sur la corniche Maazra, bordée des vestiges des immeubles détruits, en direction de l’ambassade US.
Un coup de klaxon impérieux força l’Oldsmobile à se ranger. Une BMW blanche les doubla, et une fille blonde adressa à Malko de grands signes en souriant. La voiture était conduite par un homme. La BMW s’arrêta un peu plus loin et la fille, par gestes, lui fit signe d’en faire autant. Intrigué, Malko jeta à Mahmoud :
— Arrêtez-vous.
Il descendit, bravant les rafales de pluie et de vent et courut jusqu’à la BMW. La porte arrière était ouverte. La fille souriante lui cria quelque chose qui se perdit dans le grondement de la circulation. Malko fut croisé par une espèce de clochard qui dansait tout seul sous la pluie, nu-tête, avec un chandail de marin, essuyant au passage les pare-brise des voitures en stationnement, en dépit du déluge ! Il s’approcha de la fille.
— Que voulez-vous ?
Elle sourit.
— Faire votre connaissance.
Il n’eut pas le temps de répondre. Quelqu’un venait de le saisir par-derrière, avec une force herculéenne, le décollant du sol, lui immobilisant les bras le long du corps. Tandis qu’il se débattait, celui qui le tenait – il sentit l’odeur mouillée de la laine – le faisant tournoyer, lui heurta brutalement le crâne au montant de la BMW. Du coin de l’œil, il vit Mahmoud qui courait vers lui, puis il eut un éblouissement, ses jambes se dérobèrent sous lui. Déjà, son agresseur l’enfournait dans la BMW, la tête la première ! Au passage, il aperçut le visage de la fille blonde qui ne souriait plus du tout. Il sentit vaguement qu’elle basculait sur lui et que la voiture démarrait en trombe. Puis deux pouces habiles appuyèrent sur ses carotides. Ceux de la fille. Son cerveau, privé de sang, cessa de fonctionner, un voile noir passa devant ses yeux et il perdit connaissance.
Chapitre VII
Malko éprouva d’abord une sensation d’étouffement, comme s’il était en train de se noyer, puis cela se transforma en une angoisse diffuse, rappelant un cauchemar d’enfant, lorsqu’on tombe dans un puits sans fin. Il mit plusieurs secondes à réaliser qu’il avait les yeux grands ouverts mais qu’il ne distinguait qu’un noir si opaque qu’il en semblait presque solide. La tête lui tournait.
Il voulut bouger, mais n’y parvint pas. Là encore, il lui fallut un long moment pour définir sa position. Attaché de façon très serrée sur un siège très dur, le cou pris dans un lien souple qui lui laissait tout juste la liberté pour respirer. Il ne souffrait pas, à part une vague nausée et une migraine. Il essaya en vain d’ouvrir la bouche : un large sparadrap était collé sur ses lèvres. Il prit soudain conscience du plus étonnant : il n’entendait rien ! Cette absence de sensations essentielles provoquait une impression bizarre d’apesanteur, de vide.
Peu à peu la mémoire lui revint. La corniche, son kidnapping. Où se trouvait-il ? Qui l’avait enlevé ? Depuis combien de temps était-il là ? Autant de questions auxquelles il ne pouvait répondre … Il sentit un contact contre son cou, puis brutalement, une lumière éblouissante remplaça le noir, à tel point qu’il eut un mouvement de recul. On venait de retirer la cagoule qui l’encapuchonnait, comme on libère un faucon pour la chasse ! Puis, on arracha le sparadrap et des boules de mastic enfoncées dans ses oreilles.
Il lui fallut d’interminables secondes, pour comprendre que la lueur aveuglante venait d’un projecteur braqué sur lui, dont le faisceau se mit à chauffer douloureusement son visage. Derrière, il devina plusieurs silhouettes. Puis le projecteur s’éteignit. Des taches brillantes continuèrent à danser dans ses prunelles.
— Que faisiez-vous chez Jack ?
La voix claqua comme un coup de fouet, lourde, un peu grasseyante, dans un anglais teinté d’accent. Malko baissa les yeux le temps de voir les bracelets de cuir l’immobilisant à un siège qui ressemblait à celui d’un dentiste. La question venait de dévoiler la personnalité de ses kidnappeurs : des Israéliens. Quand il les releva, sa vision était redevenue presque normale. Il les distingua nettement tous les quatre : trois hommes et une femme. Un grand blond aux yeux bleus, un brun qui avait l’air d’un Arabe et un gros à la peau jaunâtre, celui qui avait parlé. La fille était appuyée au mur, fumant nerveusement, le fixant d’un regard assombri par la haine. Plutôt belle, en dépit de son visage plat et de son nez tourmenté de boxeur : mince, bien moulée dans son jean et un gros pull de laine noire. Elle écrasa sa cigarette et vint se planter en face de Malko.
— C’est vous le salaud qui les a menés à Jack ?
— Laisse-le, interrompit le gros d’un ton apaisant.
La fille s’écarta. Malko, complètement remis, mais la tête encore embrumée, cherchait à comprendre. Pourquoi les Israéliens l’avaient-ils enlevé ? Il tourna la tête vers celui qui était intervenu. Les trois hommes tournaient autour de lui, comme des fauves autour d’un bon repas.
— Nous sommes en Israël ? demanda-t-il.
Tel-Aviv n’était guère qu’à cent kilomètres de Beyrouth.
Sans répondre, le blond alla à la baie et écarta les rideaux d’un geste théâtral, découvrant un promontoire, une route en contrebas et la mer. Il tendit le doigt vers la droite.
— Là-bas, c’est Jounieh, à gauche Beyrouth.
Donc, il était toujours au Liban. Malko remarqua que ses interlocuteurs étaient armés. Des pistolets passés à même la ceinture sous le pull. Probablement des gens du Mossad.
— Pourquoi suis-je ici ?
La fille surgit comme une furie.
— Parce que tu es responsable de la mort de Jack ! lança-t-elle. Comment l’ont-ils trouvé, hein ?
— Qui, ils ? demanda Malko.
Le gros Israélien secoua la tête avec un air de commisération.
— Tu sais bien, le copain de tes copains, Nazem Abdel-hamid.
Malko baissa les yeux. Comment connaissaient-ils l’existence de contacts avec le Palestinien ? Celui que Robert Carver, le chef de poste de la CIA semblait considérer comme un allié. Il connaissait la paranoïa des Israéliens pour tout ce qui était palestinien. Une chose le troublait, cependant. Le colonel Jack était bien mort. Tué devant ses yeux. Sa présence pouvait n’être qu’une coïncidence. Mais si les accusateurs disaient vrai ? S’il avait conduit ses assassins au colonel israélien, c’était grave. Il pensa au carnet noir de John Guillermin. Ses interlocuteurs en ignoraient visiblement l’existence. Il voulut bouger et réalisa qu’il était toujours attaché.
— Détachez-moi, avant de parler, fit-il sèchement, nous sommes alliés, il me semble.
Il y eut une discussion animée en hébreu entre les trois hommes, puis finalement, à regret, le blond défit ses liens sous l’attention haineuse de la panthère. Malko chercha le regard du petit gros, qui semblait se donner un grand mal pour comprimer sa personnalité. C’était le chef. Malko frotta ses poignets endoloris, se leva, fit quelques pas jusqu’à la baie vitrée. Apparemment, il se trouvait dans une villa privée, un poste secret du Mossad en zone chrétienne. Derrière lui, la voix de l’Israélien lança plus doucement :