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— Elle est superbe, non ? Et pas infectée comme beaucoup de maronites. Heureusement que je ne l’ai pas balancée à John.

Depuis qu’il avait découvert Neyla, Malko s’expliquait mieux la prudence du chef de station : il avait surtout voulu conserver à son usage personnel un coup fabuleux. Les Voies du Seigneur sont impénétrables. Neyla devait sa survie à son tempérament volcanique.

— À propos, dit Malko, il y a quand même une bonne nouvelle : je vois « Johnny » tout à l’heure.

Le visage de Robert Carver s’illumina.

— Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit tout de suite ! Surtout, faites gaffe aux Schlomos.

Malko se leva et rétorqua :

— Et vous, ne notez pas trop de choses.

* * *

L’homme qui se faisait appeler Abu Nasra était penché sur les agrandissements photographiques des pages du carnet de John Guillermin. Leur examen avait déjà donné de bons résultats, mais ce n’était pas terminé. Les yeux fatigués, il s’interrompit pour fumer une cigarette, en contemplant les vagues grises de la Méditerranée. L’immeuble où il se cachait était situé un peu en retrait de la corniche du Général de Gaulle dans le quartier des ambassades, une enclave du PSP de Jumblatt, ce qui assurait sa sécurité. Les locaux étaient officiellement loués à la mission commerciale iranienne. Une vingtaine de Hezbollahis venus de Téhéran assuraient la sécurité rapprochée de Abu Nasra, en plus de ses hommes à lui.

Il était arrivé à Beyrouth Ouest sans trop de problèmes. Sa présence y était indispensable, pour coordonner les efforts d’une centaine d’agents lancés dans un travail de fourmi, afin de réussir ce qui allait être le couronnement de sa carrière de terroriste.

Seulement, de nombreux grains de sable pouvaient se glisser dans la mécanique, jusqu’à la dernière seconde. Le souci d’Abu Nasra était de les éliminer systématiquement et férocement. John Guillermin, le colonel Jack et quelques autres plus obscurs avaient été neutralisés, mais il ne sous-estimait pas les Américains. Ils avaient de l’argent, de bons professionnels et la volonté de se venger.

On frappa à la porte.

— Entre ! cria Abu Nasra.

C’était un courrier en treillis militaire, avec un rapport. Une synthèse de quelques informateurs bien placés. Soulignant un nouveau danger. Celui qui avait pris la place de John Guillermin et se montrait déjà très actif. Abu Nasra avait besoin de quelques jours encore. Il se rassit, écarta les photos qui encombraient le bureau et commença à prendre des notes, afin d’organiser l’élimination de ce nouvel adversaire.

Chapitre VIII

— Jésus-Christ ! Qu’est-ce que vous venez faire ici ? Il n’y a personne …

Mahmoud venait de quitter l’avenue Camille Chamoun pour se garer sur l’esplanade couverte de gravats où se dressait la carcasse détruite de la Cité Sportive Camille Chamoun, un superbe stade dont ne restaient que des morceaux de béton.

— On m’a dit qu’il y avait des choses intéressantes à y voir la nuit, dit Malko.

Mahmoud le fixa, l’air comiquement inquiet.

— Monsieur Malko, vous ne m’avez pas payé d’avance, je ne peux pas vous laisser aller là-dedans … Je ne verrai jamais mon argent.

— Priez Allah, conseilla Malko. Qu’il me protège. À tout à l’heure.

— Jésus-Christ ! Vous êtes fou !

Aucun taxi n’avait voulu conduire Malko dans la banlieue sud et il avait dû se replier sur Mahmoud. Le Libanais était quand même payé par la « Company », même s’il avait d’autres employeurs. Il ne se risquerait pas à une trahison trop ouverte.

Le stade, jusqu’en 1982 le plus grand dépôt de munitions palestinien, avait depuis été écrasé, déchiqueté par les bombes israéliennes. Les gradins de béton s’étaient effondrés, les uns sur les autres, les blocs de ciment jonchaient la pelouse centrale et les tribunes avaient été complètement aplaties.

Malko s’enfonça dans les gravats, gagna ce qui avait été jadis une entrée, se faufila entre les structures ravagées, escalada des plaques de béton, évitant les trous, les fers perçants comme des épées, grimpant à quatre pattes, jusqu’à ce qu’il atteigne l’intérieur d’où il dominait l’ancienne pelouse rectangulaire. Plusieurs véhicules détruits pourrissaient dans l’herbe haute. Le silence était absolu, impressionnant. « Johnny » avait bien choisi son endroit … Malko redescendit avec précaution à travers les gradins disloqués jusqu’à la pelouse spongieuse, creusée d’excavations et de fossés. Contournant une ambulance percée comme une écumoire, il se dirigea vers la droite où il apercevait la carcasse rouillée, déchenillée, d’un char T54 soviétique. La tourelle du char, renversée, le canon éclaté, gisait un peu plus loin. Le 357 Magnum qui pesait dans sa poche lui semblait bien dépassé dans ce décor apocalyptique. Malko s’arrêta et regarda autour de lui. Personne ! Son cœur commençait à battre un peu plus vite … Soudain, au moment où il s’y attendait le moins, quelque chose bougea dans le char détruit. Le canon noir d’un Kalachnikov émergea puis une voix lança en anglais :

— Don’t move !

Une frêle silhouette s’extirpa de la carcasse rouillée et Malko vit apparaître un jeune garçon sanglé dans une tenue vaguement militaire qui le menaçait de son arme. Il sauta à terre, enfonça le canon de son arme dans l’estomac de Malko, et poussa alors un coup de sifflet strident. Trois autres jeunes garçons semblèrent surgir du sol. L’un le fouilla, le dépouilla de son arme et de tout son argent puis le poussa en avant.

Ce n’était pas le moment de discuter.

— « Johnny » ? demanda Malko.

Le gosse ne répondit pas, mais, avec son arme, lui fit signe de l’accompagner. Ils se dirigèrent vers les gradins, en face du char, et se faufilèrent entre deux plaques de béton presque verticales et tantôt à quatre pattes, tantôt se glissant entre les blocs déchiquetés ils progressèrent comme des troglodytes, entre des parois suintantes d’humidité dans une clarté grisâtre, pour atteindre un escalier très raide. Ils descendirent dans les entrailles du stade détruit. Un gosse poussa une porte et Malko découvrit une pièce de ciment nu, encombrée de caisses, au mur, un grand poster de Yasser Arafat, barbu et souriant, au-dessus d’une caricature anti-israélienne, des grabats, quelques meubles en bois, des armoires métalliques. Ce devait être l’ancien vestiaire du stade. Un homme attendait, appuyé à une table. Son visage évoquait vaguement un batracien, avec des yeux proéminents pleins d’intelligence, un nez busqué et une grande bouche mobile. Trapu, il portait une veste en lainage vert, avec de curieux bottillons assortis, pas de cravate, un pantalon de flanelle. Son apparence soignée contrastait avec le désordre de la petite pièce. Malko aperçut un briquet en or posé sur la table, à côté d’un paquet de Dunhill rouge. Un sourire distendit encore davantage la grande bouche.

— Bonjour, je suis « Johnny ».

Le gosse qui s’était caché dans le tank détruit posa sur la table le 357 Magnum et l’argent de Malko, puis lui et ses copains s’éclipsèrent, laissant les deux hommes en tête à tête.

— Comment va M. Carver ? demanda « Johnny ».

— Il a besoin de vous.

Le Palestinien hocha la tête, pensivement.

— Soyez plus prudent que John Guillermin. Il paraît que Abu Nasra a trouvé des informations importantes sur son cadavre. C’est très fâcheux.

Décidément, tout le monde était au courant. Malko s’abstint de répondre. « Johnny » tira sur sa cigarette.

— J’ai eu des informations ces derniers jours, annonça-t-il. Les gens d’Amal ont remis aux Iraniens un entrepôt blindé jadis utilisé par les Palestiniens, à Hadeth, afin de préparer une grosse opération.