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— Qui la prépare ?

« Johnny » eut un sourire amusé.

— Abu Nasra, voyons ! C’est le chef de mission de toutes les opérations qui se déroulent dans le Grand Beyrouth. Il a la confiance des gens de Téhéran. Un bon technicien. Il a été formé à l’École de Kiev, en Union Soviétique, à toutes les techniques des explosifs. Son échelon principal est dans la Bekaa, à Baalbek.

— Où se trouve-t-il ?

Le Palestinien jeta un nouveau coup d’œil amusé à Malko.

— Comme moi : nulle part. Quelque part dans Beyrouth, mais vous ne le trouverez pas ! Si on prétend vous mener à lui, ce sera un piège. Il est trop bien protégé. C’est l’homme le plus précieux pour les Iraniens. Il a déjà fait sauter l’ambassade américaine et les camps des Marines et des paras français.

— Avez-vous des détails sur cette opération ?

« Johnny » prit son briquet et joua avec quelques instants avant de répondre :

— Dans la banlieue sud, ce n’est que le dernier échelon. Il faudrait aller à Baalbek. Moi, bien sûr, je ne peux pas m’y rendre, c’est chez les Syriens. Toute la préparation « lourde » se fait là-bas.

Baalbek ! Malko y était allé jadis, avec une créature de rêve[12]. Les choses avaient bien changé.

— À Baalbek, remarqua-t-il, il faut des informateurs.

— J’en ai, dit « Johnny ». Si vous prenez le risque d’aller là-bas, je peux vous aider.

— Comment ?

— Quelqu’un sait ce qui se prépare. Un ami. Si on le contacte sur place de ma part, il parlera. (Il regarda sa montre.) Maintenant, je dois partir. Je ne reste jamais longtemps dans le même endroit. Je vous rappellerai demain entre six et sept. Vous me direz ce que vous avez décidé pour Baalbek.

— Merci, dit Malko.

« Johnny » lui tendit son revolver et son argent.

— Attendez pour me remercier. Et surtout, n’essayez pas de revenir ici tout seul. Tous les chemins d’accès qui mènent à cette cache sont piégés. Ces gosses sont très ingénieux, ils ont l’habitude …

Il ouvrit la porte et Malko aperçut dans la pénombre un garçon accroupi, appuyé sur son Kalachnikov. « Johnny » lui ébouriffa affectueusement ses cheveux frisés.

— C’est Farouk, mon copain. Il parle bien anglais, vous savez. Hein, Farouk, tu parles anglais ?

— Yeah ! fit le gosse en se relevant.

— Qui sont-ils ? demanda Malko. Que font-ils ici ?

— Ce sont des Palestiniens, comme moi, expliqua « Johnny ». Ils habitaient Sabra et Chatila. Leurs familles ont été tuées, les bombardements israéliens ou les phalangistes. Ils ne veulent plus vivre dans leur taudis. Ils ont trouvé des armes, ici, un abri et ils se louent.

— À qui et pour quoi faire ?

Le Palestinien eut un sourire un peu triste.

— Pour tuer, bien sûr, ou poser des explosifs. À tout le monde, sauf aux Israéliens et aux phalangistes. Mais, de temps en temps, ils doivent se faire manipuler … Ils ont tous entre dix et quatorze ans, comme Farouk. Ils sont courageux, fous et désespérés. Ils ne survivent pas trop mal. Ils ont des filles, du haschich de la Bekaa et assez d’argent pour manger. Ce sont mes amis.

Farouk écoutait gravement, appuyé sur son Kalachnikov, comme un vieux guerrier.

— Personne ne s’occupe d’eux, ne vient les déloger ?

— Non, dit « Johnny », ils sont trop dangereux.

Ils reprirent le même chemin et émergèrent quelques minutes plus tard sur la pelouse. Le Palestinien serra la main de Malko et redisparut dans les failles du béton. Malko mit dix minutes à regagner le monde extérieur, oppressé par cette ambiance de fin du monde. Mahmoud l’accueillit avec de grandes démonstrations de joie.

Il restait à trouver un moyen d’aller à Baalbek.

* * *

Malko avait presque oublié l’invitation à dîner de Jocelyn Sabet lorsqu’elle l’appela dans sa chambre pour le prévenir qu’elle était dans le hall. La rage le reprit aussitôt : la jeune phalangiste semblait bien responsable de la mort des Masboungi.

Elle était très élégante dans un tailleur-smoking noir, les cheveux tirés, un maquillage léger. Malko attendit d’être dans la Mitsubishi rouge pour dire ce qu’il avait à dire … Jocelyn Sabet écoutait sans ralentir. Il vit seulement sa bouche se crisper rapidement. Puis, elle tourna la tête vers lui :

— Vous ne pensez quand même pas que c’est moi ?

— Peut-être pas, dit Malko. Mais quelqu’un dans votre entourage.

Les yeux noirs de la jeune femme flamboyèrent de rage.

— Je vais appeler tout de suite celui qui m’a communiqué le renseignement. Il travaille à la Sûreté. C’est un de ses subalternes qui a trahi. On va le trouver et s’en occuper.

— Cela ne ressuscitera pas les Masboungi, remarqua Malko.

Jocelyn Sabet s’arrêta pour montrer son laissez-passer à un barrage, alluma le plafonnier et lança :

— Non, mais cela fera un traître de moins.

* * *

C’était un dîner très chic, à part les lampes à butane posées sur les guéridons et la terrasse en ruine dévastée par un obus. Comme d’habitude, on avait refait le Liban autour des mézés.

Jocelyn, après s’être éclipsée au téléphone, à la fin du repas, le surveillait du coin de l’œil, plus stricte que les autres invitées dégoulinantes de bijoux et de strass … Comme on était loin de la Cité Sportive … Pourtant la guerre était présente : dans un coin, un professeur de médecine gémissait sur sa faculté écrabouillée. Tous ceux qui étaient là avaient perdu soit un parent, soit un ami, au cours de ces huit ans de guerre civile, mais personne n’en parlait, renforçant sa pudeur au J & B.

Jocelyn rejoignit Malko. Les yeux brillants, tendue, elle réchauffait entre ses longs doigts un verre de Gaston de Lagrange :

— Je saurai demain pour les Masboungi.

Un gros Libanais jovial les rejoignit. Jocelyn lui demanda :

— Qu’est-ce que tu deviens, Rachid ?

— Je reviens de Baalbek !

Malko dressa l’oreille :

— Vous êtes allé visiter les ruines ?

Jocelyn éclata de rire :

— Les ruines sont fermées ! Là-bas il n’y a plus que les Syriens, les Iraniens et les voleurs de voitures. C’est sûrement pour ça que Rachid y a été.

— Comment cela ?

— La guerre ne ruine pas tout le monde, expliqua Jocelyn. Il y a un gang dirigé par un certain Abu Chaki. Ses hommes volent les voitures à Beyrouth, surtout dans le quartier chrétien, les Mercedes, les Porsche, les BMW. Grâce à ses complicités chez les druzes, il les fait passer dans la Bekaa. Il revend les plus belles aux Syriens et démonte les autres pour les pièces. Rachid approuva :

— C’est vrai. On m’avait volé la mienne, mais je l’ai récupérée, parce que j’ai fait vite. J’ai trouvé quelqu’un qui m’a conduit chez Abu Chaki, à Baalbek. Je lui ai offert cinq mille livres s’il « retrouvait » ma voiture. Je suis revenu avec ! Bien sûr, il me la revolera, mais cela me donne un peu de temps …

Une explosion proche arrêta toutes les conversations. Les vitres tremblèrent. Un ancien ministre, à côté de Malko, annonça avec un sourire très mondain :

— Tiens, une fusée Grad. Ils sont en avance ce soir.

Jocelyn prit le bras de Malko.

— Rentrons, le Ring va devenir dangereux.

Il y avait toujours ce délicat passage d’est en ouest. Il la suivit. D’ailleurs la soirée se terminait.

Des soldats endormis les stoppèrent à l’entrée du Ring, leur assurant que tout allait bien. C’était vraiment la voie la plus sinistre de Beyrouth, avec ses deux murailles noires de ruines où se terraient des miliciens d’Amal. Jocelyn Sabet ne semblait pas avoir conscience du danger.

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SAS n° 26 : Mort à Beyrouth.