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Autrement dit dans un autre monde.

Il lui restait quelques secondes pour agir. Un des miliciens était déjà en train d’ouvrir l’étui de son pistolet. Avant qu’il ait pu saisir son arme, Malko lança sa main droite en avant, saisit la crosse du pistolet glissé dans la ceinture du Palestinien et s’empara de l’arme, un Tokarev.

Par ce geste, il créait une situation irréversible, d’où ils avaient une chance sur mille de sortir. Mais en ne faisant rien, c’était fichu, sans espoir.

Braquant le Tokarev sur les deux miliciens, il cria en anglais :

— Ne bougez pas ou je vous tue !

Les deux hommes s’immobilisèrent aussitôt. Heureusement, les parois du temple les dissimulaient au monde. Il ignorait cependant si les deux hommes étaient seuls, si les ruines n’étaient pas cernées. L’image de Rachel traversa son esprit. Les faits semblaient donner raison à la fille du Mossad : il était tombé dans un piège mortel …

La scène demeura figée quelques secondes. Le Palestinien était blanc, les deux autres plutôt médusés. Très jeunes, ils semblaient dépassés par la situation. Neyla s’appuyait aux vieilles pierres, livide, une main devant la bouche. Malko cherchait désespérément une solution. Tout à coup, un des miliciens, ignorant l’arme braquée sur lui, fit un pas de côté et prit les jambes à son cou vers la sortie du temple. S’il s’échappait et donnait l’alarme, ils auraient en quelques minutes tous les Hezbollahis de Baalbek sur le dos. Malko leva son pistolet, ramena le chien en arrière, visant le dos de l’homme qui courait.

S’il appuyait sur la détente, la détonation immanquablement allait attirer l’attention.

S’il laissait le milicien s’échapper, les ruines seraient cernées en très peu de temps.

Son index poussa la détente de quelques dixièmes de millimètres. Il arrêta son geste, le cerveau en fusion. Quelle décision prendre ? Une fois engagé dans l’escalier monumental du temple de Bacchus, le milicien serait hors de portée.

Chapitre XI

Probablement pour voir ce que faisait Malko, le fugitif se retourna, sans cesser de courir. Son compagnon était toujours figé. Le voyant prêt à tirer, il fit un écart, mais son pied se prit dans une des rainures séparant les énormes dalles formant le sol du temple de Bacchus. Il trébucha et tomba avec un cri.

Le contact de « Johnny » se rua aussitôt dans sa direction. Il le rejoignit au moment où l’autre se relevait. Malko le vit prendre un poignard dans sa botte et le plonger à plusieurs reprises dans le cou de l’homme encore à terre, puis continuer à le frapper, au visage, au torse, au ventre, comme un fou. Lorsqu’il se redressa enfin, le milicien demeura inerte, dans une mare de sang. Le Palestinien se redressa et, comme un automate, marcha sur le second milicien qui semblait paralysé, toujours sous la menace de Malko.

Avec un cri de terreur, le milicien survivant parut se réveiller et chercha à dégainer son Tokarev flambant neuf, sans tenir compte de l’arme braquée sur lui.

— Non ! cria Malko.

Il ne voulait pas le tuer. L’autre avait déjà dégainé. Il ramena en arrière la culasse de son automatique, faisant monter une balle dans le canon. Encore une fraction de seconde et il abattait Malko.

— Tire ! Mais tire donc ! cria Neyla, au bord de l’hystérie.

Malko appuya sur la détente. Le gros pistolet sauta dans sa main et l’homme recula sous l’impact de la balle blindée qui pénétra un peu à gauche de son sternum, en plein cœur. Ses prunelles s’agrandirent, son visage pâlit, le canon de son arme se baissa, tandis qu’une expression d’intense souffrance crispait ses traits. Malko avait encore l’écho de la détonation dans les tympans quand il tomba sur un genou, puis sur le côté. Le Palestinien arriva trop tard, poignard brandi, pour le frapper.

— Laissez-le, dit Malko. Il est mort.

Il s’agenouilla, examinant le mort. Quel âge pouvait-il avoir ? Vingt-deux, vingt-trois ans ? Quel gâchis ! Malko était bouleversé. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas été obligé de tuer ainsi, pour éviter d’être abattu lui-même. Il en avait la nausée. Il se redressa : Neyla le fixait avec de grands yeux affolés.

— Partons, fit-elle, en le tirant par la manche, partons.

Le Palestinien était blême. Malko lui tendit son pistolet sans un mot et il le remit dans sa ceinture. Les deux hommes se regardèrent.

— Vous croyez qu’ils étaient seuls ? demanda Malko.

L’autre secoua la tête, trop ému pour parler. Malko avança vers les marches, scrutant les ruines en contrebas, sans voir personne. Ce qui ne voulait rien dire … Il réalisa que le corps du milicien poignardé, tombé à l’entrée de l’escalier, était visible d’assez loin. Avant tout, ne pas s’affoler, mettre le peu de chances qui restaient de son côté. Il appela le jeune Palestinien qui s’apprêtait à détaler.

— Venez m’aider.

La nuit allait tomber dans une heure. D’ici là, il fallait éviter tout risque inutile. Malko découvrit une ouverture donnant sur une sorte de douve, serrée entre deux parois, profonde d’une vingtaine de mètres.

— Il faut les mettre là, dit-il. On ne les trouvera pas tout de suite.

Ils transportèrent les deux cadavres. Dix minutes dans un silence pesant troublé seulement par les glissements et les frottements des corps sur les vieilles pierres. En sueur, Malko se redressa. Apparemment, personne en dehors du gardien des ruines n’avait entendu le coup de feu. Sinon les miliciens seraient déjà là … Déjà un point pour eux. La ville était à un kilomètre et de toute façon, un coup de feu isolé n’était pas quelque chose de vraiment inhabituel dans ce pays en guerre. Maintenant, on pouvait aussi leur tendre un piège …

Malko examina les lieux. S’ils ressortaient par la porte principale et qu’on les attende, c’était fichu. Bien sûr, il était facile dans ces ruines immenses de trouver une autre sortie.

Mais après ?

C’était une gageure de vouloir regagner Beyrouth à travers la zone syrienne, sans voiture. Donc la solution finalement la moins risquée était de faire comme si de rien n’était.

Le Palestinien attendait, figé de peur, essuyant machinalement ses mains tachées de sang à son jean. Malko lui prit le bras.

— Nous sortons les premiers. Attendez dix minutes. J’espère que vous n’aurez pas de problèmes. De toute façon, s’il arrivait quelque chose, nous ne nous sommes jamais parlé, nous ne nous connaissons pas.

L’autre hocha la tête, pas rassuré. Le soleil étant bas sur l’horizon, il commençait à faire frais et Neyla fut prise de tremblements. Elle était littéralement verte. Il lui prit la main afin de l’aider à descendre les hautes marches de pierre. La jeune chiite lui serrait les doigts à les écraser. Ils atteignirent enfin la pelouse où le gardien était toujours en train de nourrir ses chats. Il les interpella :

— C’était bien ?

— Superbe ! affirma Malko.

L’autre eut un hochement de tête.

— J’étais un peu inquiet. J’en ai vu arriver trois et j’ai entendu un coup de feu. Avec ces dingues-là, on ne sait jamais. L’autre jour, un militant de Amal islamique est venu ici avec sa sœur qu’il traînait par les cheveux. Il l’a battue d’abord, puis comme elle refusait toujours de porter le tchador, il lui a tiré une balle dans la tête. Il a fallu prévenir les Syriens. Et puis, souvent, ils s’amusent à tirer sur les pierres, pour essayer leurs armes. En tout cas, ils sont toujours là-haut …

— Vous en avez vu d’autres ? demanda Malko d’un ton volontairement indifférent.

— Non. Allez, dites bonjour à Beyrouth …

Leur cœur battait encore la chamade quand ils franchirent la petite porte de bois. Personne. Seul le chameau nostalgique leur jeta un regard torve … Ils se hâtèrent sur le chemin contournant les ruines. Divine surprise : au premier virage, ils tombèrent sur l’Oldsmobile, ce qui leur évitait un kilomètre à pied. Malko s’avança vers Mahmoud, tandis que Neyla remontait dans la voiture.