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— C’est une bonne idée d’être venu à notre rencontre.

Le Libanais arborait une expression bizarre et son sourire habituel avait disparu. Il s’approcha de Malko.

— Il faut que je vous parle …Le Libanais avait vraiment la tête à l’envers.

— J’étais venu vous retrouver. Il y a un sentier qui mène au grand temple sans passer par l’entrée, dit-il, de but en blanc, j’ai vu le type se faire poignarder. Et j’ai entendu le coup de feu … Qu’est-ce qui est arrivé ?

Impossible de lui mentir. Malko lui raconta la vérité. Le Libanais se liquéfia comme neige au soleil.

— Ils vont s’apercevoir que ces deux types ont disparu, gémit-il, et envoyer des gens à leur recherche. Le gardien des ruines parlera. Votre gars va se faire arrêter à son retour et dès qu’on l’aura un peu traité à la lampe à souder, il va raconter sa vie. Les Palestiniens, je les connais. Avec la peau des autres, ils sont toujours généreux, mais pour eux …

— Il faut partir tout de suite, dit Malko.

Mahmoud ne bougea pas, la tête baissée. Poussant du pied une vieille boîte de Pepsi-Cola. Franc comme un cheval qui recule. Au bout d’un pesant silence, il se jeta à l’eau.

— Écoutez, dit-il, vous me payez bien, seulement s’il y a un problème, vous, ils ne vous tueront peut-être pas tout de suite, mais moi, je passe à la casserole dans les cinq minutes.

— Vous aurez dix mille livres libanaises, proposa Malko.

Mahmoud secoua la tête, les yeux baissés.

— Ce n’est pas le problème …

— Qu’est-ce que vous suggérez ? demanda froidement Malko.

Le chauffeur gratta le sol de sa chaussure. Pas vraiment fier.

— Jésus-Christ ! soupira-t-il, je ne voudrais pas vous laisser tomber ! J’aurais pu partir sans rien dire, après le coup de feu. Vous pouvez demander un taxi à l’hôtel Palmyra. Il vous conduira jusqu’au dernier poste syrien avant les phalangistes. Ensuite, vous traverserez le no man’s land à pied et vous serez tirés d’affaire.

— Ben, voyons ! fit Malko. Et les barrages syriens ? Ils ne vont rien nous demander ?

— Vous avez vos laissez-passer … Expliquez que votre voiture a eu un accident ou qu’on l’a volée, cela n’étonnera personne.

Malko comprit qu’il était inutile de discuter : le Libanais était mort de trouille. Il risquait d’être encore plus dangereux à la moindre alerte, en les dénonçant pour se dédouaner. Robert Carver l’avait bien averti qu’il n’y avait pas de personnel fiable à Beyrouth … La solution que Mahmoud préconisait était valable si rien n’était découvert. Sinon, au premier barrage, ils étaient cuits. Les Syriens étaient peut-être des sauvages, mais ils avaient la radio …

— Bien, dit-il, vous pouvez au moins nous raccompagner à l’hôtel …Mahmoud se tassa encore un peu plus.

— Il vaudrait mieux pas. Cela pourrait paraître bizarre. Mais ce n’est pas loin …

Découragé, Malko n’insista pas.

— Bon, allez-y, fit-il. Bonne route. Dites à Neyla de descendre.

Mahmoud remonta dans son Oldsmobile, penaud, mais décidé. Neyla en émergea, défaite. Par la vitre baissée, le Libanais cria :

— Je vous attendrai jusqu’à minuit, au premier poste phalangiste à Bikfaya ! Comme ça vous n’aurez pas de problème pour regagner Beyrouth.

Encore un optimiste …

Mahmoud risquait d’attendre quelques années. Malko regarda l’Oldsmobile disparaître au tournant et prit la main de Neyla : il s’en voulait à mort d’avoir embarqué la jeune femme dans une aventure où elle risquait sa vie encore plus que lui. Un espion ça peut toujours s’échanger, surtout quand il appartient à une grande Centrale, mais une fille comme elle, c’était la torture assurée et la mort ignominieuse. Les Iraniens fondamentalistes n’étaient pas particulièrement féministes …

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda timidement Neyla, retenant ses larmes.

Malko était justement en train d’y réfléchir. Ils débouchèrent en face du Palmyra, longeant un camp militaire syrien en contrebas de la route. Les soldats les observaient avec curiosité : on ne voyait plus d’étrangers depuis longtemps à Baalbek : même les journalistes en étaient bannis. Une voiture les doubla, chargée d’Iraniens barbus, la tête ceinte d’un bandeau rouge, une petite clef attachée au cou : des Hezbollahis, martyrs de l’ayatollah, qui revenaient de l’entraînement.

— J’ai une idée, annonça Malko. On va dire à Abu Chaki que notre chauffeur nous a plaqués parce qu’il avait peur de revenir trop tard et lui demander de nous ramener à Beyrouth. Nous avons les cinq mille livres …

— Oui, mais si …

Il haussa les épaules.

— Inch Allah …

Il n’y avait vraiment rien d’autre à dire. Le soleil bas sur l’horizon ne chauffait plus.

* * *

L’entrepôt du voleur de voitures était toujours aussi animé. L’employé pas rasé et sans cravate les accueillit, tout juste aimable. Devant le bureau était garé un engin incroyable. Une Mercedes 500 toute blanche, y compris les pare-chocs, les roues, les chromes. Une série spéciale faite à Hambourg pour les émirs du Golfe.

— Nous n’avons pas trouvé votre voiture, annonça-t-il. Il faut revenir la semaine prochaine.

Malko s’assit.

— Je veux voir Abu Chaki.

— Pourquoi ? demanda l’employé, tout de suite soupçonneux. Vous le connaissez ?

— Oui, mentit Malko avec aplomb.

L’employé sortit, les laissant autour du poêle. Neyla avait les traits tirés et sursautait chaque fois qu’une voiture entrait dans la cour. Malko la calma d’un regard. Le barbu réapparut et leur fit signe de les suivre.

Ils pénétrèrent dans une pièce surchauffée, avec un bureau enrichi de marqueterie en nacre surmonté d’un portrait de Moussa Sadr extatique. Un joufflu à la superbe barbe noire installé dans un grand fauteuil avec l’onction d’un religieux, égrenait les perles d’un chapelet d’ambre.

Il enveloppa les deux étrangers d’un regard intrigué puis ses yeux s’attardèrent longuement sur la poitrine de Neyla. Malko se dit que leurs chances s’amélioraient …

— Je ne vous connais pas, dit Abu Chaki. Qui êtes-vous ?

— Moi, j’ai beaucoup entendu parler de vous, affirma Malko. J’ai voulu vous voir pour résoudre un problème. Mon chauffeur est parti pour Beyrouth, pensant que nous allions ramener la voiture que nous étions venus chercher. Nous n’avons plus de moyen de transport. Pourriez-vous nous aider ?

Abu Chaki caressa longuement sa belle barbe soyeuse avant de laisser tomber d’une voix douce, les yeux toujours fixés sur Neyla :

— Vous êtes en très mauvaise situation. Aucun taxi n’acceptera de vous mener hors de Baalbek sans un laissez-passer de Hussein Moussawi[16] et vous ne l’obtiendrez pas avant la nuit : si vous couchez au Palmyra ils sont obligés de vous déclarer aux Iraniens : les étrangers n’ont pas le droit de rester à Baalbek. Ils vont vous arrêter … Même moi, je risque des ennuis, si on vous trouve ici.

L’autre faisait monter les enchères. Il grignotait machinalement des pistaches, les jambes écartées. Ses cuisses énormes tendaient le tissu rayé de son pantalon à le faire craquer.

— Vous êtes trop puissant pour avoir de vrais ennuis … dit Malko.

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16

Chef de Amal islamique.