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— Abu Chaki a notre confiance. Il se porte garant de vous. Vous êtes donc libre, mais nous étudierons votre cas. Il faudra revenir ici pour l’enquête. Je vais vous donner un laissez-passer.

Malko faillit lui rire au nez, mais l’autre était déjà en train d’écrire. Inutile de le contrarier. Il avait hâte de sortir de cette pièce qui sentait la sueur et la haine. Les miliciens entouraient Neyla, comme des rats devant un morceau de fromage.

Enfin, ils descendirent l’escalier de bois extérieur.

— Où est Abu Chaki ? explosa Malko.

— Pas loin, dit Neyla.

Sa voix vibrait et tremblait. Malko n’osa pas lui demander ce qui s’était passé durant le voyage. Ils se faufilèrent dans les ruelles sombres en ruine et tombèrent enfin sur la Mercedes blanche garée en face d’étals de légumes éclairés par des lampes à acétylène. Abu Chaki était installé en face, dans une sorte de café arabe, en conversation animée avec un vieux à la barbe blanche en train de suçoter unnarguilé[18]. Les deux hommes s’embrassèrent et Abu Chaki rejoignit Malko. Ruisselant d’amabilité.

— Excusez-moi, dit-il. J’avais une affaire importante à régler. Ces imbéciles ne vous ont pas trop ennuyé ? Ce sont des gens gentils, mais très méfiants. Je vais vous raccompagner. Montez.

Neyla monta à l’avant, à côté du chauffeur, et Malko s’installa à l’arrière avec le Libanais. La grosse voiture blanche se frayait un chemin dans les ruelles encombrées, à grands coups de phares et de klaxon, ne s’arrêtant toujours pas aux barrages de miliciens. Les passants se collaient aux murs pour ne pas se faire écraser. Il fallait que le trafiquant au luxe agressif rende de sacrés services pour être ainsi toléré dans ce quartier miséreux. Malko ne respira qu’en émergeant au rond-point de Chatila, devant un M113 blanc neigeux de la Force italienne.

Ils avaient retrouvé la civilisation …

Abu Chaki se pencha vers lui avec un sourire complice :

— Vous direz à nos amis du sud que je vous ai tiré d’un très mauvais pas. Qu’ils s’en souviennent … Je dois aller à Saida, la semaine prochaine.

Malko ne parvint pas à dissimuler sa surprise. Ainsi, on le prenait pour un agent du Mossad et Abu Chaki, copain des chiites et des Iraniens, travaillait aussi pour les Israéliens ! L’autre se méprit sur sa surprise.

— Je ne savais pas ce qui allait se passer dans les ruines, dit-il. Si je n’avais pas été là, vous restiez à Baalbek pour longtemps. Mais vous direz à vos amis qu’ils devraient me prévenir dans un cas pareil. J’aurais pu ne pas être là.

— Je le leur dirai, affirma Malko.

Il y avait peu de chances qu’il retourne à Baalbek. Abu Chaki alluma une cigarette, l’air satisfait. Il avait passé une bonne journée. En empochant cinq mille livres, en croyant rendre service aux Israéliens et, en prime, profitant largement du corps superbe de Neyla.

Ils perdirent un peu de temps au passage d’Ouzaï, encombré comme toujours, à cause du barrage-passoire de l’armée libanaise, puis retrouvèrent les néons de la corniche Mazraa et la vie grouillante de Beyrouth Ouest. Il était sept heures dix. Malko n’en pouvait plus. Il pensa à Mahmoud qui devait les attendre à la limite de la zone chrétienne. Qu’il crève. S’il n’y avait eu que lui, ils seraient encore à Baalbek.

Dix minutes plus tard, ils stoppaient devant le Commodore.

Poignée de main gluante de Abu Chaki. La Mercedes blanche disparut dans les ruelles de Beyrouth Ouest. Neyla ressemblait à un zombi, ravagée, les yeux rouges. Elle fit signe à un taxi. Malko s’approcha d’elle.

— Neyla, je ne sais pas comment te remercier …

La jeune chiite tourna vers lui un regard mort.

— C’est facile. Ne viens plus jamais me voir …

Elle monta dans le taxi avant que Malko puisse répondre.

Ce n’était pas le moment de parler de la suite de sa mission avec son « fiancé » terroriste. Mais, sans son aide, il aurait du mal à trouver la benne à ordures volée. Même si, avec la découverte des ULM, cet attentat-là passait au second plan, il ne pouvait laisser tomber. Sans même entrer au Commodore, il monta dans un second taxi.

— Au Bain Jamal, dit-il.

Avant tout, rendre compte à Robert Carver. L’information qu’il ramenait était trop précieuse pour la conserver par-devers lui.

* * *

Le chef de station de la CIA, planté devant une carte du Grand Beyrouth, tendit le doigt vers la longue tache rectangulaire rose, de six kilomètres sur deux, représentant la banlieue sud.

— Comment voulez-vous retrouver un entrepôt là-dedans sans localisation précise ? Si nous n’y arrivons pas, votre information perd de sa valeur. Bien sûr, nous serons sur nos gardes, mais nous n’avons pas les moyens matériels de protéger à cent pour cent tous les objectifs, vingt-quatre heures sur vingt-quatre …

— Désolé, remarqua Malko, je ne pouvais vraiment pas rester plus longtemps à Baalbek.

Il était crevé, les nerfs à vif et voir l’Américain chipoter l’exaspérait.

— Ce n’est pas ce que je veux dire, précisa aussitôt le chef de poste. Mais votre job n’est pas fini. Il faut identifier l’endroit où les ULM vont arriver, afin de les détruire avant qu’ils ne soient opérationnels.

— « Johnny », suggéra Malko. Cela me paraît le seul. Il va sûrement me contacter.

— Si seulement on savait où le toucher !

— Dans ce cas, dit Malko qui commençait à connaître Beyrouth, il serait mort depuis longtemps.

Malko alluma une cigarette, ce qu’il ne faisait que dans les moments de grande tension.

— Ça n’a pas l’air d’aller, remarqua Robert Carver.

— J’ai tué un homme aujourd’hui, dit Malko. C’est une chose qui ne me laisse pas indifférent. Et je ne vous parle même pas de ce qu’a subi Neyla. À cause de nous.

— Je sais, vous n’avez pas un job facile, approuva chaleureusement l’Américain. Essayez de vous reposer.

— C’est ce que je vais faire, dit Malko.

* * *

Il avait traversé le hall du Commodore aux trois quarts lorsqu’une voix le héla :

— Malko !

Jocelyn Sabet était toute de noir vêtue, ses cheveux, retenus par un bandeau, cascadant sur ses épaules. Essoufflée, aussi. Elle rejoignit Malko, surpris de la voir surgir ainsi.

— Vous avez le don de double vue …

— Je ne pensais pas vous trouver, j’allais vous laisser un message. J’ai su que votre chauffeur est revenu seul de Baalbek et j’étais très inquiète.

Malko la regarda, stupéfait.

— Comment saviez-vous que j’étais à Baalbek ?

Jocelyn Sabet esquiva avec un sourire dévastateur.

— Je connais les gens de Budget. Vous auriez dû me dire que vous vouliez vous y rendre. Je vous aurais aidé.

Et surveillé … Décidément, Beyrouth réservait bien des surprises. Tout le monde travaillait pour tout le monde. La prudence de « Johnny » s’expliquait de mieux en mieux.

— Puisque vous savez tout, dit Malko, pouvez-vous me dire où se trouve mon chauffeur, Mahmoud ?

Une lueur ironique éclaira les yeux noirs de Jocelyn.

— Certainement. Au poste des kataeb de Bikfaya. Vous avez besoin de lui ?

— Merci, je suis crevé. J’ai besoin d’une douche et de sommeil.

Elle passa son bras sous le sien et demanda d’une voix de petite fille timide :

— Quand vous aurez pris votre bain, vous ne voulez pas m’emmener dîner ? Je dois aller chez des amis, avec vous ce sera moins ennuyeux. C’est aussi pour vous inviter que je venais.

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18

Pipe à eau.