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Malko hésita. Il était physiquement et moralement épuisé. D’un autre côté, cela lui changerait les idées. Il ne se sentait pas le courage d’attendre toute la soirée que « Johnny » téléphone. Il avait encore devant les yeux l’image du jeune milicien qu’il avait abattu, son regard à la fois terrifié et étonné. Il faudrait une sacrée dose de vodka pour atténuer ce mauvais souvenir. Et, peut-être aussi, la peau douce d’une femme.

— Bien, dit-il, dans une demi-heure.

Jocelyn ne put dissimuler sa joie :

— Parfait ! Je vais chez moi, je vous reprends au retour.

Le perroquet imitait l’arrivée d’une bombe de cinq cents kilos lorsqu’il prit l’ascenseur. Deux messages dans sa chambre. On l’avait appelé de Beyrouth, sans laisser de nom. « Johnny » ou Mona, l’hôtesse de l’air ? L’eau tiède lui fit du bien. Il se sentait affreusement coupable de laisser tomber Neyla. Or, il ne savait même pas où elle habitait. Impossible de la joindre avant le lendemain.

Il allait redescendre quand le téléphone sonna. Il eut un soupir de soulagement intérieur en reconnaissant la voix calme et grave de « Johnny ».

— Je savais que vous étiez revenu, dit le Palestinien.

— De justesse ! précisa Malko. Il faut que je vous voie. Le plus vite possible. Ce soir ?

— Non. Demain, soyez à onze heures au bar de l’hôtel Riviera.

Rassuré, Malko descendit. La Mitsubishi rouge de Jocelyn était déjà devant le Commodore. La jeune femme en avait profité pour se parfumer, mettre un chemisier transparent et une jupe serrée.

Elle adressa à Malko un sourire carnassier et tendre à la fois.

— Nous ne resterons pas trop longtemps à ce dîner.

Comme toujours, elle conduisait sa voiture de pompier à tombeau ouvert dans les rues étroites, brandissant son laissez-passer aux barrages, volubile, sous pression et malgré tout, très attirante avec son corps mince et souple. Ils mirent moins de dix minutes pour arriver au centre d’Achrafieh. Encore un appartement somptueux, des femmes couvertes de bijoux, des hommes un peu guindés et, en fond sonore, le roulement lointain de l’artillerie. C’était Byzance : de l’électricité, des tables croulant sous les mézés et un bar assiégé par les invités. Déjà, tous les hommes refaisaient le Liban autour des mézés. Jocelyn eut un rire nerveux en remplissant deux grands verres de vodka.

— C’est notre tranquillisant. Ici, tout le monde se saoule la gueule. Sinon, nous serions devenus fous depuis huit ans …

On sonna : de nouveaux arrivants. Parmi eux, une jeune femme blonde à l’allure sage qui se dirigea vers Malko avec un sourire en coin. Il faillit en lâcher son verre. C’était Rachel, l’agente du Mossad. Jocelyn Sabet lui adressa un sourire complice.

— Je crois que vous vous êtes déjà rencontrés …

Rachel enserra la main de Malko dans une véritable caresse, tandis que Jocelyn s’éloignait discrètement. Comment l’Israélienne avait-elle su sa présence à ce dîner ? Malko ne pouvait croire que ce fut une coïncidence …

— Vous saviez que je venais ?

L’Israélienne inclina la tête affirmativement :

— Oui. Vous nous intéressez beaucoup. Qu’avez-vous trouvé à Baalbek ?

Ce fat au tour de Malko de sourire.

— Rien de plus que ce que peut vous dire votre informateur Abu Chaki …

Le regard de la jeune femme vacilla imperceptiblement, puis elle se reprit et dit un peu sèchement :

— Je ne connais personne de ce nom.

Décidément, la discipline au Mossad n’était pas un vain mot … Rachel sentit qu’elle avait fait une erreur et se fit aussitôt plus chatte. Quelques couples évoluaient au milieu du salon et elle laissa tomber :

— Il y a si longtemps que je n’ai pas dansé …

Il l’enlaça et ne fat pas surpris de la sentir s’alanguir juste ce qu’il fallait contre lui pour l’émouvoir. En même temps, elle leva deux grands yeux innocents.

— Ne croyez pas que je ne pense qu’à mon métier, dit-elle, je ne fais pas cela tout le temps, je suis sociologue à Tel-Aviv, j’ai des amants, je voyage, je vis. Ici, aussi, je voudrais vivre, aimer, me détendre.

Elle se savait appétissante, avec ce corps bronzé et musclé, ces traits fins et réguliers et une pointe de sensualité pour enflammer un homme. Mais pourtant, Malko n’arrivait pas à accrocher. La vodka et la tiédeur de Rachel aidant, il se détendit toutefois, guetté par le regard ironique de Jocelyn. La trêve ne dura pas longtemps. Au troisième disque, Rachel lui demanda à l’oreille :

— Vous n’avez toujours pas rencontré Nazem Abdelhamid ?

— J’ignore de qui vous parlez, dit-il.

— C’est pour vous protéger, protesta Rachel avec véhémence. Je vous ai dit que ce salaud continue à travailler avec ses anciens copains. Le vrai terroriste c’est lui. S’il vous a laissé partir de Baalbek sain et sauf, c’est seulement pour vous mettre en confiance. Il va vous mener sur une fausse piste, pendant qu’il prépare un véritable attentat. Et ensuite, il disparaîtra, ira se refaire une santé au Yemen ou en Syrie.

— Je croyais que les Syriens voulaient sa peau ? remarqua Malko.

Elle eut un rire sec.

— Bullshit ! Ce sont ses copains.

— Alors pourquoi se cache-t-il à Beyrouth ?

— Pour donner le change … Alors, vous avez appris des choses intéressantes là-bas ?

Malko lui sourit. Un peu froidement.

— Je crois que la maison pour laquelle vous travaillez entretient d’excellents rapports avec Robert Carver. Pourquoi ne lui demandez-vous pas ? Et pourquoi cet acharnement contre ce Palestinien ? Il y a d’autres adversaires ici …

Le regard de l’Israélienne flamboya :

— Parce que les Palestiniens sont nos vrais ennemis.

Tous les Palestiniens. Même ceux qui font patte de velours. C’est eux qui veulent notre terre, pas les autres.

— C’est peut-être aussi un peu la leur, non ? remarqua Malko.

Rachel ne répliqua pas et s’éloigna brusquement, une lueur sombre dans le regard, adressant au passage un sourire éblouissant à un ancien ministre libanais. Elle avait quand même réveillé une petite pointe d’inquiétude chez Malko. Sans un quasi-miracle, son équipée à Baalbek se terminait tragiquement. L’informateur de « Johnny » était surveillé. Le savait-il ou non ?

Jocelyn revenait, ondulante. Il éprouva un pincement bête au cœur. Elle aussi était programmée comme un ordinateur. Son invitation n’était qu’un prétexte pour permettre à son alliée Rachel de le rencontrer. Il avait imaginé autre chose.

— Vous pouvez me ramener maintenant, dit-il, vous n’avez plus besoin de moi.

La jeune Libanaise sourit sans répondre et vida sa vodka d’un coup, mais il vit ses joues s’empourprer. Elle releva la tête et dit à voix basse :

— Nous n’avons pas encore dîné.

* * *

Jocelyn Sabet et Malko se retrouvèrent dans la rue sombre. Il leva la tête, écoutant les sourdes détonations qui venaient de l’ouest. Ils n’avaient plus échangé un mot depuis leur algarade feutrée, même pendant le dîner.

— On se bat à Souk El Gharb, remarqua-t-elle.

Ils s’offrirent le Ring comme d’habitude, noir comme un four, la chaussée luisante de pluie.

Surprise, au lieu du Commodore, Malko se retrouva devant le building cossu où vivait la jeune maronite.

— J’ai envie de boire un dernier verre, dit Jocelyn et je ne veux pas le boire seule. Cela vous ennuie de me tenir compagnie ?

Il aurait fallu une grande dose de muflerie pour refuser. Malko s’installa dans un canapé, tandis que Jocelyn s’affairait près de la bibliothèque. Soudain, le son extraordinairement pur d’un piano s’éleva dans la pièce. On aurait dit que l’instrument était là ! Jocelyn se retourna :