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— De toute façon, dit-il, dans quelques jours, je ne serai plus à Beyrouth. Ils se rapprochent trop de moi, tous. Les Israéliens, les Syriens et les phalangistes.

Malko n’avait pas vu la Mercedes noire qui revenait. En une enjambée, « Johnny » fut dedans. Elle s’était à peine arrêtée et redémarra aussitôt, sous le regard curieux des soldats libanais. Malko eut l’impression qu’on lui ôtait un énorme poids de l’estomac. Cela ne dura pas. Une grosse Datsun beige jaillit de la rue Henry Ford, coupant la route de la Mercedes qui dut piler pour éviter la collision. De la Datsun, bondirent trois hommes, des masques sur le visage, brandissant des Kalachnikov. Sans hésiter, ils ouvrirent le feu sur la Mercedes en train de reculer.

Malko eut l’impression de recevoir les balles lui-même. Le pare-brise de la Mercedes noire se volatilisa. Une rafale de coups de feu jaillit du véhicule, forçant les assaillants à s’abriter. La Mercedes noire, contournant la Datsun, fit un bond en avant et fila le long de la corniche Charles de Gaulle, sous une grêle de balles dont l’une sectionna l’antenne radio. Un des assaillants, touché, était tombé à terre. Ses deux compagnons le traînèrent jusqu’à la Datsun. L’un d’eux lâcha une rafale volontairement trop haut en direction du M113, et les soldats libanais plongèrent derrière leur blindé. Lorsqu’ils relevèrent la tête, la Datsun était déjà loin dans la circulation. De l’incident qui n’avait pas duré une minute, il ne restait qu’une tache de sang au milieu de la chaussée, avec des débris de verre. Ivre de rage, Malko partit à pied vers l’ambassade américaine.

* * *

Robert Carver était blanc. Il avait vivement fermé la porte du bureau pour qu’on n’entende pas les éclats de voix de Malko.

— Je ne peux pas faire cela, protesta-t-il, sans envoyer d’abord un message à Langley …

— Alors, j’y vais tout seul ! menaça Malko, mais cela risque de se passer très mal.

Le chef de station se résigna. Accablé.

— Bon ! Laissez-moi organiser notre déplacement.

Malko rongea son frein tandis que l’Américain donnait plusieurs coups de fil. Quand ils descendirent, deux voitures attendaient, en bas, des Buick blindées grises, avec une dizaine de gardes du corps, tous en civil. Malko et Robert Carver montèrent dans la première voiture. Dès qu’ils furent hors du périmètre de sécurité, ils foncèrent, pour se retrouver englués dans la circulation démente de Beyrouth Ouest. Arrivés dans la zone chrétienne, l’atmosphère se détendit. Il leur fallut encore vingt minutes pour atteindre la villa où Malko avait été « kidnappé ». Un M113 de l’armée libanaise veillait devant la grille. Lorsque les deux véhicules stoppèrent dans le jardin, d’autres civils armés, retranchés derrière des blockhaus de sacs de sable se découvrirent. En apercevant Robert Carver, ils baissèrent leurs armes. Quelques instants plus tard, Rachel descendit le perron, en jean, très décontractée.

— Quelle bonne surprise !

— Ce n’est pas une bonne surprise, souligna Malko. Où sont vos amis ?

— Lesquels ?

— Ceux qui viennent d’attaquer Nazem Abdelhamid.

L’Israélienne secoua la tête.

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

Sans un mot, Malko traversa le jardin et fit pivoter la porte du garage. Découvrant la Datsun beige criblée de balles, il ouvrit la portière : les coussins arrière étaient maculés de sang encore frais. Robert Carver l’avait suivi. L’Américain croisa le regard de l’Israélienne.

— Allez chercher votre responsable, dit-il, je pense que nous avons à parler.

* * *

— La prochaine fois, avertit Malko calmement, c’est moi qui tirerai sur vous.

Le visage du gros Israélien au teint foncé se tordit en un sale sourire.

— Il n’y aura pas de prochaine fois, dit-il, ce salaud a pris une giclée dans la gueule.

L’atmosphère déjà glaciale se refroidit encore si possible.

— Dans ce cas, fit Malko, vous serez responsable des attentats qui se produiront et que nous aurions pu éviter avec l’aide de Nazem Abdelhamid.

L’Israélien adressa un regard ironique à Malko.

— Vous nous aviez juré que vous n’aviez aucun contact avec ce type. Heureusement que nous ne vous avons pas crus. Vous êtes trop naïfs. Nous connaissons ces gens mieux que vous, nous les avons pénétrés depuis des années. Abdelhamid jouait le double jeu. Vos attentats, c’est lui qui les organise. S’il est mort, cela les retardera d’autant. Ces bâtards se reproduisent comme des rats. Et on les liquidera comme des rats.

Si les yeux de Rachel avaient pu tuer, Malko serait tombé en poussière. Il se leva. Cela ne servait à rien de continuer la discussion. Il ne convaincrait pas le Mossad. Robert Carver le suivit, après une brève inclinaison de tête. Il n’y eut aucune poignée de main. Ils remontèrent dans les véhicules et redescendirent vers la mer. Malko bouillait de rage. Il explosa :

— Quels imbéciles !

— Il faut les comprendre, dit l’Américain. Dès qu’on leur parle de Palestiniens, ils voient rouge. Pour eux, le seul bon Palestinien, c’est le Palestinien mort.

Malko fut pris d’un doute subit.

— Vous êtes vraiment sûr de « Johnny » ?

Le chef de poste hocha affirmativement la tête.

— Positivement ! Je ne suis pas un enfant non plus. Les Schlomos ne savent pas tout. « Johnny » ne peut pas jouer au con avec nous, cela coûterait trop cher à l’OLP.

Convaincu, Malko n’insista pas. Il n’y avait plus qu’à prier pour que « Johnny » ait bien pris l’incident …

Privé de lui et de Neyla, Malko était sourd et aveugle.

Le petit convoi regagna à toute vitesse l’avenue de Paris. Morose, Robert Carver prit congé. Une question brûlait les lèvres de Malko. Il la posa à l’Américain :

— Comment les Israéliens ont-ils su que je voyais « Johnny » ?

L’Américain eut une mimique découragée.

— Ce n’est pas moi qui leur ai dit, mais ils sont partout à Beyrouth. Ce « fou », c’est un de leurs agents, j’aurais dû vous prévenir. Il a guidé les chars israéliens quand ils sont arrivés.

Il restait aussi ses principaux adversaires : Abu Nasra et ses alliés. Comment allaient-ils réagir à ce qui s’était passé à Baalbek ?

* * *

— Au nom d’Allah le Miséricordieux, toi, Nabil Moussaoni, tu es condamné à perdre la vie et ton droit au Paradis des Vrais Croyants.

Le bandeau sur les yeux de Nabil, le jeune Palestinien, l’empêchait de voir celui qui venait de lancer cette sentence d’une voix forte. Il se tortilla et parvint à faire glisser un peu son bandeau, apercevant un turban blanc immaculé, une barbe noire et une longue robe de mollah. Sa part de paradis, il s’en foutait, mais il n’avait pas envie de mourir. Il avait toujours été athée et se moquait d’Allah comme de son premier turban. Son dieu à lui était à Moscou et changeait de nom régulièrement. Son second dieu était « Johnny » qui l’avait arraché à la misère et avait donné un sens à sa vie.

Une puanteur atroce s’élevait de la pièce où il se trouvait. Une trentaine de prisonniers y étaient entassés, ils avaient entre quinze et vingt ans, leurs vêtements tachés de sang, menottes aux mains, gisant dans leurs excréments. Des miliciens « suspects » d’Amal arrêtés par les Hezbollahis.

Le mollah qui avait condamné Nabil s’approcha de lui et demanda d’une voix douce :

— Es-tu disposé à te racheter ?

Comme il ne répondait pas assez vite, un Hezbollahi lui expédia un coup de crosse dans son épaule fracturée au cours d’un « interrogatoire ». Nabil hurla et tomba. Aussitôt, trois Hezbollahis se mirent à le piétiner sauvagement, cherchant à écraser les endroits les plus sensibles. Recroquevillé, il gémissait sans arrêt. Sur un mot de l’Iranien, on le remit debout.