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— Mais dans l’affaire de la jeune Monique Rieux, il y a des preuves flagrantes contre lui.

Feraud hocha la tête.

— C’est exact. Nous étions fermement convaincus qu’il l’avait tuée. La fille lui avait griffé le poignet gauche. On retrouvait son groupe sanguin dans les débris sous les ongles de la victime et des traces sur son bras. Il connaissait admirablement l’endroit sauvage dans les garrigues où le corps avait été abandonné. À la reconstitution, il n’avait commis que des erreurs minimes.

— Et ni le juge ni vous-même n’êtes plus aussi formels ?

— D’abord, il y avait cette histoire de voiture qui ne correspondait pas tellement. Hondry prétend qu’on a volé la Simca Chrysler avec laquelle il aurait pris la jeune fille. Mais nous en doutons de plus en plus et nous pensons qu’il la cache quelque part. Cet homme a agi comme s’il cherchait à se faire condamner à tout prix.

— Seulement, il s’est évadé.

— Oui, il s’est évadé, fit le commissaire Feraud d’une voix lente.

Alexis tirait nerveusement sur sa cigarette. Il pensait que le policier allait lui reprocher de ne pas avoir percé complètement à jour le personnage. Mais il n’était pas le seul expert psychiatre commis.

Feraud prit plusieurs feuilles dans une chemise et parut les parcourir rapidement. Alexis put se rendre compte qu’il s’agissait de procès-verbaux d’interrogatoires.

— La centrale de Nîmes a eu un curieux effet sur le personnage, si j’en crois les déclarations de ses codétenus. Le régime y est très sévère et Hondry s’est trouvé en butte à l’hostilité des prisonniers et des gardiens. Lui qui croyait se pavaner, recueillir l’admiration des autres et jouir de cette popularité douteuse, il a vite déchanté. On a dû l’enfermer avec deux garçons calmes et sans hostilité, deux marginaux tolérants et qui l’ont écouté. Il leur a affirmé qu’il n’avait pas tué cette fille, qu’il avait eu un moment de folie et qu’il regrettait. C’est d’ailleurs ce qu’il comptait dire à son avocat lorsqu’il s’est évadé.

— Vous parlez de marginaux alors qu’il a fui avec deux authentiques truands.

Feraud eut l’air de balayer l’objection de sa main.

— Nouvelle coïncidence. Il se rendait à l’instruction avec ces deux-là lorsqu’il a été mêlé, à son insu, à l’agression des gardiens. Peut-être s’est-il affolé et a décidé de profiter de cette chance. Mais je ne serais pas surpris qu’on le retrouve rapidement. Du moins, nous l’espérons.

Il ôta ses lunettes, les essuya avec un Kleenex tout en regardant Alexis Brun.

— Oui, nous l’espérons. Ce n’est certainement pas un homme très dangereux, mais sait-on jamais. Nous ne voudrions pas qu’il essaye de s’en prendre à vous.

Croyant avoir mal entendu, Alexis secoua la tête.

— Je ne comprends pas.

— En présence de ces deux hippies, Hondry vous accusait de l’avoir en quelque sorte forcé à avouer.

— Moi ? Mais c’était déjà fait.

— Après que vous l’ayez examiné, il a renouvelé ses aveux devant le juge avec plus de concision.

— Mais c’est absurde… Je me suis contenté de l’examiner, de lui faire subir les tests habituels…

— Combien de fois l’avez-vous rencontré ?

— Trois fois, je crois.

— Quatre, rectifia le commissaire Feraud. Hondry prétend que vous parliez beaucoup de cette affaire de viol et d’assassinat. Plus longuement que du reste. D’après ses deux témoins, vous l’aidiez à bâtir une histoire cohérente l’obligeant à se souvenir de détails…

— Je n’ai jamais obligé un malade. Je les laisse parler le plus possible, en général.

— Lisiez-vous les journaux ? Je veux dire les articles qui paraissaient sur cette affaire au moment de vos expertises ?

— Je les parcourais plutôt.

Feraud remit ses lunettes sur son nez, se pencha vers ses procès-verbaux.

— À votre insu, ne pensez-vous pas lui avoir fourni de quoi consolider ses aveux ?

— Jamais de la vie !

— Vous êtes d’accord avec vos confrères pour décrire Hondry comme un homme intelligent mais roublard, dissimulé.

— J’ai quand même une certaine habitude de mon métier et je rencontre beaucoup de simulateurs dans l’exercice de ma profession sans être jamais tombé dans leur machination. Mais pourquoi pensez-vous que je sois menacé ?

— Il peut chercher à se venger de vous.

— Allons donc ! J’ai la conscience tranquille et je n’ai pas cherché à lui nuire.

— Je remarque que vous concluez à sa responsabilité pleine et entière.

— Ce n’est qu’honnêteté de ma part.

— Vos confrères sont plus nuancés.

Alexis Brun faillit hausser les épaules, se retint. Il aurait pu répondre à ce commissaire vraiment trop désagréable à son égard que les deux autres psychiatres n’osaient jamais se prononcer clairement. L’un, à cause de ses opinions politiques se montrait d’un laxisme trop fréquent et trop dangereux, l’autre, plus âgé et à la retraite, ne voyait dans ces expertises que l’occasion de renouer avec le métier et de se faire un peu d’argent. Mais il préféra se taire plutôt que de paraître trop sûr de lui et de ses méthodes.

À travers ses verres épais, Feraud l’observait comme s’il pouvait lire sur son visage.

— C’est tout à fait leur droit d’être plus nuancés, répondit finalement Alexis.

— Vous les jugez trop indulgents ?

— Dans notre métier, il n’y a que des faits. C’est du moins ce que je crois depuis que je travaille comme médecin psychiatre.

— Pourtant, les maladies mentales déroutent encore bien des spécialistes… Vous ne pouvez jamais être sûr de vous.

— Si j’avais su que Hondry avait déjà avoué sans en être l’auteur deux autres crimes, je me serais montré aussi prudent que mes confrères. Mais je pense que, connaissant ma réputation, Hondry a joué un jeu plus subtil. Il est regrettable que l’on ne m’ait pas tenu au courant de ces deux précédentes tentatives.

— Vous le croyez toujours coupable ?

— Absolument.

Il écrasa son mégot, reprit une autre cigarette qu’il alluma d’un geste nerveux.

— Vous connaissez la fable : « À force de crier au loup… » Mais dans ce cas, Hondry est certainement un loup qui a fini par tuer. Parce que ses deux histoires précédentes avaient dû agir sur son psychisme.

Il tira quelques bouffées de sa cigarette, expliqua avec une passion contenue :

— Deux fois, il avait échoué. On le prenait pour un pauvre type à la cervelle dérangée. On l’avait même inculpé pour outrage à magistrat. Il a fini par faire une sorte de fixation. Puisqu’on ne voulait pas le croire, eh bien, il commettrait exactement le crime dont, par deux fois, il s’était vanté. Et cette fois, il est allé jusqu’au bout. Mais qu’une fois dans cette centrale il ait été effrayé par les réactions des autres détenus et des gardiens, voilà ce qu’il n’avait pas prévu. Il voulait tirer gloire et renommée de son crime et que constatait-il ? Un nouvel échec. Pire, même en prison il n’était pas à l’abri de sévices, et peut-être même que son cerveau fragile a redouté un lynchage pouvant se terminer par une mort peu agréable.

— Ce qui explique son évasion en quelque sorte ?

— D’abord passif, il a réalisé sa chance… Pour moi, c’est la preuve qu’il n’espérait pas convaincre le juge d’instruction de son innocence.

Avec une intense satisfaction, il découvrit une expression d’admiration sur le visage assez peu ouvert du commissaire Feraud.