— Vous êtes terriblement convaincant, s’écria le policier. Et je vous demanderai de rédiger un rapport sur ce que vous venez de m’expliquer aussi simplement et avec une telle force de persuasion.
La joie de Brun s’altéra. Il comprit que le commissaire gardait malgré tout bien des réticences.
— Ce n’est qu’une explication, dit-il revenant à beaucoup plus d’humilité.
— Elle est séduisante.
— Mais je suppose que seuls les faits prouveront si j’ai raison ?
— Oui… Les faits, les preuves… Nos fastidieuses recherches…
— Vous pensez retrouver rapidement Hondry ?
— J’ai bon espoir.
Alexis Brun hocha la tête, parut réfléchir.
— Il commettra une imprudence. Il n’a pas d’argent, ne sait où aller.
— Ses deux compagnons l’aideront peut-être ?
— J’en doute.
C’est alors qu’il jugea le moment idéal pour faire part de ses propres hypothèses.
— Vous m’avez bien dit que ses codétenus le haïssaient ? Pourtant, ce ne sont pas, pour la plupart, des enfants de chœur… Si je me souviens bien de cet article de journal relatant la triple évasion, les deux autres avaient des crimes sur la conscience ?
— Vous avez bien lu, fit Feraud ironique. Merkes a tué trois personnes, peut-être plus. Jouillet a froidement abattu un agent de police et blessé un passant. Mais où voulez-vous en venir ?
— Croyez-vous que la vie d’un être aussi méprisable à leurs yeux que Hondry aura pesé bien lourd ? Pourquoi ne l’auraient-ils pas liquidé en faisant disparaître son corps ?
— Tiens, je n’y avais pas encore songé, fit Feraud.
Difficile de savoir chez cet homme massif et monolithique s’il persiflait ou parlait sérieusement. Alexis Brun choisit de sourire franchement.
— Allons, monsieur le commissaire, je suis certain du contraire.
— Tout est possible, en effet, mais je me demande si dans ce cas nous n’aurions pas retrouvé le corps… Une façon comme une autre pour ces deux truands de se coiffer d’une auréole de justicier. L’opinion publique aurait trouvé le geste assez beau en dépit de la personnalité suspecte de ses auteurs.
— Ainsi, ils auraient pu prendre une sorte d’option favorable sur le sort qui leur est réservé. Car vous les retrouverez et ils passeront devant les assises. Mais les jurés n’oublieront pas que s’ils ont tué pour de l’argent, ils gardaient assez de sens de l’honneur pour trouver effroyable le crime de Hondry.
— Si vous étiez leurs avocats, docteur, vous arracheriez certainement un verdict de clémence.
Malgré son envie de se renfrogner, Alexis resta impassible. Rude adversaire que le commissaire principal. Il préféra changer le sens de cette conversation.
— Mais si Hondry est vivant, vous m’estimez en danger ?
— Je ne voudrais pas vous inquiéter, mais je vous conseille la plus extrême prudence.
— Donc, triompha Alexis, vous croyez Hondry coupable et capable de récidiver !
Mais Feraud n’était pas homme à s’avouer vaincu.
— Je dois envisager toutes les possibilités. Je vous l’ai dit, dans mon métier, les faits seuls comptent. Tant que nous ne retrouverons pas Hondry mort ou vif, j’aurai quelques craintes à votre sujet.
— Je vous remercie de votre mise en garde, dit Alexis. Je suppose que cet entretien est terminé ?
— Il l’est. N’oubliez pas de me faire ce rapport sur ce qu’aurait pu être le revirement de Hondry en Centrale. Je vous ai trouvé tellement convaincant.
— Monsieur le commissaire, je crains que vous ne preniez les psychiatres très au sérieux, dit Alexis très aimable alors qu’il bouillait littéralement de rage.
Pendant un quart d’heure, il roula au volant de sa 604 sans même savoir où il était. Il conduisait comme en état second, stoppant aux feux rouges, passant ses vitesses sans y prêter attention. Il se sentait terriblement fatigué et un violent mal de tête lui cernait les tempes. Il finit par s’arrêter en face d’un bar, commanda un scotch. Jamais il n’avait rencontré un policier aussi roublard. La profession ne faisait rien à l’affaire. Feraud aurait pu être aussi bien juge d’instruction, avocat, homme politique. Et lui, pour couvrir ses erreurs, n’avait trouvé que ce vieux stratagème de contre-attaque. Assez habilement, il avait accablé Hondry un peu plus, émis des hypothèses solides. Il espérait avoir impressionné le commissaire, percé son scepticisme.
Il lui faudrait rédiger ce rapport même si, en le recevant, le commissaire devait en sourire. Par prudence, il en enverrait un exemplaire au juge d’instruction. De toute façon, il en était certain, on ne prouverait pas l’innocence de Hondry et il ne perdrait pas la face.
CHAPITRE V
Ce n’est que le matin qu’elle sut qu’Alexis devait se rendre à Montpellier. La perspective qu’il serait là durant le week-end l’avait tranquillisée et aidée à passer une excellente nuit.
— Tu ne m’en as rien dit, hier au soir.
— J’ai oublié.
— Tu rentres à midi ?
— Je ne sais pas encore. Je suis sur un cas difficile.
— Un seul malade ?
Il avait souri.
— Un être passionnant.
— Nous aurions pu sortir en mer, déjeuner au large et rentrer vers 15 ou 16 heures.
— Demain, peut-être.
Le samedi, Maryse ne venait pas travailler. Elle s’installa sur la terrasse, assista avec regret au départ de plusieurs bateaux, ne s’intéressant qu’aux voiliers qui tiraient des bords dans le port pour rejoindre la passe. L’été, ce n’était guère possible à cause des allées et venues incessantes de toutes sortes d’engins à moteur. Et, en cette saison, le goût d’iode et de sel n’était pas le même qu’au mois de juillet ou d’août. Ils auraient pu pêcher à la traîne, faire l’amour au large.
La sonnerie du téléphone lui fit l’effet d’une agression. Non, ce ne pouvait être lui. Elle l’avait prévenu que son mari serait présent durant deux jours, lui avait préparé un paquet de boîtes de conserve et de pain sous cellophane. Avec les barquettes de crudités, cela représentait un carton assez important que l’inconnu lui avait demandé de déposer au dernier niveau de l’immeuble.
Ce n’était que Mme Breknov.
— Avez-vous lu le journal ?
— Non, pas encore, dit Marjorie.
Ils ne l’achetaient pas régulièrement. La plupart du temps, Alexis le prenait en ville et l’oubliait dans sa voiture ou dans son bureau. Ces derniers temps, il l’avait rapporté assez fréquemment.
— Ils en ont retrouvé un, chuchota la vieille dame.
Marjorie prit un malin plaisir à jouer l’incompréhension.
— Un quoi ?
— Un des trois bandits évadés, voyons… Le plus terrible : Merkes. Il a tué je ne sais combien de personnes.
— Eh bien, vous voilà rassurée, non ?
— Il en reste deux, gémit la vieille dame, et hier au soir, vers 23 heures, mes serins ont sifflé l’alerte… Je me suis levée en hâte et j’ai vu une ombre tout au fond du couloir.
— Croyez-vous que ce soit vraiment inquiétant ?
— Vous aussi, cria la vieille actrice, vous aussi, vous ne me croyez pas ? Vous me prenez pour une vieille folle, comme le gardien ?
— Lui avez-vous parlé ? demanda Marjorie, inquiète.
Mais Sonia Breknov avait à peine raccroché que Marjorie formait déjà le numéro de son appartement pour la rappeler.
— Puis zut !
Elle reposa le combiné, retourna sur la terrasse. Sur la mer scintillante et par un léger vent de force deux, les voiles se faisaient plus nombreuses. Elle en compta une vingtaine puis s’arrêta. De tous les ports environnants sortaient les bateaux. Elle alla chercher des jumelles pour tenter de les reconnaître.