Выбрать главу

Pourquoi ne pas aller faire quelques courses ? Le samedi, des boutiques fermées durant la semaine ouvraient pour le week-end. La population de la station se renforçait alors, surtout par beau temps, d’un bon millier de personnes.

En passant devant L’Escale, elle vit des gens à la terrasse, beaucoup moins à l’intérieur. Ringo avait embauché deux extra pour la circonstance. La « Farfouille », boutique de vêtements, était joyeusement envahie par des groupes de jeunes très excités. Une pancarte annonçait que les dernières nouveautés de Paris venaient d’arriver, ce dont Marjorie doutait un peu.

Elle pénétra dans une épicerie, fit quelques achats auxquels elle joignit un paquet de pâtes de coing. Elle l’apporterait à la vieille Mme Breknov pour se réconcilier avec elle, acheta aussi quelques graines pour les serins.

Au retour, elle flâna le long du quai, s’arrêta un long moment devant le Rêverie. Elle avait envie de monter à bord, de respirer l’odeur des voiles qui sentaient toujours la marée.

— Marjo ?

Vicky, en costume blanc de yachting, l’appelait depuis leur cabin-cruiser en agitant une bouteille. Elle regretta d’avoir fait ce détour vers les bateaux, dut se résoudre à quitter ses souliers pour monter à bord de la vedette.

— Je t’ai vu l’air mélancolique et frustré devant ton voilier… Viens boire un scotch. Le frigo est en route depuis hier et donne des glaçons. C’est Marco qui l’a branché… Mais je ne pense pas que nous sortions. Michel fait une dépression nerveuse.

— Tu crois ? C’est venu bien rapidement.

— Ça couvait depuis quelques jours… Je crois qu’il se fait des idées…

Marjorie pensa tout de suite à Marino, le peintre. Le mari de Vicky se doutait-il de quelque chose ?

— Attends, on va boire dans le cockpit, il fait si beau… Je reviens tout de suite.

Elle se pencha à l’intérieur. Il y avait dans ce carré trop luisant quelque chose de faux : il ressemblait à un décor de cinéma. Trop de cuivre, trop d’acajou sans parler des petits rideaux à motifs d’ancres et de cordages. Vicky se tenait dans le coin cuisine, démoulait ses glaçons.

— Vous ne sortez pas ? demanda Marjorie.

— Il n’en est pas question… J’aurais d’ailleurs la frousse avec un mari aussi sombre.

De toute façon, elle avait toujours peur. Michel aurait aimé barrer un voilier mais, sottement, elle affirmait être plus rassurée sur un bateau à moteur, ne cessait de vanter les deux Z-drive et leur puissance. Marjorie ne se souvenait jamais si c’étaient deux cents ou trois cents CV.

— Vous non plus, vous ne sortez pas ?

— Alexis travaille.

— Quel bourreau ! Michel est parti à Montpellier… Je crois qu’il consulte un médecin régulièrement.

Brusquement, Marjorie se souvint que son mari lui avait parlé d’un cas passionnant qui nécessitait sa présence à Montpellier. D’ordinaire, il ne parlait jamais ou presque de son métier. Encore moins d’un malade en particulier. Et si ce malade n’était autre que Michel Lombard ?

Vicky apporta les deux verres et, assises l’une en face de l’autre, elles burent en silence. Des gens ne cessaient d’embarquer joyeusement et une grosse barque marseillaise pontée et dotée d’une longue cabine, magnifique avec son acajou verni massif, emporta une douzaine de personnes exubérantes. On apercevait des glacières portatives, des faisceaux de baguettes de pain et une grosse bonbonne certainement remplie de vin. Vicky fit la moue.

— Ce sont des commerçants de Montpellier… Ils sont d’un vulgaire… Lorsqu’ils séjournent à bord, impossible de fermer l’œil jusqu’à 2 heures du matin pour les autres plaisanciers. Dis donc, nous voilà veuves, en quelque sorte. Si nous allions bouffer quelque part ?

Marjorie manquait visiblement d’enthousiasme.

— Tous les restaurants seront bondés, dit-elle.

— Tu as raison. On choisira un autre jour dans la semaine. Je t’emmènerai dans un petit coin sensationnel.

Ayant l’impression d’être observée depuis son immeuble, Marjorie essaya d’examiner chaque baie vitrée mais elles étaient trop nombreuses. D’ailleurs, on pouvait l’épier depuis les appartements déserts, derrière les volets métalliques. Certaines lames pouvaient s’écarter.

— Tu n’as pas l’air en forme, remarqua Vicky.

— Si, ça va.

— Et ce bal masqué, tu y penses ?

— Oui, bien sûr… Je n’ai pas d’idée précise… Peut-être serai-je en esclave avec des lourdes chaînes et des bracelets…

— Quelle idée !

— Oui, tu as raison, c’est stupide.

Elle avait pensé assortir son déguisement à celui d’Alexis qui désirait se transformer en pharaon. Elle détestait de plus en plus cette idée.

— Michel y viendra-t-il ?

Vicky fit une moue dubitative.

— Pour tirer quelque chose de lui en ce moment… Je me demande s’il n’est pas amoureux.

— Tu veux rire ?

— Pas du tout… Avec toutes ces minettes qui gravitent autour de lui durant les cours et surtout les conférences… Certaines viennent ici régulièrement et il faut voir comment elles le regardent.

— Tu sais chez quel médecin il a l’habitude d’aller ?

— Michel est terriblement mystérieux sur beaucoup de choses. Non, je l’ignore complètement… Je ne suis même pas sûre qu’il soit vraiment chez un docteur, en ce moment. Peut-être est-il en train de s’ébattre quelque part avec une jeune personne…

Marjorie reposa son verre sur la banquette du cockpit.

— Il faut que je rapporte ces provisions chez moi.

— Je lave ces deux verres et je file aussi, dit son amie. L’heure de la sortie de l’école approche et je n’ai pas envie d’être envahie par Pauline et ses prédateurs.

Le temps de remplir son réfrigérateur et Marjorie escaladait l’escalier pour sonner chez la vieille dame. Elle sourit devant le judas optique mais la porte refusa de s’ouvrir. Elle donna encore deux petits coups impatients.

— Madame Breknov, cria-t-elle, il faut que je vous parle.

Elle fut certaine qu’il y avait quelqu’un derrière la porte et elle insista :

— Voyons, madame Breknov, ne me laissez pas dans le couloir… Je vous apporte des graines pour les oiseaux.

Il fallait savoir ce que la vieille personne avait pu raconter au concierge et comment ce dernier avait pris la chose. Elle attendit encore un peu, haussa les épaules et fit demi-tour.

— C’est vous, ma chère enfant ?

La porte venait de s’entrebâiller sans bruit et comme le hall de l’appartement était sombre, elle ne distingua pas la vieille dame.

— Je ne vous dérange pas ?

La porte se referma puis s’ouvrit en grand une fois libérée de l’entrebâilleur.

— Vous vouliez me mettre en pénitence, gronda affectueusement Marjorie, moi qui vous apporte des graines pour vos petits chéris et une boîte de pâtes de coing.

Confuse, ayant l’air d’une vieille petite fille grondée, Mme Breknov la fit entrer dans le living. Elle prit les petits cadeaux de la jeune femme puis éclata en sanglots. Marjorie lui prit doucement la main, embrassa les vieux doigts boursouflés et glacés.

— Voyons, madame Breknov, ne me prenez pas au sérieux.

— Non… C’est le concierge… Il a été… très désagréable… D’une impudence… Il m’a traitée de vieille folle, m’a dit que s’il n’avait que des gens comme moi dans l’immeuble, il finirait par démissionner, que j’avais des visions et que je cherchais à ennuyer tout le monde.