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— Je sais également mentir, dit-elle, et je saurai bien inventer une histoire qui m’innocentera.

— Vous vous croyez en position de force, peut-être ?

— Pas du tout. Vous avez eu le temps de vous reposer et de réfléchir à ce que vous allez faire. Au fait, comment va cette fameuse blessure ? Vous ne m’en parlez guère…

— Vous croyez que je vous ai raconté des histoires ?

— Je n’en sais rien. Peut-être avez-vous voulu m’attendrir… Ou alors il s’agissait d’une autre blessure, plus profonde, qu’il est impossible de guérir par une thérapeutique ordinaire.

— C’est la femme du psychiatre qui parle ?

Marjorie dut s’asseoir sur l’accoudoir d’un fauteuil.

— Vous savez aussi cela ?

— Je vous l’ai dit, je sais beaucoup de choses. Mais, si je comprends bien, vous venez de me lancer un ultimatum ?

— Quelqu’un a décidé d’acheter un chien, une bête capable d’attaquer un homme et de le lancer sur vous dès que vous rôderez de nouveau dans les couloirs. Je ne crois pas que vous ayez intérêt à accepter cette sorte de défi.

— Ce quelqu’un, ce n’est pas Mme Marjorie Brun, par hasard ?

— Pas du tout.

— Alors, c’est une personne qui a très peur. Une personne qui se sent terriblement seule, désarmée… Voyons, voyons… Une vieille personne, peut-être. Une de ces personnes qui se barricadent dans leur appartement, qui ont encore bonne vue et bonne ouïe, mais qui ont quelques difficultés à se déplacer.

Marjorie sentait ses cheveux se hérisser sur sa nuque et son corps dénudé à l’exception du slip se couvrit de chair de poule. Soudain, elle se trouva impudique à converser avec cet inconnu au téléphone.

— Vous vous trompez, dit-elle. Vous vous trompez terriblement… En fait, c’est bien moi qui vais acheter ce chien…

— Cachottière et menteuse… Je suis certain que vous devez donner le change à votre mari et à vos relations.

— Je vous en prie, dit-elle, quittez cet immeuble au plus vite. Lundi, je ferai ce que j’ai dit.

— D’une part, vous prévenez la police, et, de l’autre, vous achetez un gros chien, c’est vraiment contradictoire.

De la main, Marjorie essaya d’atteindre une couverture mexicaine qui recouvrait un pouf. Elle dut étirer le fil au maximum mais n’effleura le tissu bariolé que du bout des doigts.

— Cette fois, je vous ai bien contrée.

— Vous êtes prévenu, dit-elle.

— Mais ce n’est pas vous qui achèterez le chien. Pas plus que vous n’irez parler aux flics.

Elle dut écarter l’appareil pour pouvoir attraper la couverture. D’une main, elle s’en drapa plus ou moins. La chaleur de cette laine lui rendit un peu de confiance.

— Que faites-vous, disait-il hargneux, vous ne m’écoutiez pas ?

Pas question de lui expliquer ce qu’elle venait de faire.

— J’ai dû aller fermer une porte qui claquait, dit-elle.

— Et à votre mari, vous allez tout lui expliquer également ? Lui direz-vous toute la vérité ?

— Pourquoi pas ?

— Il a l’habitude que vous veniez en aide aux gens recherchés par la police ?

— Il me comprendra.

— Vous croyez ?

En fait, elle ne savait pas quelles seraient les réactions d’Alexis. Jusque-là, elle avait soigneusement évité de faire la moindre prévision, craignant d’aller au-devant d’une certaine crainte.

— Vous conseillerez à cette personne de ne pas acheter de chien, vous n’irez pas à la police. Pour votre mari, je vous laisse libre de votre décision.

— Vous vous croyez en état de m’imposer votre volonté ?

— Exactement, madame Marjorie Brun. Pour une raison bien simple et que vous ne soupçonnez peut-être pas. Dans votre intérêt et surtout dans celui de votre mari, il vaut mieux que les flics n’interviennent pas.

— Vous bluffez, fit-elle d’une voix mal assurée. Vous ne cessez de bluffer, espèce de pauvre type !

Mais l’inconnu avait raccroché.

CHAPITRE VI

Il y avait foule à L’Escale. Beaucoup de gens en tenue de mer, suroîts et cirés, cabans et grosse bouffardes, quelques barbes tapissées de sel.

— Je ne serais pas étonné d’en voir trois ou quatre avec un gilet de sauvetage ou même une bouée en fer à cheval, dit Alexis en frayant un chemin à sa femme jusqu’au recoin où leurs amis se cramponnaient à leur guéridon.

Ils étaient tous là. Les Lombard, Arturo Marino, Pauline Bosson dont les gosses devaient naviguer dans la salle des flippers.

— Vous avez vu ? dit Alexis sarcastique. Tout cela parce qu’un petit coup de vent s’est levé vers les 15 heures.

— Ne riez pas, docteur, dit Vicky. La vedette du port a dû aller chercher deux bateaux qui dérivaient dangereusement.

— Des « z’a moteur », ricana Alexis en s’asseyant auprès d’elle sur la banquette en skaï mauve.

— Un voilier a eu ses voiles emportées, dit Marino. Il faut dire qu’ils sortaient pour la première fois de la saison et qu’ils n’étaient guère amarinés.

— N’empêche, on se croirait dans une réunion de cap-horniers.

— Ici, on parle de ris pris en catastrophe, là de foc qu’on n’a pu changer et qu’on s’est contenté d’affaler à la hâte… Bon, derrière moi, ils ont failli dessaler tant la gîte était forte… Savez-vous que nous sommes environnés de héros ? Sentez-vous cette odeur de rhum qui monte des grogs ? Le rhum ! Voilà qui est digne d’un marin.

Ils le regardaient. Du moins Vicky et Arturo, souriaient. Michel restait sombre, le regard obstinément fixé sur son scotch. Marjorie venait de s’asseoir près de lui et c’était juste s’il avait soulevé une paupière sur un œil vide d’expression.

Mais Marjorie oublia vite Michel pour regarder son mari. Il donnait l’impression d’être joyeux, satisfait de cette soirée et du dimanche qui s’annonçait. Mais sa femme trouvait qu’il forçait son jeu. Il avait décrit tous ces gens ayant essuyé le grain avec une espèce de méchanceté qu’elle ne lui connaissait pas. Il n’y avait que Vicky et Arturo pour rire. L’une possédait assez de cruauté pour se moquer, l’autre n’aimait rien tant qu’un portrait haut en couleur, même s’il était tracé à l’eau-forte.

— Plusieurs bateaux se sont réfugiés au sud, jusqu’à Sète, dit-on, expliqua Marino.

— Quand ce vent se lève, il vaut mieux être au nord si l’on veut rentrer. C’est ce que nous faisons toujours, Marjorie et moi. N’est-ce pas, Marjorie ?

— Elle rêve, dit Vicky. Hé ho ! Marjo, redescends parmi nous !

Marjorie sourit.

— Oui, nous allons toujours vers le nord… C’est plus facile pour rentrer en cas de coup dur.

Son mari la fixa les sourcils froncés, comme si elle avait dit une sottise ou alors comme si, en répétant ces paroles, elle s’était livrée à une parodie qu’il n’appréciait pas.

Ils attendirent si longtemps leurs consommations que le docteur Brun se leva et alla les chercher. Il revint avec un plateau et une serviette sur le bras. Vicky se tordait de rire. Elle en faisait trop en contraste avec son mari de plus en plus ténébreux. Marjorie craignit brusquement un éclat. L’atmosphère n’était pas aussi détendue qu’elle le paraissait. Il y avait Michel Lombard avec ses anxieuses préoccupations, il y avait elle pleine d’un secret étouffant. Il était impossible qu’une rupture dont ils auraient tous à souffrir ne se produise pas.

— Ton porto, ma chérie, lui dit Alexis. Et pour notre cher professeur un autre scotch.