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Puis elle cessa de parler et jeta un regard aigu à sa visiteuse, lui trouva un drôle de visage.

— Pardonnez-moi, ma chère petite, si je vous effraye, mais avouez que tout cela est bien étrange.

— Que serait-il venu faire ici ? demanda Marjorie.

— Peut-être se venger de votre mari… En s’attaquant à vous, murmura la vieille femme en épiant sournoisement l’effet de ses paroles sur sa voisine.

— Ce serait stupide de se venger d’un médecin…

— Pourquoi pas, fit Sonia Breknov. Je suis certaine que votre mari n’est pas tellement porté sur l’indulgence avec ce genre d’hommes… Je ne le connais que très peu mais il ne doit pas céder facilement à la sentimentalité. Ce dont je le félicite, d’ailleurs. Les gens deviennent trop indulgents. Tenez, les parents qui laissent tout faire à leurs enfants… Et les professeurs ? Ah ! ils sont jolis, les professeurs !… Maintenant, on fume du haschisch dans les lycées, on se drogue, on revendique la libération sexuelle, la pilule…

Le regard de Marjorie la cloua net. Pourtant, la jeune femme pensait à tout autre chose, mais la vieille actrice crut qu’elle la désapprouvait et même faisait en quelque sorte allusion à son propre passé sachant combien il avait été tumultueux.

— Vous devez dire qu’en vieillissant on devient plus intransigeant… Que voulez-vous, le monde actuel m’épouvante et c’est la raison pour laquelle je me cloître chez moi. Avant, il y avait des drogués, des gens aux amours coupables, mais c’était toujours dans un milieu en marge. Les artistes, en général… Nous avions une excuse. Notre métier était difficile, fatigant, nous avions conscience qu’on nous rejetait de la société… Oui, bien sûr, je n’ai pas été un modèle de vertu, mais tout de même…

— L’un des évadés a été repris ?

— Oui, c’était dans le journal d’hier… Et il se refuse à dire ce que sont devenus les deux autres. Il prétend qu’ils se sont séparés tout de suite pour ne pas attirer l’attention. Je suis certaine qu’il ment.

— Vous êtes certaine que Hondry a bien subi un examen psychiatrique ?

— Je chercherai les journaux, je vous en apporterai la preuve… Et ça n’a pas dû marcher car il devait comparaître devant les assises de printemps. Les deux autres médecins n’avaient pas apparemment convaincu la justice de sa folie.

— Pourquoi dites-vous les deux autres médecins comme si mon mari s’était montré plus sévère qu’eux ?

— Mais, ma chère petite…

Puis elle se vexa quelque peu.

— On dirait que ça ne vous fait pas plaisir.

— C’est exact, ça ne me fait pas plaisir. Je ne peux imaginer mon mari favorisant le rôle de la justice. Je suis certaine qu’il a été très objectif envers ce criminel… Pourquoi souhaitez-vous qu’il ait en quelque sorte truqué son diagnostic ? Pourquoi voulez-vous qu’il soit dur, inhumain ?

— Mais, très chère amie…

Sonia Breknov s’affolait, ne reconnaissait pas sa douce voisine.

— Voulez-vous que je vous dise, madame Breknov ?…

Elle allait l’accuser de désirer que les gens soient aussi méchants qu’elle, aussi peu généreux. Elle allait lui crier qu’elle était un monstre d’égoïsme qui ne s’intéressait qu’à ses pauvres souvenirs, magnifiés par l’épreuve du temps mais vides de talent et d’humanité. Des haillons tape-à-l’œil comme les fripes qu’elle conservait amoureusement dans ses malles. Puis elle se souvint que la veille elle s’était montrée cinglante avec les Rafaël. Que lui arrivait-il qui la rendait aussi agressive ? Pourquoi, dans ce cas, s’étonner qu’Alexis, le samedi soir, ait eu lui aussi sa crise de cruauté ?

Le vieux visage paraissait s’être vidé de son sang. Les lèvres fripées sous la couche épaisse de rouge à lèvres tremblaient un peu, et le dentier aux dents éclatantes tombait de la gencive supérieure dans une bouche que la stupeur et aussi la crainte d’être insultée asséchaient de sa salive.

Marjorie soupira, essaya de sourire mais sut qu’elle ne pourrait être naturelle.

— Rien, rien du tout… Maintenant, il faut que je m’en aille.

Elle se leva et fit quelques pas vers les serins. Engourdis par le soleil, ils se taisaient.

— Vous ne voulez pas une autre tasse de thé ?

— Je dois rentrer…

En se dirigeant vers la porte, elle éprouva du remords à la laisser ainsi.

— Il n’y a personne dans cet immeuble, madame Breknov, et certainement pas ce Jean Hondry… Ce n’est que dans les romans qu’on peut trouver des situations pareilles. Oui, je sais que vous avez, à plusieurs reprises, aperçu quelqu’un, mais ce pouvait être n’importe qui. Soit un familier de l’immeuble, soit un curieux. Vous ne risquez rien, absolument rien. Vous fermez votre porte à double tour, vous ne commettez aucune imprudence. Je suppose que vous ne gardez aucune valeur chez vous ?

La vieille actrice secoua la tête, incapable de prononcer un mot. Tout le monde savait qu’elle n’avait pas de gros revenus. L’achat de cet appartement avait englouti toutes ses économies.

— Tranquillisez-vous…

Sonia Breknov racla sa gorge, soupira :

— Ce n’est pas pour moi que j’ai peur… Mais pour vous si ce Hondry rôde dans les couloirs.

— Je ne risque rien, madame Breknov, répondit-elle, faisant mine de la croire en sachant bien que la vieille femme se souciait fort peu des autres.

— Vous devriez quand même en parler à votre mari.

— Oui, bien sûr, mais vous verrez que demain on apprendra son arrestation. Peut-être à l’autre bout de la France. Vous pensez bien qu’il ne serait pas resté bêtement dans la région où des tas de personnes peuvent le reconnaître à tout moment.

Néanmoins, elle se hâta dans les couloirs et les escaliers, finit par courir pour arriver au plus vite chez elle. Haletante, elle referma sa porte, appuya son front contre. Une journée qui commençait si bien, une journée dont elle attendait la sérénité.

Elle alla fermer la porte-fenêtre de la terrasse trouvant l’air frais, s’assit à côté du téléphone. Dans l’état des choses, il était normal que l’inconnu l’appelle. Au point qu’elle serait déçue, angoissée, s’il ne le faisait pas.

CHAPITRE X

Lorsqu’elle décida de sortir, vers 16 heures, non qu’elle en éprouvait grande envie mais par souci de défier le sort, elle se prépara avec lenteur. Et ce qu’elle attendait de tous ses nerfs se produisit. Le téléphone sonna.

— Est-ce que le docteur Brun est chez lui ? demanda une voix grave qu’elle ne reconnaissait pas.

C’était très rare qu’on appelle Alexis à son appartement. Elle précisa que son mari devait se trouver à l’hôpital, sans en être absolument certaine, car elle ignorait tout de son emploi du temps.

— Je n’ai pu le toucher là-bas, à son service, dit l’homme. Je suis le commissaire Feraud du S.R.P.J. de Montpellier. Si jamais je n’arrive pas à le joindre avant son retour, pouvez-vous lui demander de m’appeler ?

— Il lui arrive de rentrer tard.

— Aucune importance. Je suis dans l’annuaire.

— S’agit-il de l’affaire Hondry ?

À peine venait-elle de poser cette question qu’elle regrettait atrocement cette curiosité. À l’autre bout du fil, le commissaire Feraud marqua d’ailleurs un temps de silence.

— Votre mari vous en a-t-il parlé ?

— Non…, bredouilla-t-elle. Absolument pas… Il n’a pas à me faire des confidences sur des cas couverts par le secret professionnel… Mais comme ce… Hondry s’est évadé et que mon mari a fait une expertise médicale… Les journaux ont également précisé que vous étiez chargé de cette affaire et je viens de faire une analogie peut-être hâtive.