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— Lâchez-moi ! fit-elle avec une violence qu’elle avait sous-estimée et qui la rendit confuse lorsqu’elle vit que se tournaient vers eux des masques de carton aussi hideux que celui d’un tigre, d’un Martien qui donnait la main à la Chouette d’Eugène Sue.

Venaient des caricatures d’hommes politiques, de vedettes. Poniatowski, Fernandel, Louis de Funès.

— Nous faisons du scandale, dit-elle en le forçant à la lâcher.

Tout de suite, elle regrettait son éclat, fendait la foule, presque désespérée. Pour se faire une fois de plus entourer par ces sales petits cochons.

Qui craint le Grand méchant loup…

Sifflets stridents de la flûte, piaillements asthmatiques de l’accordéon et raclements du violon sur fond de tambour casserole. Elle les regardait tourner à toute vitesse. Ils accompagnaient chacun de ses pas, sans cesser de faire la ronde. Plus loin, elle vit l’ogre qui semblait rire de sa bouche sanglante. Elle lui fit signe, certaine qu’il s’agissait de Pauline. Furieux peut-être d’être percé à jour, l’ogre tourna les talons. Les petits cochons s’éparpillèrent en même temps comme sur un ordre secret. Elle alla boire une autre coupe. Un émir aux yeux bleus vint la regarder de près.

— Marianne ?

Elle secoua la tête. Le jeu commençait-il plus tôt que d’ordinaire ? Mais que faisait donc Alexis ? Elle put s’approcher d’une chaise, s’y laissa choir avec plaisir.

Au bout d’un moment, elle sentit un regard sur elle et se raidit. Un bagnard la fixait intensément. Il portait un costume rayé, une sorte de pyjama, un masque en carton à l’expression cruelle. Une chaîne en plastique partait de sa cheville droite et montait vers le boulet qu’il tenait dans le creux de son bras, comme un animal.

Les gens le regardaient, s’attroupaient mais, chose étrange, ne faisaient pas le cercle autour de lui, laissant un créneau comme s’ils avaient soupçonné une quelconque entente entre l’Indienne et le forçat.

L’homme prit sa boule, appuya au milieu et, sous l’effet d’un ressort, comme pour le crâne de Frankenstein, elle s’ouvrit et une sorte de pantin, portant le costume de gendarme du Guignol lyonnais, en jaillit et se balança avec sa matraque tenue entre ses deux bras atrophiés. On applaudit et le bagnard referma sa boule, s’inclina et disparut dans la foule. Marjorie se leva pour le suivre du regard mais n’y parvint pas. Elle avait beau se raisonner, s’affirmer que c’était impossible, que l’homme de l’immeuble ne pouvait s’être procuré un tel déguisement, une grande certitude la rongeait de terreur. Sous ce costume caricatural de bagnard, Hondry assistait à cette soirée et la défiait. Mais comment s’était-il procuré un billet d’entrée ? On les payait dix mille francs anciens chez les commerçants. Aurait-il pris un tel risque pour venir simplement la narguer en plein public ?

Soudain, elle se précipita à travers les danseurs. Ramsès ou Tout Ankh Amon venait de lui apparaître à l’autre bout des salons. Superbe avec son masque doré, sa coiffe allongée, son allure noble. Elle dut renoncer à traverser en ligne droite, se demanda si la musique ne cesserait pas durant quelques minutes. Tout le monde se convulsait de plus en plus. Il lui arrivait de surprendre des mains audacieuses. Une marquise, qui était peut-être un homme, tapotait les fesses d’un négrillon qui pouvait être femme ou homme. On se laissait aller à une certaine licence que Marjorie avait toujours redoutée.

— Doucement, ma belle, lui dit un toréador en la retenant par la natte. Un baiser… C’est le péage.

— J’ai vu Carmen dans ce coin, lança-t-elle.

Il consentit à la lâcher et appela Carmen dans le brouhaha. Pendant ce temps, le pharaon avait disparu et elle en trépignait d’impatience, coincée par des danseurs qui se tenaient par les épaules et tentaient de former un immense escargot.

— Prenez la suite, prenez la suite.

Elle vit là un moyen de parvenir à ses fins, mit ses mains sur les épaules d’un pope grec qui se retourna et lui offrit un visage dévoré par une énorme barbe postiche. Il cligna d’un œil salace. Mais elle constata qu’elle avançait plus vite.

Deux mains se plaquèrent à ses hanches, presqu’à ses fesses. Elle essaya de se dérober mais elles insistaient. Tournant la tête, elle eut un choc au cœur en reconnaissant le bagnard. Il avait accroché son boulet à une attache de son épaule et la fixait à travers son masque d’assassin.

La tête de l’escargot s’arrêta et avec de grands rires chacun vint buter contre le dos de son prédécesseur. Marjorie rougit en sentant le ventre du bagnard épouser sa chute de reins, se dégagea avec une rage qui souleva les protestations du pope orthodoxe.

Plaquée contre le mur, elle refusa de regarder le bagnard jusqu’à ce que l’escargot se soit éloigné. Elle se sentait humiliée, coupable, comme à douze ans lorsque dans le métro un homme lui avait pris la main pour la plaquer contre sa braguette. Un éclair doré la sortit de cet état pénible, lui rendit sa joie de vivre. Le pharaon ne se trouvait qu’à une dizaine de mètres et se penchait vers une séduisante Tahitienne. Tout en glissant entre les gens, bousculée, comprimée, elle se demandait comment cette femme avait pu obtenir cette teinte ocre pour ses épaules, sa taille nue. Un soutien-gorge réduit maîtrisait le débordement de deux seins exubérants, une jupe en raphia découvrait ses cuisses, le bikini d’un noir provocant qu’elle portait dessous. Comme masque, deux fleurs exotiques protégeaient ses yeux et de longues feuilles vertes le bas du visage.

Le pharaon tourna la tête. Elle agita légèrement la main. Comme s’il ne l’avait pas reconnue, il lui montra son dos et s’éloigna. Pourtant, Alexis savait qu’elle se déguiserait en Indienne. Pourquoi ne pas l’attendre ? À cause de ce jeu et des douze bouteilles de champagne ?

D’un coup, la musique cessa de hurler et comme si chacun se retrouvait nu, il n’y eut plus un murmure, ce qui permit à l’animateur d’annoncer le jeu. Cette année, les quatre derniers finalistes emporteraient une caisse de douze bouteilles de champagne, de nombreux cadeaux offerts par les commerçants. Mais le super-gagnant, ou gagnante, aurait droit à huit jours aux Baléares offerts par l’association des commerçants.

— Je préfère le champagne, dit quelqu’un.

Le meneur de jeu commença d’expliquer la façon de procéder tandis que le brouhaha enflait de nouveau. Marjorie avait cru voir son mari pénétrer dans une petite pièce servant de vestiaire pour les membres du club. C’était bien le pharaon. Dans une enfilade de portes ouvertes, elle l’apercevait qui se dirigeait vers les bureaux du club.

Elle se mit à courir, arriva tout au bout du bâtiment sans le rencontrer. Revenant sur ses pas, elle aperçut de la lumière sous une porte, poussa celle-ci. Une manche rayée se détendit avec, à son extrémité, une main gantée qui la saisit par le cou. Du pied, le bagnard repoussa la porte et l’empoigna à bras le corps. Marjorie ne songea pas une seule fois à crier mais se débattit avec sauvagerie. Ses bras étaient emprisonnés mais elle ruait, essayait de frapper l’homme entre les jambes avec ses genoux. Le bagnard, profitant de cette tentative, glissa ses cuisses entre les siennes, la renversa en arrière. Elle crut tomber sur le sol, mais se retrouva à moitié allongée sur un bureau.

— Vous n’y parviendrez pas, dit-elle. Jamais !

Sa jupe de suédine, trop frangée, remontait très haut et contre son bas-ventre pesait la rude intention de l’homme. Jamais elle n’avait cru possible d’être ainsi violée par un seul individu. Une main la prit à la gorge et commença de serrer. De son bras gauche libéré, elle essaya de griffer le cou qui apparaissait sur quelques centimètres. Puis elle songea à arracher le masque. L’autre main gantée lui saisissait son slip, le déchirait sur le côté droit. Comprenant son intention, l’homme écarta sa main du cou.