— Mais cette fois, elle avait de bonnes raisons d’avoir peur, fit-il remarquer.
— Je n’avais aucune raison de la croire… Je voulais la rassurer, essayer de lui représenter le monde extérieur sous un jour moins effrayant qu’elle ne l’imaginait. Ce n’était pas très facile.
De nouveau, son regard fuyait vers le voilier barré par Marco. Un neuf mètres. Personne n’était capable de manœuvrer aussi finement parmi les résidents d’hiver. Bientôt, il atteindrait la passe et se projetterait en pleine mer sous un joli vent régulier. Feraud se déplaça pour suivre la direction de ses yeux et parut rester en admiration devant les évolutions du ketch.
— Un ami ?
— Marco… Il travaille pour le club… Un très bon barreur.
— Je vois…
Les mains dans les poches, il se retourna vers elle.
— Mme Breknov ne se faisait aucune fausse idée sur la sévérité de votre mari… Un journal qui parle surtout de crimes a vanté le sens des responsabilités du docteur Brun… Sans citer son nom, mais en affirmant qu’un jeune psychiatre avait seul osé affirmer que Hondry jouissait de toutes ses facultés mentales et que son crime ne méritait aucune excuse. J’ai lu cet article. Il m’avait même agacé, peut-être indigné… Les deux autres experts passaient pour des polichinelles ou des traîtres. Personnellement, je n’ai jamais pensé que Hondry puisse être le vrai coupable… Votre vieille amie a dû lire cet article.
Frissonnante malgré la chaleur, elle aurait voulu repousser ce jugement sur son mari. Elle n’aurait jamais épousé un expert judiciaire. Tout le monde se trompait dans cette histoire.
— Vous parlait-elle aussi de la victime, Monique Rieux ?
On sonna et Feraud alla ouvrir la porte. Toujours le même inspecteur vint faire son rapport.
— Continuez.
Il referma la porte, fronça les sourcils. Elle vint à son secours.
— Elle avait lu que Monique Rieux était une jeune fille parfaite à tous les points de vue. Elle classait les gens en bons et en méchants. Les bons ne pouvaient qu’être parfaits. Une jeune fille bien sous tous rapports, studieuse, issue d’une famille modeste mais honnête, ne songeant qu’à son travail et à ses parents.
— Vous semblez agacée.
— Cela ne peut correspondre à la réalité.
— Certainement pas. C’est tout ?
— Il s’agissait d’une étudiante ?
— En psychologie, oui, dit-il en la regardant.
Que voulait-il insinuer ? Psychologue ? Puis elle comprit. Dans les hôpitaux psychiatriques, on trouvait des psychothérapeutes. Pensait-il que cette jeune fille ait pu connaître Alexis ? Que ce dernier se serait montré féroce envers Hondry à cause d’elle ?
— L’un de ses professeurs était Michel Lombard.
Brusquement, elle se souvenait que le mari de Vicky était effectivement professeur de psychologie… Mais elle ignorait quelle était sa spécialisation exacte.
— Vous connaissez ce professeur ?
— Nous sommes amis… Nous nous rencontrons assez souvent… Assez régulièrement, même, au bar de L’Escale, à l’heure de l’apéritif, le plus souvent le soir.
— Et lui ne vous a jamais parlé de Monique Rieux ?
— Non, jamais.
Elle crut lire dans ses pensées. Le policier devait se demander quelles étaient leurs conversations favorites entre amis, si la frivolité l’emportait sur le sérieux. Il les jugeait, ces gens de l’hiver, confinés dans cette ville faite pour l’été et l’insouciance. Et elle ne trouvait aucun argument pour se défendre et défendre les autres, justifier leur vie particulière.
— Une fois revenus dans cette station balnéaire, les habitants semblent rayer le reste du monde, dit-il.
Marjorie se sentit rougir, baissa les yeux.
— C’est exactement cela, reconnut-elle.
— Peut-être avez-vous raison. Vous-même n’avez jamais pensé à cet Hondry qui se promenait dans cette pyramide vide ?
— Vaguement.
— Vous n’aviez pas peur ?
— Je n’arrive pas à réaliser qu’un homme puisse me vouloir du mal.
Alexis, déguisé en forçat, lui apparut pour lui démontrer quelle menteuse elle faisait.
— Pourtant, Mme Breknov a été assassinée… Donc, cet homme est dangereux. Il ne cherchait pas seulement à se venger de votre mari… En tuant pour la seconde fois, il rend son premier forfait absolument crédible. Il endosse l’assassinat de Monique Rieux.
Exactement ce qu’avait dit, dans la nuit, Alexis avec une satisfaction assez mesquine.
— Et le rapport de votre mari se trouve justifié, corroboré. Cette presse que vous vilipendez va le couvrir de fleurs.
— Insinuez-vous que ce coup de théâtre arrive à point pour mon mari ?
— Non. Je constate seulement.
Le téléphone sonna. Alexis était désolé mais il ne pourrait tenir sa promesse. Il demanda ensuite à parler au commissaire qui lui expliqua que, jusque-là, les fouilles n’avaient rien donné.
Elle était de nouveau assise, songeant à Michel Lombard dont la femme, Vicky, prétendait que ses étudiantes l’affolaient. Était-il tombé amoureux de Monique Rieux ? Non, elle ne pouvait pas se laisser entraîner à des hypothèses aussi répugnantes.
— Avez-vous déjà vu une photographie de Monique Rieux ?
Sans attendre sa réponse, il lui présenta une épreuve au format de carte postale. Une fille brune, au regard grave, mais à la bouche et au nez très sensuels.
— Je reconnais qu’elle avait un côté nymphette sage qui pouvait induire en équivoque. Que pensez-vous de Michel Lombard ?
— C’est un excellent copain, dit-elle aussitôt.
— Un dragueur ?
— Oh ! non… Un rêveur, plutôt.
— Heureux en ménage ?
Marjorie le fixa dans les yeux.
— Je ne répondrai plus sur ce sujet-là.
On sonna à la porte et l’inspecteur parut sur le seuil, tendit quelque chose à Feraud. Marjorie pouvait voir ce qui se passait dans le hall de l’appartement.
— Regardez.
Entre pouce et index, il tenait une chaîne très fine, certainement en or, au bas de laquelle oscillait une médaille.
— J.H. 7-1-47.
Marjorie ne croyait pas à sa chance. Elle avait pensé un moment que les policiers avaient découvert la preuve de sa complicité avec Hondry.
— Elle a été trouvée sous une savonnette. Incrustée dans la pâte. Il a dû la chercher sans penser qu’il avait posé dessus le pain de savon de luxe. Je suppose que cette perte a dû terriblement le tracasser. Dans l’appartement 310.
CHAPITRE XIV
À la nuit, il ne restait qu’un fourgon de la gendarmerie, une 504 Peugeot, discrètement garé à l’écart. Feraud ne croyait pas que Hondry reviendrait dans l’immeuble mais préférait prendre ses précautions. Les lumières du port s’allumaient dans un halo violet. Très loin dans la mer brillaient les feux d’un pétrolier au large de Sète, certainement occupé à se vider de son chargement grâce au sea-line.
Elle n’avait pu trouver le courage de sortir, d’aller jusqu’à L’Escale. Les retombées du bal masqué se trouvaient confisquées par la mort violente de Sonia Breknov. Un crime dans la célèbre station balnéaire. Vicky ne le lui pardonnerait jamais. On ne pouvait s’asseoir à un guéridon et parler de la fête nocturne sans en venir obligatoirement à la découverte du cadavre de la vieille actrice.