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— Juste une bouteille de scotch… Une simple bouteille de scotch…

— De la nourriture aussi, du vin ?…

— Juste une bouteille de scotch que vous déposerez dans l’ascenseur à 16 heures juste.

— Oui, ne vous inquiétez pas… La meilleure que je trouverai…

Mais il avait raccroché dès le dernier mot. Précipitamment, elle en fit autant.

— Tout ce que vous voudrez, monsieur Hondry… Vous pouvez nous sauver… le sauver… Je suis certaine que vous êtes bon, indulgent… Vous ne nous haïssez plus…

Fiévreusement, elle ouvrit un placard dans la cuisine, choisit un moût de douze années d’âge…

— Vous serez content. Très content.

Il n’était que moins dix, elle avait le temps de chercher un papier de soie, n’importe quoi pour envelopper gentiment la bouteille… Et, d’un coup, son exaltation tomba et elle se sentit dure comme de la pierre, avec un cœur qui battait lentement, un regard net, un esprit parfaitement lucide.

Avec des gestes précis, elle sortit un broyeur électrique, ôta le couvercle, alla chercher les pilules que son mari lui avait apportées la veille. Elle en vida le flacon dans l’appareil, remit le couvercle, brancha le courant. Les lames d’acier pulvérisaient n’importe quoi, même du sucre. Lorsqu’elle l’ouvrit, elle vit une poudre bien fine, bien mélangée, à dominante rose.

Avec précaution, elle défit le papier d’étain de la bouteille de scotch, ôta le bouchon, vida un peu d’alcool dans l’évier, fit couler de l’eau. Avec un cornet de papier servant d’entonnoir, elle mélangea lentement la poudre au contenu de la bouteille, espérant qu’il ne se déposerait pas tout de suite dans le fond. Cette tâche terminée, elle en remplit un verre, l’examina par transparence devant une ampoule nue, constata que l’ambre du moût dissimulait les minuscules particules en suspension. Elle remplit la bouteille, la reboucha, resserra le papier d’étain autour du col, la secoua.

Seize heures moins deux minutes. Elle eut le temps de trouver un joli papier ayant servi à la Noël, fit un bel emballage. À 16 heures précises, elle appelait l’ascenseur, calait la bouteille dans l’angle, refermait les portes. La flèche verte pointant vers le haut s’alluma aussitôt.

Hondry n’appela pas. À 18 heures, elle essaya de respirer normalement au lieu de retenir sa respiration. À 19 heures, elle osa quitter son fauteuil, alluma une cigarette qu’elle écrasa tout de suite dans le cendrier.

À 19 h 30, on sonna à la porte. Alexis, certainement, qui avait dû oublier ses clés.

— Bonsoir, madame Brun. Votre mari est ici ? demanda courtoisement le commissaire Feraud.

CHAPITRE XVII

— Depuis midi, j’essaye en vain de le joindre, madame Brun. Il avait donné des ordres à sa secrétaire pour qu’elle réponde qu’il avait des rendez-vous en ville, mais elle a fini par reconnaître que c’était faux. Permettez que je referme la porte.

Dans le couloir, deux hommes qui l’avaient accompagné faisaient déjà les cent pas.

— Mais mon mari est libre…

— Non, madame, il n’est plus libre de ses faits et gestes… Nous avons des témoins, madame Brun, qui ont vu Monique Rieux dans la 604 de votre mari à plusieurs reprises. Nous avons une empreinte de pneu trouvée sur le lieu du crime, un pneu de 604…

Elle ne perdait pas espoir.

— Voyons, monsieur le commissaire, c’est absurde… Cette fille rencontrait mon mari sur le conseil de son professeur… Michel Lombard… Elle désirait devenir psychothérapeute.

— Nous le savions, madame… Mais leurs rencontres ont bientôt pris un tour plus intime… Sans que cette jeune fille devienne sa maîtresse… Mais elle était très amoureuse, avait des scrupules… Curieusement, elle avait demandé conseil à un courrier du cœur… On peut être surdoué et garder un côté midinette… La réponse avait paru dans l’hebdomadaire, après sa mort. Par hasard, sa mère l’a découverte avec un résumé de la lettre de Monique, ses initiales et le nom de son village. C’était hier au soir. Par télex, nous avons reçu de la direction de ce journal à Paris, le fac-similé de la lettre. Monique Rieux parle d’un homme de trente-sept ans, psychiatre, marié…, dit qu’elle voudrait avoir le courage de rompre mais affirme qu’elle ne lui a pas encore cédé. Toujours des mots de romans-photos, émouvants quand même. Nous voulons interroger votre mari à ce sujet.

— Mais le soleil est couché…

— Interroger, madame, pas arrêter s’il refuse de nous suivre.

— Mon mari n’est pas encore rentré… Mais je n’y crois pas… Pourquoi ne recherchez-vous pas plutôt ce Hondry qui se moque bien de vous et court depuis son évasion.

— Mais c’est fait, madame, nous l’avons retrouvé.

Comme si elle manquait d’air, elle ouvrit plusieurs fois la bouche.

— Non ! cria-t-elle, il n’a pas fait ça, il m’avait promis !…

C’était de Hondry qu’elle parlait. Feraud crut qu’elle désignait son mari.

— Si, madame, il l’a fait. Nous avons retrouvé le cadavre de Hondry dans un ancien marais, pas très loin de la station balnéaire. Apparemment mort depuis huit jours. On l’avait assommé et étranglé. L’imbécile a dû vouloir rencontrer votre mari, le guetter dans la nuit sur le parking de cet immeuble… Il avait compris, malgré ses troubles mentaux, qu’il avait été habilement suggestionné… J’ai dit imbécile mais, en fait, il était assez intelligent pour…

Dans un hurlement de bête blessée à mort, Marjorie se rua vers la cuisine, ouvrit le placard. Avant de la rejoindre, Feraud fit entrer ses hommes.

— Quelque chose d’étrange, leur dit-il rapidement avant de pénétrer dans la cuisine.

Les yeux fous, le visage gris, elle tendait ses deux mains en coupe. Il aperçut des clés avec des étiquettes en plastique portant des noms et des numéros.

— Tiens, comment avez-vous celle du 310 ? remarqua-t-il.

— Le 361… Où est le 361… ?

Sans chercher à avoir des détails qu’elle n’aurait pu lui fournir, il se rua vers le téléphone, appela le gardien, lui demandant de prendre la clé du 361 et d’attendre la police devant cet appartement.

— Eh ! restez ici ! cria un de ses officiers de police judiciaire.

— Vous auriez dû la surveiller ! hurla Feraud.

— Elle paraissait prostrée…

Marjorie avait escaladé les deux niveaux qui la séparait du 361, frappait de ses poings à la porte palière.

— Alexis, je t’en prie… Alexis… surtout, ne bois pas… Tu m’entends ?

Le concierge arrivait, puis les trois policiers. Les deux inspecteurs durent l’arracher à la porte, la ceinturer de leurs bras. Au fond du couloir, une porte s’entrouvrait et les têtes de deux personnes âgées apparaissaient.

— Une chance qu’avec ces serrures on ne puisse enfiler la clé de l’intérieur, disait le gardien sans s’affoler.

Feraud entra dans le hall, pénétra dans le living… Alexis Brun paraissait dormir dans un fauteuil. Sur une table basse en verre devant lui, une bouteille de scotch, un verre vide. Il manquait au moins le tiers d’alcool.

— C’est l’appartement des Kerboren, expliquait le gardien, je me demande comment il a pu trouver à boire… Ce sont des végétariens et des buveurs d’eau.

Les inspecteurs entraient avec Marjorie mais Feraud leur fit signe. Ils restèrent dans le hall, la firent asseoir sur une banquette ancienne.

— J’appelle une ambulance, on pourra peut-être le sauver…

Il découvrit alors la gaze épaisse maintenue sur le micro du téléphone par du sparadrap. Il l’ôta avec précaution, appela l’ambulance des pompiers, prévint le centre anti-poison, retourna dans le hall.