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— Vous aviez entendu ses pas ?

Étonnant si l’inconnu se déplaçait sur la pointe des pieds ! La vieille dame se pencha vers elle.

— J’ai des pressentiments et je sais quand quelqu’un se promène dans les couloirs voisins. Et puis, il y a mes bijoux chéris. Ils ont une façon particulière de siffler. Comme s’ils se lançaient des signaux.

La jeune femme regarda les deux cages posées sur le sol, non loin de la terrasse. Deux cages superbes en fil doré dont l’une avait près de deux mètres de haut. En tout, il devait y avoir une vingtaine de serins.

— Ils s’agitent beaucoup, également, et je vais alors jeter un coup d’œil à mon judas.

Elle vida sa tasse, se reversa un peu de vodka.

— Vous comprenez que j’ai désiré vous en parler avant de faire quelque chose.

— Mais pourquoi dites-vous que cet homme se cache dans la pyramide ?

— D’abord, je l’ai vu deux fois. Hier et ce matin… Et il se promène en robe de chambre faite de tissu-éponge.

— En robe de chambre ?

— Ou peignoir de bain, si vous préférez, s’impatienta la vieille actrice.

— Je ne vous reprends pas, mais je trouve surprenant…

— Il s’est installé dans un appartement, confortablement, et il n’avait pas de pantalon. Je voyais ses jambes nues dépasser, avec beaucoup de poils…

— Le couloir était éclairé ?

— Non, mais vous savez qu’une ampoule brille à longueur de journée dans les angles.

— Il s’agit peut-être d’un locataire qui est revenu à votre insu ?

— Certainement pas… J’ai téléphoné au concierge et je lui ai fait dire que personne n’était arrivé ces derniers jours. Oh ! très habilement, bien sûr, sans qu’il se doute de quoi que ce soit… Mais vous savez qu’il me prend pour une vieille folle ? Avant la Noël, j’avais vu deux chiens dans le couloir et jamais il ne les a trouvés. Il y a eu aussi ce bruit dans l’appartement voisin, à l’automne. Il est venu et a regardé partout. Qu’il raconte, mais vous savez, je n’ai pas confiance en lui… Il se trouve que je ne peux pas lui donner de grosses étrennes à la fin de l’année et il m’en veut.

Elle haussa les épaules.

— C’est un imbécile suffisant. Il essaye de me vexer en parlant d’actrices plus célèbres que moi, mais je m’en moque. Vous comprenez que je ne peux pas lui demander son aide.

— Mais que comptez-vous faire ?

— Chère petite amie, je vais avoir besoin de vous.

Marjorie frissonna. Elle imaginait déjà que la vieille dame allait lui demander de passer ses journées avec elle.

— Dès que je le verrai, je vous appelle au téléphone… Vous monterez et pourrez le surprendre.

— Mais c’est dangereux, ça ! s’exclama Marjorie.

La Breknov la regarda avec surprise. Soupira. Sans sa mauvaise jambe, elle aurait osé affronter seule cet inconnu.

— Bien sûr, fit-elle un peu pincée. Mais si vous en parliez vous-même au concierge ?

— Mais d’abord, il nous faudrait une certitude, murmura Marjorie que l’histoire du foulard noué autour du visage laissait réticente.

— Il peut quand même se livrer à une fouille des appartements vides ?

— Vous réalisez le temps qu’il lui faudrait ?

— Il n’a qu’à demander de l’aide.

— C’est au moins vingt personnes qu’il faudrait.

— En demandant la collaboration des habitants…, répliqua la vieille dame presque hargneuse.

— Voyons, madame Breknov, ce serait provoquer un début de panique si le concierge faisait cela, et vous le savez bien. Peut-être que l’on a voulu vous faire une mauvaise farce ?

— Une farce ? fit-elle grinçante.

— Tout le monde en fait plus ou moins, dit Marjorie qui se demandait si vraiment elle croyait encore qu’elle-même puisse être la victime d’une plaisanterie douteuse.

— Donnez-moi le journal, là-bas…

Marjorie jeta un coup d’œil à la date, vit qu’il s’agissait de celui de l’avant-veille. Avant même que la vieille dame ne parle, elle sut quel article la préoccupait.

— Regardez, ces trois bandits évadés de la prison de Nîmes… Et si l’un d’eux avait trouvé refuge ici…

— Ce serait imprudent, madame Breknov.

— Maintenant, donnez-moi celui d’aujourd’hui que vous devez trouver dans la cuisine. Je déjeune en le lisant.

C’est à l’intérieur des pages qu’elle trouva ce qu’elle cherchait.

— Tenez, lisez ce qui concerne Hondry… Celui qui a violé et assassiné l’auto-stoppeuse… Vous pouvez lire à haute voix.

En un éclair, Marjorie se vit lectrice attitrée d’une vieille aristocrate russe et s’en amusa.

— Vous avez compris ? Hondry a travaillé dans la marine marchande… Donc, il connaît les bateaux… Et qu’y a-t-il en face de nous dans ce port trop grand ? Toutes sortes de bateaux. Des voiliers, des bateaux à moteur… Il veut en voler un et s’enfuir à l’étranger.

— Mais pourquoi ne le fait-il pas ?

— Parce qu’il lui manque le meilleur.

En même temps, Sonia Breknov frottait son pouce sur son index replié en clignant de l’œil.

— L’argent… Et il va faire un mauvais coup pour s’en procurer. Il doit me surveiller, mais se rend compte que je ne sors presque jamais.

Une femme de ménage venait chaque jour durant deux heures, apportait les commissions de la vieille dame et rangeait son appartement. Mme Breknov ne sortait que lorsque le temps était très beau et faisait quelques pas le long des boutiques qui restaient ouvertes.

— Alors, vous ne voulez pas en parler au concierge ? demanda-t-elle déçue.

— Je voudrais avoir une certitude. Appelez-moi dès que vous surprendrez quelque chose.

— Allez-vous en parler à votre mari ?

Franchement, elle n’en savait rien. Bien entendu, elle pouvait le faire en plaisantant. Mais Alexis risquait de prendre l’affaire très au sérieux et de provoquer un remue-ménage inutile. Marco lui avait dit que Michel Lombard avait passé la nuit à bord de sa vedette, en était sorti au petit matin pour se diriger vers cet immeuble. Il lui fallait parler à Vicky, savoir si son mari était rentré.

— Ne vous inquiétez pas, madame Breknov, et restez enfermée à double tour chez vous… Si l’on sonne, n’ouvrez qu’aux gens que vous connaissez.

— Oui, bien sûr, maugréa la vieille dame peu satisfaite.

Dans l’escalier, Marjorie réalisa qu’elles n’avaient pas du tout parlé chiffons et déguisements. Elle avait trop déçu la vieille artiste pour que celle-ci lui proposât un costume. C’était un peu ennuyeux car elle ne savait comment se procurer le nécessaire.

L’inconnu appela vers 17 heures.

— Votre vin était fameux… Qu’y a-t-il au menu, ce soir ?

— Ne trouvez-vous pas que vous exagérez ? Qu’attendez-vous pour rentrer chez vous ?

Il y eut un long silence et Marjorie crut entendre une respiration rapide.

— Que voulez-vous dire par rentrer chez vous ?

— Vous me comprenez parfaitement.

— Je n’ai plus de chez moi… Vous croyez que quelqu’un accepterait de me recueillir ?

Elle sourit. S’il s’agissait vraiment d’un évadé, ce ne pouvait en aucun cas être Merkes qui adorait sa femme.

— Et je ne voudrais pas compromettre les miens, ajouta-t-il un peu trop tard. N’oubliez pas que je veux des crudités pour ce soir.

C’était trop, elle claqua le téléphone, sortit de chez elle comme les sonneries impératives reprenaient. Elle se rendit directement chez le traiteur qui emballa quelques barquettes en plastique de crudités.