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JCN : Quelles sont les ficelles utilisées pour obtenir du renseignement ?

Daniel : La première qualité pour un officier traitant, ça va être l’empathie, c’est-à-dire attirer la confiance, que les gens aient envie de discuter, qu’il y ait un échange.

Vincent  : Le traitement de sources humaines oblige à comprendre l’autre. On ne peut pas juste lui imposer sa volonté. Il faut parler, manger, travailler avec lui.

Daniel : Les Anglo-Saxons ont une terminologie bien connue : le MICE.

Norman : M comme money. La source, on la recrute, et on la rémunère, c’est un des facteurs de motivation […]. La plupart des sources sont rémunérées, pour les tenir, si j’ose dire un peu trivialement, pour les fidéliser.

Michel : Il n’y a pas une somme qui part d’un OT vers une source, normalement, sans que ça soit répertorié à la centrale par un compte rendu, et normalement l’OT doit faire signer un reçu. Le reçu peut évoquer une raison bidon, mais il doit y avoir un reçu. Dans certains cas extrêmes, si la source est vraiment très importante, et refuse, on peut s’en affranchir, mais c’est très mal vu. L’argent est incontournable, quoi qu’on en dise. Il faut bien penser que, dans beaucoup de pays où nous opérons, les gens ont un niveau de vie de 20 dollars par mois.

Daniel : L’argent, ça attire toujours maintenant il faut éviter de faire de votre source, pardonnez-moi l’expression, mais un bon fonctionnaire. Parce que le renseignement sera forcément moins bon, il va s’habituer, et être enchanté de récupérer de façon régulière de l’argent, mais le renseignement risque d’être de moins bonne qualité. Si le renseignement est bon, on paye, s’il est moins bon, on paye moins ou on ne paye pas.

Norman : I comme Ideology […]. On peut revenir à la guerre froide où un certain nombre de Soviétiques pouvaient collaborer avec le service par idéologie. On a trouvé ça aussi en Afghanistan lorsque certaines sources collaboraient avec le service, n’étant pas tout à fait en harmonie avec, par exemple, les Taliban.

Daniel : L’idéologie, c’est parfait, aujourd’hui, par exemple lors du recrutement d’un certain nombre de jeunes djihadistes par l’État islamique. Il ne se fait pas à l’argent, il ne se fait pas à la compromission, il se fait à l’idéologie. Nous, c’est plus compliqué. Il y a le patriotisme, mais à partir du moment où on travaille en dehors des frontières, on va travailler sur des sources étrangères, donc la notion de patriotisme n’est pas forcément valable.

Vincent  : Il y a des gens qui admirent la France, car elle est démocratique, la place des femmes est réelle. Par exemple, au Pakistan, tous les officiers sont fans de Napoléon. Pourquoi Napoléon ? Si vous vous souvenez, vers la fin de l’Empire, il y a un certain nombre d’officiers français qui ont rejoint cette zone.

Michel : Nous avions un atout par rapport aux Américains : ils n’étaient pas aimés dans beaucoup de pays pour différentes raisons, alors que les Français avaient une bonne réputation…

Norman : C comme Compromission. C’est un vecteur qui est très peu utilisé, voire jamais, par le service. Moi, on m’aurait demandé de le faire, ça ne m’aurait pas gêné du tout. On sert, [il] n’y a pas une question de sens moral, mais ce ne sont pas des pratiques courantes dans notre service. [C’]était par contre très utilisé par les services soviétiques ou de l’Europe de l’Est […]. Les nanas dans le lit, c’était assez courant. J’ai eu un cas avec un de mes chefs de poste qui s’est retrouvé effectivement en tentative de corruption par un service adverse à partir d’une femme avec laquelle il a eu une relation. J’étais passé en inspection peu de temps avant et je n’avais rien remarqué […]. Il s’est fait virer du service.

Daniel : La compromission, forcer quelqu’un, l’amener en zone d’inconfort, ça peut passer une fois. Dans la durée, ça ne passera pas.

Norman : E comme Ego […]. Beaucoup de sources sont flattées de travailler avec un service de renseignement.

Daniel : Mettre en avant quelqu’un, rendre hommage à ses qualités, à l’information qu’il vous donne, oui, ça marche aussi, mais ça revient à l’empathie, c’est mettre en confiance vos sources.

JCN : Le MICE englobe-t-il vraiment toutes les approches possibles d’une source par n’importe quel officier traitant ?

Michel : Toutes les affaires de MICE, qui sont très anglo-saxonnes, ça me laisse très perplexe. Pour moi, c’est avant tout un contact humain, du savoir-faire humain et du bon sens paysan. Plus important que le MICE, c’est le travail de détermination : quelle est la cible à recruter ? C’est là que ça se joue. Si vous avez bien identifié l’endroit où il faut aller chercher, et le profil de la personne qu’il faut trouver, vous avez déjà fait 50 % du travail.

Norman : Les motivations sont souvent imbriquées, complétées les unes avec les autres et puis aussi, il y a l’idéal pour certains. Lorsqu’il y avait l’Europe de l’Est, l’idéal de la chute du communisme. Il y a aussi, pour certains, le goût de l’action, de l’aventure…

Fabrice : Personnellement, ce que j’ai préféré utiliser, c’est l’argent et l’ego. D’abord l’ego, parce qu’en fait la plupart des gens adorent parler d’eux-mêmes, montrer à quel point ils sont brillants, à quel point ils ont une carrière brillante dans l’administration ou n’importe où dans la société, même dans les groupes djihadistes… Donc, il faut jouer sur l’égocentrisme humain, et après, il faut alimenter avec de l’argent, parce qu’une fois que vous avez ferré la personne avec de l’argent, elle prend l’habitude. La première fois, ça peut être un peu surprenant, un peu difficile, comme toutes les premières fois. Et après, finalement, elle s’y habituera et ne se prendra pas [pour] un traître potentiel si vous avez su jouer sur l’ego, et si vous lui avez donné un prétexte pour ne pas croire qu’elle était un traître.

Sandra : Après, quand on est officier clandestin, et qu’on manipule des sources, on les manipule de façon complètement inconsciente[25]. Il faut que ce soit plus subtil, sinon c’est déjà se faire découvrir.

Fabrice : Si vous êtes un diplomate français sous couverture diplomatique, la personne que vous avez en face de vous sait que vous êtes diplomate. Elle se doute bien que vous faites partie du service, sinon vous ne lui poseriez pas des questions sur son programme nucléaire. Si elle donne des infos, elle sait qu’elle trahit parce que c’est officiel, quasi officiel. Si vous êtes clandestin [en revanche], vous pouvez lui raconter une belle histoire : « Mais non, ce n’est pas pour ça, c’est parce que j’ai besoin de ça, tu comprends, on est devenus amis, en tout cas proches, c’est juste un petit rapport, mais tout travail méritant salaire, je te donne un peu d’argent. » C’est la même logique, sauf que lui se sera créé toute une mythologie comme quoi il n’est pas un traître. Sauf qu’au fur et à mesure, il prendra l’habitude de donner de l’info contre de l’argent…

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25

« Inconscient » : dans le jargon des officiers de renseignement, l’adjectif désigne tout individu de leur entourage ignorant leur appartenance à la DGSE.