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Hervé : Le MICE, c’est très pratique, c’est un terme fourre-tout, mais ce n’est jamais aussi simple. Le MICE peut très bien s’appliquer quand vous avez quelqu’un qui va accepter de vous livrer du renseignement en toute connaissance de cause. Le Service clandestin, une de ses spécificités, c’est [que] vous allez amener des gens à collaborer avec vous sans qu’ils ne sachent que vous êtes un représentant des services français.

V

Aux portes de la clandestinité

Entrer à la DGSE est une chose, s’orienter vers la clandestinité en est une autre. Tout le personnel de la DGSE n’utilise pas des méthodes clandestines au quotidien. Et tous les clandestins n’appartiennent pas au service dit clandestin… : le Service action, la Direction technique, la Direction du renseignement y ont également recours. Il s’impose donc de définir de quelle « clandestinité » il s’agit. Le Larousse a dû être écrit par la DGSE. Il donne en effet pour première définition du mot « clandestin » : « qui se fait en secret »… L’agent clandestin est un agent secret : voilà qui n’arrange pas nos affaires ! Pas plus la deuxième définition du dictionnaire : « qui est en contravention avec les lois et les règlements ». Le personnel clandestin de la DGSE serait donc dans l’illégalité ? Dans ce cas, il faudrait déplacer d’urgence la caserne Mortier à Fleury-Mérogis… L’officier de renseignement n’est évidemment pas illégal en France, mais à l’étranger ? Tout cela appelle encore quelques éclaircissements.

JCN : Nous avons évoqué votre entrée à la DGSE. Venons-en maintenant au « Service clandestin ». Pourriez-vous nous confirmer qu’il ne porte pas ce nom, et qu’il existe vraiment ?

Hervé : Il existe vraiment et il ne porte pas ce nom.

JCN : Et vous ne souhaitez pas donner le vrai ?

Hervé : Non, je ne le souhaite pas.

François : Quand je passe les tests de la sélection [de la DGSE], je n’ai aucune connaissance du Service clandestin. Je sais qu’il existe un milieu lié au renseignement pur et je sais qu’il existe un domaine lié à l’opération, le Service action, qui dépend d’une direction particulière qui est la direction des opérations. Mais je n’ai aucun élément concernant ce service, qui est un tout jeune service, dont personne ne parle, et qui ne figure à l’époque dans aucun des organigrammes que l’on peut se procurer.

Georges : Parfois, son appellation oriente des gens en interne vers de mauvaises directions. Ça nous est arrivé de recevoir des coups de fil d’une autre direction ne sachant pas du tout à qui ils avaient affaire. Il est identifié, mais son emploi est connu des seuls décideurs que sont les grands directeurs de la DGSE. Aujourd’hui même, le mode de recrutement, le type d’opération ainsi que la manière dont le directeur général l’emploie restent connus d’un nombre extrêmement restreint de personnels au sein de la DGSE. On sait en fait très peu de choses […] si ce n’est que les gens mettent énormément de temps à acquérir une couverture et une légitimité qui leur permet d’infiltrer des mouvements, des organisations et d’être légitimes au bout de quelques années.

Fabrice : Le Service clandestin n’est jamais valorisé, alors que son grand cousin, le Service action, est lui totalement admis et valorisé. Et ça nous va très bien. On vit dans l’ombre, mais on est faits pour ça.

François : La première raison, c’est que les opérations que ce service mène sont complètement clandestines, c’est-à-dire qu’elles mettent en œuvre des personnels qui ne doivent jamais apparaître et ne jamais permettre de retracer [leur] commanditaire, à savoir l’État, et donc la DGSE. La deuxième, c’est parce qu’il est tout nouveau et qu’il a la volonté d’être protégé des feux de la pub.

Fabrice : Il excite les passions parce que, par définition, on peut se dire qu’il cache plein de choses […]. Et de fait, il cache pas mal de choses…

JCN : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la DGSE est si frileuse à l’idée de parler de clandestinité ?

Fabrice : Foncièrement, parce que c’est illégal au regard des lois des pays dans lesquels nous intervenons ! Comme c’est illégal a priori, on n’a pas vocation à en faire état…

Patrick : Je ne me suis jamais senti dans la peau d’un illégal, mais dans celle de quelqu’un qui accomplissait une mission pour son pays. Je me sentais au contraire investi d’une mission légale, même si je pouvais utiliser un caractère illégal dans la forme. Dans ma tête, c’était très clair.

Hervé : La clandestinité est sans doute l’une des techniques les plus difficiles à mettre en œuvre […]. C’est un équilibre instable et il ne faut pas grand-chose pour la faire tomber soit d’un côté, soit de l’autre. Notamment, parler en détail des techniques, même si pour la plupart elles sont connues à travers le cinéma. Ce qui est délicat, c’est l’assemblage de ces techniques et la construction d’un système qui va permettre dans la durée de maintenir une clandestinité sur ses agents et sur les actions qu’ils peuvent mener à l’étranger.

Fabrice : L’espionnage, pour reprendre le terme galvaudé — disons le renseignement si on emploie notre terme — fait partie du jeu normal des Nations. On s’espionne les uns et les autres, ça fait partie du jeu. Mais globalement, ce sont des gens qui sont en ambassade, sous couverture diplomatique, donc les services savent à peu près qui sont les espions, qui sont les vrais diplomates. Le clandestin, par essence, on ne sait pas du tout où il est, et les services détestent qu’il se trame potentiellement quelque chose dans leur dos. Ne pas savoir, ça génère vraiment de l’intranquillité. Dernière raison : seuls les grands services ont des services clandestins structurés, et donc en faire trop état serait potentiellement contre-productif.

JCN : À votre connaissance, combien de services au monde pratiquent ce genre de clandestinité ?

Fabrice : En fait, il n’y a que les services de 1re division. Parce que c’est un savoir très complexe, et qui se perd assez vite. Les meilleurs, pour moi, ce sont les Russes. Les Anglais [ensuite] parce qu’ils font ça depuis des centaines d’années pour gérer leur empire. Les Américains, qui avaient un peu perdu, mais qui sont revenus, et qui ont au moins l’avantage des moyens. Il y a les Chinois sans doute, mais ils ont une problématique de diaspora : un Chinois a tendance à recruter un Chinois. Sans doute les Israéliens…

JCN : En France, le Service clandestin est créé en 1989 à l’instigation du général Jean Heinrich, directeur des opérations, qui veut un outil réservé aux missions les plus pointues. Quelques années plus tard, Patrick en prend le commandement en provenance du Service action…

Patrick : Le Service clandestin, comme on l’appelle, est un service qui a été créé à l’organisation de la direction des opérations en vue de développer un savoir-faire dans le renseignement de crise. Qu’est-ce qu’un renseignement de crise ? C’est aller dans des pays en situation compliquée sur le plan politique, économique ou quel qu’il soit, et aller de manière clandestine récupérer du renseignement au profit de l’État.