JCN : À quoi doivent s’attendre les candidats au Service clandestin ?
Grégoire : On commence par les convoquer dans des créneaux de dates qui leur conviennent. Comme cela se passe pendant les vacances scolaires, ils ont fini leur cycle d’études, ils sont donc disponibles. On les convoque à Paris, on leur loue un hôtel, sous leur nom bien sûr, et ensuite, on entre, pour une période de quinze jours à trois semaines, dans la partie évaluation du candidat. J’ai préalablement travaillé à [des] tests à travers mon expérience du SA qui [les] pratique, mais d’une autre manière, et aussi avec une des psychologues du service qui, pour les besoins de la cause, m’a été détachée. Les tests consistent en deux parties distinctes. Une première partie est simplement une évaluation psychologique, à travers des tests concoctés par la psy, en fonction des qualités que je souhaitais trouver chez des candidats, ou des défauts que je souhaitais à tout prix éviter. Ces tests durent deux à trois jours.
Daniel : Les tests psychologiques tournent autour d’entretiens, d’une batterie importante de tests écrits qui permettent de recouper votre profil, vos vulnérabilités éventuellement, vos atouts. Il ne s’agit pas d’avoir un profil totalement linéaire, c’est intéressant pour un clandestin d’avoir quelque chose, je dirais, d’un peu hétérogène.
Grégoire : À partir des résultats de ces tests, la psychologue va remplir une grille avec une graduation de 1 à 5 pour affiner le profil psychologique des candidats. Il est à noter que, pour la partie terrain, l’instructeur disposera de la même grille. Au terme de la sélection, on superpose[ra] les deux grilles, psychologique et tests terrain, pour déterminer le profil de chacun des candidats.
François : On vient voir à qui on a affaire, ce qu’il y a derrière l’individu. Est-ce qu’il est fragile ? Est-ce qu’il tient la route ? Est-ce que ce qu’il demande est une façade ? Est-ce que ça a un sens ? Est-ce que c’est construit […] ? C’est comme un recrutement dans le domaine du privé, on vient voir pourquoi, tel jour, telle date, à tel endroit, telle personne veut telle chose.
JCN : Quelles qualités sont recherchées en priorité ?
Patrick : La conviction que la personne que l’on a en face de soi aura la capacité de travailler seule dans un contexte difficile. On le sent, on peut voir si quelqu’un a déjà en lui-même sa propre synergie, s’il n’a pas besoin de compter sur les autres. D’autant plus que quand on les reçoit, on est cash. On n’est pas là pour vendre quoi que ce soit, mais plus pour montrer les mauvais côtés, les risques que représente l’action clandestine. Ensuite, il y a un sujet très important, essentiel, qu’on appelle l’honnêteté intellectuelle. Ça se teste, on voit tout de suite si on a affaire à quelqu’un qui est en surrégime ou qui est trop renfermé sur [lui]-même, qui ne pourra pas s’exprimer. Cette capacité à se mouvoir et à être inaperçu — l’anti-James Bond, je dirais.
Norman : Dans l’action, on ne demande pas à l’OT de raconter sa vie, par contre quand on fait de la recherche au niveau du renseignement, et que l’on veut recruter des sources, il faut parler, s’exposer à la source, lui plaire, donc il faut être plutôt extraverti qu’introverti.
Grégoire : On ne veut pas de tricheurs, de menteurs, [mais] des gens qui ont une résistance solide au stress…
Patrick : Il faut être relax, calme et détendu. Quelqu’un qui est stressé, mégalo, qui se met la pression tout seul, ça ne nous intéresse pas.
JCN : L’absence d’expérience dans un théâtre de crise est-elle un handicap ?
Grégoire : Non. La mise en opération de l’OT se fera de manière progressive. On commencera par des missions « soft », dans des environnements à moindre risque, et graduellement, quand il prendra confiance en lui, on l’engagera dans des théâtres d’opération de plus en plus difficiles.
JCN : Peut-on échouer aux tests psychologiques ?
Grégoire : Ils ne sont pas rédhibitoires, sauf si on détecte une faille sérieuse, ce qui, de mémoire, n’est jamais arrivé.
JCN : Quel programme est ensuite réservé aux candidats ?
Grégoire : Une partie terrain, qui dure une douzaine de jours, où il s’agit là de les mettre en situation.
Hervé : Je n’ai fait que des choses auxquelles je ne m’attendais pas. Qui dit métier un peu exceptionnel dit test forcément exceptionnel. Le but est d’exacerber en un temps très court, en gros, tous les problèmes que vous pouvez rencontrer dans une mission classique. Cela permet de juger de la capacité d’un individu à raisonner, prendre des bonnes décisions sous pression, ou au contraire en l’absence de pression, donc de gérer la frustration aussi, ce qui est parfois aussi difficile que de gérer le stress. C’est vraiment une caisse de résonance. Les situations, tests, exercices, qu’on va vous proposer sont puissance 10 ce que vous allez vivre — ou peut-être jamais — dans une carrière complète d’agent.
Grégoire : L’objectif est d’évaluer ces qualités foncières qu’on a cru déceler chez le candidat, de les tester dans un environnement plus réaliste que simplement à travers des écrans et des tests. Et surtout, d’amener le candidat — c’est un petit peu le fil rouge de ces tests — à se transcender, à devenir l’espace d’un instant quelqu’un qu’il n’est pas dans la réalité. Ce qui est effectivement très difficile pour la majorité des candidats quel que soit le profil psychologique.
Hervé : C’est aussi un test pour moi, pour voir si ce qu’on me propose correspond à ce que je suis venu chercher. Je sais, parce qu’il y en a plusieurs avant moi qui ont fait les tests, que, parfois, au bout de quelques jours on s’aperçoit qu’on n’est pas fait pour ce job, et qu’il vaut mieux arrêter. C’est une décision parfois déchirante, mais courageuse, car on ne peut pas être en souffrance intellectuelle pendant quatre, cinq, six ans sur le terrain. Donc, le jeu doit être très clair et transparent dans un sens comme dans l’autre. Le test est là pour ça […].
JCN : Comment se déroulent ces tests ?
Grégoire : Les tests de mise en situation se passent uniquement en France et généralement à Paris pour des raisons pratiques.
Georges : Un certain nombre ressemblent à ce qu’on peut voir dans le film Spy Game[28].
28
Réalisé par Tony Scott en 2001, il décrit en particulier le recrutement et la formation par la CIA du personnage joué par Brad Pitt, le rôle du recruteur étant incarné par Robert Redford.