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François : On me demande de prendre mes précautions et de poser une semaine de vacances de façon à ce que je sois disponible. On me dit que ce jour-là, il faudra que je monte à Paris avec une valise, et qu’il faut que je sois autonome pendant une semaine avec un costume, un jean et de quoi évoluer dans tous les milieux différents. Ce qui ne veut pas dire grand-chose quand on est militaire et qu’on a l’habitude de s’habiller en treillis ou en uniforme… À l’époque, je suis instructeur dans une des écoles de formation de l’armée de terre. Je pose ma semaine, j’en réfère simplement au médecin chef parce qu’il me fallait juste une visite médicale pour vérifier que j’étais apte à passer quelques tests. Ça a commencé un lundi matin du côté de la place de la République — traditionnel pour les gens qui ont l’habitude de travailler dans cette maison[29]. On me demande de venir avec deux signes distinctifs — un journal à la main droite, et je ne sais plus, ma valise à la main gauche — et de me trouver à cet endroit. Je suis abordé par quelqu’un que je ne connais pas et qui me dit qu’il va m’encadrer pendant une semaine. Vont s’enchaîner des petites séances de sensibilisation, de formation, pour évoquer quel est le but à obtenir de la séance qui va se dérouler dans les heures qui viennent.

Hervé : Concrètement, je n’en parlerai pas. Sinon, c’est dévoiler beaucoup de choses sur le métier et les pratiques. Il y a une obligation de respecter ce secret à la fois pour ceux qui y sont, mais aussi pour ceux qui ont échoué. Bien sûr, il y a quelques petites choses qui peuvent fuiter à droite ou à gauche, mais ce n’est pas pour autant que vous allez être capable de gérer un exercice. Ce n’est pas parce que vous avez vu un grand prix de formule 1 à la télé, et que vous savez conduire, que vous allez pouvoir tenir la distance !

Sandra : Moi, personnellement, je n’en avais pas spécialement entendu parler. Et je n’ai pas cherché à savoir ce qui m’attendait parce que je l’ai pris comme un jeu, pour voir ce dont j’étais capable.

Daniel : Les tests vont s’étaler sur une semaine, une semaine où vous dormez peu, vous ne savez pas ce que vous allez faire d’une journée sur l’autre. Vous êtes potentiellement suivi, observé, vous devez vous habituer à vivre aussi dans la solitude qui est, je dirais, le maître mot de la vie du clandestin. Il est loin de sa hiérarchie, donc il est amené à prendre des décisions seul — si possible les bonnes.

Grégoire : Concrètement, on va donner rendez-vous aux candidats à une terrasse de café, où il y a beaucoup de monde et on va lui dire : « Sur cette terrasse, il y a une cible qui nous intéresse, et on a besoin par exemple de le prendre en photo sous tous les angles. Donc on te demande d’attirer l’attention de cette terrasse pour que notre équipe puisse derrière prendre toutes les photos qu’elle veut. » C’est un peu le conditionnement du candidat. À partir de là, il va avoir dix, quinze minutes, pour imaginer un scénario qui va amener à capter l’attention du public de la terrasse, avec des limites. Il ne s’agit pas de déclencher une bagarre ou de faire un strip-tease, il s’agit de rester dans du soft. Donc, il y a un gros effort d’imagination de la part du candidat, une nécessité de réfléchir vite. Au signal, il doit passer à l’action.

Daniel : La diversion, c’est un mode opératoire qu’on utilise. Par exemple, on a besoin d’agir dans une pièce, de rentrer dans une maison, donc il faut qu’une personne, par un moyen ou par un autre, attire l’attention pour permettre à une équipe de rentrer, de faire ce qu’elle a à faire, éventuellement des photos ou poser un dispositif d’écoute, et repartir sans qu’elle soit détectée.

Sandra : L’exercice de diversion, je savais que j’allais y avoir droit. Je ne connaissais pas encore le scénario qu’on m’avait réservé, mais je ne suis pas d’une nature à attirer l’attention. Or, la diversion, c’est exactement l’inverse… Il s’agissait d’une diversion dans une grande station centrale de Paris, République. En fait, ma plus grande angoisse, c’était d’échouer parce que j’aurais croisé quelqu’un que je connais. On m’a donné un budget, en me demandant d’avoir un look de SDF, ou de personne pas très heureuse. Je suis allée aux fripes de Saint-Ouen, et le lendemain, on me dit : « Demain matin, tu viens avec ce costume-là, à telle heure, à République. » OK. Oui, mais quand même, République, j’ai soulevé que c’est une grande station, [que] je peux croiser du monde… « Tant pis, rendez-vous telle heure, avec tes frusques. » OK. [Le jour J, on me dit] : « La prochaine rame, faut que tu fasses une diversion type manche. » Sauf que, faire la manche dans le métro, il n’y a pas grand monde qui lève la tête et se détourne de son activité… Donc, j’ai joué une fille un peu éméchée, en hurlant, en parlant comme un charretier, pour réveiller les gens, qu’ils lèvent leur tête et la tournent vers moi.

JCN : Comment ont réagi les usagers ?

Sandra : Ça a très bien fonctionné ! J’ai même pu rembourser les 20 euros de l’État français qu’on m’avait donnés pour acheter des frusques…

Georges : La faculté d’adaptation, le respect d’une procédure de manière extrêmement rigoureuse sont appréciés. S’il s’agit de rester devant une porte cochère à un rendez-vous d’1 heure du matin à 2 h 15, et qu’on ne trouve pas la bonne raison pour justifier sa présence — qu’on appelle un prétexte —, on considère que la mission n’a pas été remplie car le contact peut arriver à 2 h 14. Il ne s’agit pas de dire : « J’ai froid, il pleut, je m’en vais. » À nous de construire les choses pour qu’on ait un peu de légitimité pour rester devant cette porte cochère. Alors, est-ce qu’on va se transformer en clochard ? C’est une option. Est-ce que le clochard est le meilleur moyen de pénétrer dans un hall d’immeuble du XVIe arrondissement ? J’en doute. Donc, la construction de ces prétextes fait partie du montage de la mission.

François : [Mon] premier test, pour un officier de l’armée française, peut paraître un peu déconcertant, et pourtant [il] va bien se passer. On me demande de me débrouiller, d’être vêtu en clochard. On me donne une somme d’argent, on me donne un endroit où je peux acquérir ce genre de vêtements, et un lieu de rendez-vous quelques heures plus tard, avec une cible à observer. Le but du jeu, c’est de savoir à quelle heure la cible arrive, ce qu’elle va faire pendant un laps de temps bien défini et de pouvoir rendre compte de ce qu’on appelle la nature, le volume et l’attitude. Je ne rentre pas trop mal dans mon rôle, je suis affalé par terre, ma bouteille de vin rouge à mes pieds, j’en ai renversé un petit peu sur moi. Et pendant que j’observe la cible passer devant moi, en train de mener ses activités, je vois un couple de personnes d’une quarantaine d’années qui s’approche, la femme s’apprête à me donner une pièce et son mari lui dit : « Non, laisse, il est suffisamment atteint… » Grande fierté, parce que, finalement, je donne l’illusion d’être un clochard !

Sandra : J’ai aussi bien rigolé pendant ces tests. Notamment le test maintenant mondialement connu, puisqu’il fait partie d’une des scènes de Spy Game, où on demande à Brad Pitt d’apparaître à la fenêtre d’un appartement avec un verre d’eau à la main. Je me suis crue dans les baskets de Brad Pitt ! Malheureusement pour moi, mon instructeur est loin de ressembler à Robert Redford, même si j’ai une petite pensée affective pour lui…

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29

La station République est la première d’importance sur la ligne de métro menant à proximité de la DGSE.