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JCN : Vous souvenez-vous de la ficelle que vous avez utilisée pour parvenir à vos fins ?

Sandra : Oui, mais je la garde pour moi. Pas pour faire des cachotteries, mais l’enjeu des tests, ce n’est pas de s’y préparer, sinon on n’est pas naturel. Si les tests sont biaisés, le résultat sera faux, et c’est même faire peser un risque sur l’éventuel futur agent [qui ne connaîtra pas] ses faiblesses, ses forces.

JCN : Pouvez-vous au moins nous planter la scène ?

Sandra : Encore une fois, pas très loin de République, on s’est arrêtés à un arrêt de bus. Mon instructeur m’a montré un immeuble et m’a dit : « Tu vois le troisième étage ? » J’ai dit oui. « Eh bien, tu as quinze minutes pour apparaître à la fenêtre avec un verre d’eau. » Pourquoi un verre d’eau ? « Les quinze minutes ont commencé. » OK, OK, j’y vais…

Grégoire :… En sachant que la fenêtre en question peut être un appartement privé, des bureaux et qu’il n’y a pas de connivence de la part des personnes qui vivent ou travaillent dans cet endroit-là.

Sandra : Et j’y suis allée.

JCN : Au bout de quinze minutes ?

Sandra (sourire) : Non, beaucoup plus rapidement.

Grégoire : On voit très bien les candidats qui sont mal à l’aise, mais qui prennent sur eux pour faire face à l’exercice. Ou inversement, ceux qui ont un peu tendance à fanfaronner et à laisser croire que c’est facile pour eux. Ceux-là, je m’en méfie d’emblée. Je préfère quelqu’un qui est stressé. J’ai le souvenir d’un de mes OT à qui j’avais demandé de faire un petit numéro dans un bar très fréquenté, et qui, trois minutes avant le feu vert, transpirait à grosses gouttes alors qu’il faisait 5 degrés dehors. Je préfère ce genre de candidat, surtout si pendant la phase de l’exercice, il sait parfaitement se maîtriser…

François : Mon deuxième test ? Mon instructeur formateur me désigne au sein du quartier latin un bar très branché, bobo, BCBG, et il me dit : « Tu vas entrer et, à mon signal, tu ne sauras pas quand, mais à mon signal, tu dois retenir l’attention de la totalité des personnes pendant dix minutes de manière à ce que, moi, je puisse mener une action clandestine que tu n’as pas à connaître. » Là aussi, grand moment de réflexion ! Comment est-ce que je vais faire, comment je vais m’en sortir, qu’est-ce que je vais leur dire… ? Et le signal démarre. Instantanément, je demande au barman de baisser la sono, je lui dis que j’ai une annonce à faire et que j’aimerais bien m’adresser à la totalité du public, ce que spontanément il accepte. Ma première erreur, ça va être de monter sur le bar avec mes chaussures. Car, à peine ai-je demandé l’attention de l’assistance [que] je vois le vigile — 1 mètre 90, 90 kg, pas beaucoup d’intelligence dans le regard — et je vois que je vais descendre très rapidement du bar… C’est ce qu’il fait d’ailleurs, et il s’apprête à m’éjecter. Fort heureusement, j’arrive à lui expliquer que ça faisait partie d’un pari fait avec mes amis.

JCN : Bilan du test ?

François : L’effet n’a pas été obtenu puisque je n’ai pas réussi à capter l’attention de l’assistance pendant dix minutes. Par contre, ce qui a été apprécié par mon instructeur, c’est que j’ai eu une action réelle et que je ne sois pas resté tétanisé dans le bar. Ce qu’on attend d’un stagiaire, ce n’est pas la bonne solution, mais c’est une solution.

Sandra : Le débriefing des tests est vraiment fait à l’issue. On vous laisse dans l’ignorance totale de savoir si vous réagissez bien.

Hervé : On attend de voir comment vous allez innover, créer une nouvelle réponse à une situation donnée. Je pense qu’aucun de mes collègues n’a répondu de la même façon. On a chacun notre voie. C’est un peu de l’alpinisme : il y a la voie normale, classique, mais aussi plein de voies parallèles et ce qu’on attend de vous, c’est que vous ouvriez de nouvelles voies.

Grégoire : Quelques candidats sont restés tétanisés sous la pression, le stress… Malheureusement pour eux, c’est la fin de l’évaluation tout de suite.

JCN : C’est éliminatoire ?

Grégoire : C’est éliminatoire.

François : Le collègue qui a été testé en même temps que moi s’est vu octroyer un autre bar, un peu plus coloré, un peu spécial, dans le Marais… Il n’a pas su trouver soit les mots, soit les gestes nécessaires à la mise en œuvre de ce qu’il avait prévu de faire. Tant mieux pour moi…

JCN : Comment se prend la décision finale ?

Grégoire : La grille d’évaluation est la même pour la psy et pour l’instructeur terrain, mais il n’y a aucune concertation entre les deux. À l’issue, c’est moi qui récupère les deux grilles et qui les superpose en présence de la psy et de l’instructeur. Et on s’aperçoit dans 95 % des cas que les grilles se chevauchent parfaitement.

François : Il y a eu un débriefing où moi, et mon collègue, [nous] étions face à l’instructeur. [Il] nous a dit qu’on avait été très mauvais, que les résultats n’avaient pas été à la hauteur de leurs espérances, donc grand moment de solitude ! On se dit ça y est, c’est raté, c’est fini.

Grégoire : Je convoque [ensuite] les candidats individuellement. S’il y a eu un échec rédhibitoire, c’est le moment de [leur] dire qu’il faut se réorienter vers un autre service à la DGSE.

François : La surprise [fut] qu’il me dise que j’avais bien réussi les tests ! L’analyse sommaire visait à préparer l’un de nous deux à ne pas être reçu. J’ai été appelé une dizaine de jours plus tard alors que je me préparais à partir pour les grandes vacances d’été.

Hervé : J’ai eu connaissance de plusieurs cas d’échec, y compris de personnes qui avaient très bonne réputation dans le service. C’est un métier tellement particulier, la mission est tellement particulière, qu’on peut très bien être doué pour plein de choses, y compris pour faire du renseignement non clandestin, ou moins clandestin, et ne pas se sentir à l’aise dans ce que l’on va vous demander à la fois dans ces tests et plus tard dans ces missions. On peut très bien échouer dans ces tests, en gardant la tête haute, en se disant : « Je conserve ma réputation et je suis tout de même doué pour faire le grand métier du renseignement. »

Georges : Il y a des gens extrêmement compétents, qui font des missions très risquées, qui ne travaillent pas au Service clandestin. Donc ce n’est pas une question de meilleur ou de moins bien. Je pense qu’il y a une question d’opportunité, une question de profils.

Grégoire : Dans le cas de résultats positifs, je redemande au candidat s’il est toujours OK pour rejoindre mon service. Généralement, il me dit oui. Je lui impose là un certain nombre de règles. La première est de ne jamais évoquer le fait qu’il a été préempté et testé pour ce service. La deuxième est qu’il rejoigne le stage long de formation de huit mois et qu’il ne mentionne pas qu’il a déjà été sélectionné par un service. [Enfin], qu’il est tenu d’avoir d’excellents résultats à ce stage.

Georges : Il y a des années où il n’y a pas de recrutement car il n’y a pas de places. D’autres années où on va essayer de recruter des femmes répondant à un certain profil.